Critique : La Dernière corvée

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La Dernière corvée

États-Unis, 1973
Titre original : The Last Detail
Réalisateur : Hal Ashby
Scénario : Robert Towne, d’après le roman de Darryl Ponicsan
Acteurs : Jack Nicholson, Otis Young, Randy Quaid, Clifton James
Distribution : Park Circus
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie : 13 novembre 2013 (Reprise)

Note : 3/5

La réputation de l’armée américaine n’était certainement pas des meilleures en 1973, alors que la guerre du Vietnam en était réduite à ses dernières convulsions, mettant un terme plus que douloureux au mythe victorieux de cette institution majeure des États-Unis. Non, porter l’uniforme de la marine n’avait vraiment rien de valorisant à ce moment-là de l’Histoire américaine. La Dernière corvée en est amplement conscient. Il s’agit même d’un film de démystification forcenée, comme si le réalisateur Hal Ashby voulait débarrasser de son lustre l’image militaire, fermement ancrée dans la tête de ses compatriotes. La propagande officielle, dont le seul objectif était depuis des décennies de vanter le mérite de ces guerriers sans peur et débordants de valeurs, y est systématiquement contrecarrée par une approche plus réaliste du quotidien de ces pauvres soldats, obligés d’accomplir des tâches avilissantes. Car toute la camaraderie et la virilité du monde, interprétées de manière saisissante par le trio d’acteurs formé par Jack Nicholson, Otis Young et Randy Quaid, ne changeront rien au fait que les ordres sont les ordres, peu importe leur absurdité, voire leur cruauté.

Synopsis : Les deux officiers de la Marine Buddusky et Mulhall sont chargés d’escorter le prisonnier Meadows de leur base à Norfolk jusqu’à la prison de Portsmouth, où il devra purger une peine de huit ans pour vol. Les deux gardiens ne sont guère enchantés par leur nouvelle mission, dont le seul attrait paraît être l’emploi du temps large, qui leur permettra de rentrer tranquillement une fois la jeune recrue remise à ses matons. Au fil du voyage, ils se rendent toutefois compte du manque d’expérience et de savoir-vivre de Meadows et décident de faire durer le plus longtemps possible le transfert, histoire de lui permettre de se laisser aller une dernière fois.

Qu’il aille se faire foutre

Au début des années ’70, l’heure n’était pas encore au règlement de comptes frontal avec l’expérience traumatisante de la guerre du Vietnam, comme cela allait être le cas plus tard la même décennie, avec notamment Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino et Le Retour, où Hal Ashby traitait avec encore plus de rage intériorisée ce conflit qui avait tant marqué la génération après la sienne. A proprement parler, La Dernière corvée n’est même pas un film de guerre, puisque aucun coup de feu n’y est tiré et que l’action se déroule très loin du front, dans l’arrière-pays américain où les gens préfèrent psalmodier plutôt que de prendre position pour ou contre la politique du président Nixon. C’est davantage l’observation doucement fascinante d’un état de léthargie et d’impuissance, contre lequel personne, parmi les trois personnages principaux, n’ose s’insurger réellement. Les signes d’une insubordination anodine s’y multiplient, certes, mais ces ronchonnements et autres aveux de faiblesse ne sont suivis par aucun acte susceptible de mettre sérieusement en question l’issue inéluctable de cette triste affaire. Ils participent au contraire activement au malaise ambiant. Ce dernier résulte bien plus de la frustration permanente due à l’assistance active à une injustice flagrante que du ton viscéralement viril, tout à fait représentatif du Nouvel Hollywood, en guerre sémantique contre l’image proprette des héros américains d’antan.

Des hot-dogs sans pain

Au cœur de cette mission, courue d’avance dans toute son inhumanité grotesque, se trouve le personnage interprété sans fausse pudeur par Jack Nicholson, alors aux débuts de sa gloire. Buddusky voudrait tant être une figure paternelle pour son jeune acolyte, lui apprendre à goûter aux plaisirs de la vie avant de mettre son existence entre parenthèses, tout ce qu’il réussit à faire c’est de le traîner d’une adresse malfamée à l’autre. Et encore, souvent cette quête de plaisirs charnels – car, soyons clairs, cet officier est tout sauf un intellectuel et donc principalement intéressé par la bouffe, l’alcool et le sexe – se solde par des échecs ou bien, au mieux, par des demi-réussites qui ont lieu malgré lui. C’est un homme qui, d’un côté, ne manque pas de tchatche et de bonne humeur quasiment inoxydable, mais qui, de l’autre, porte en lui la tare de l’institution qu’il représente avec une fierté assez ambiguë : l’inefficacité. Bien sûr, il n’y aurait pas eu de film, si le transfert de prisonnier s’était déroulé comme prévu, sans détour, ni état d’âme. Or, la formidable force en sourdine du récit naît de ce dilemme constant, consistant en deux pôles irréconciliables entre le devoir du soldat et le devoir de l’homme dans toute sa splendeur ridicule.

Conclusion

Hal Ashby n’a jamais été un réalisateur au style flamboyant. Il savait par contre parfaitement doser dans ses films l’équilibre délicat entre la folie et la raison, entre le plaisir et la responsabilité. La Dernière corvée en est l’exemple parfait, avec sa prémisse qui aurait facilement pu déborder vers toutes sortes d’excès de justice autoproclamée, mais qui sait rester admirablement modeste dans son observation d’un mécanisme de pensée infiniment plus puissant que tous les scrupules émis par ces pauvres éléments qui lui sont subordonnés.

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