Festival du Cinéma de Brive 2017 : Jour 1

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Jolie ville de Corrèze, Brive, depuis 14 ans, à l’occasion d’un festival, promeut le moyen-métrage, ce format indécis qu’on situe entre 30 et 59 minutes et qui, officiellement, n’existe pas. Trop long pour de nombreux de festivals, souvent trop court pour des sorties salles. Invisible en somme, à l’image de ce qu’auraient dû être les deux présidents de la république issus de la région. Pourtant, on est loin d’une métaphore de la vie politique française puisque contrairement à ces hurluberlus, l’existence de tels films est importante !

Après quatre heures de train et un pot de confiture du coin en guise de bienvenue – ce qui est toujours bon à prendre, on est donc allé hanter les salles du Rex pour les six premiers films de la compétition européenne. Pour le moment, c’est simple : aucun vrai raté et aucun coup de cœur, juste des petites choses qu’on oublie aussitôt vues. Peut-être que la programmation parallèle nous aurait fait davantage réagir…

Pour résumer, les films français ressemblaient à… des films français.

Hugues est une comédie vaguement satirique qui aurait pu plaire davantage si elle n’était pas aussi guindée et branchouille dans sa mise en scène. On y suit un acteur qui ne veut plus faire l’acteur, réfugié en Normandie chez sa mère morte. Il voit son copain partir et se retrouve au milieu d’une cohorte de nudistes derrière chez lui. Les plans sont longs, peut-être dans le but de peaufiner un côté psychologisant là où il ne reste que du vide et le rythme inutilement lent casse le comique au lieu de jouer sur l’absurde. On n’échappe jamais à une forme de variation sur du déjà-vu. Heureusement les dialogues restent sympathiques, tout comme les acteurs si on ne s’est pas endormi avant la fin du plan d’ouverture sur une fenêtre (ouh la jolie symbolique spatiale, théâtrale, blablabla). De la même manière qu’on peut légitimement se demander si les cinéastes aujourd’hui ne font pas des films très longs pour adopter une posture auteuristo-chiante – « regardez c’est long, donc c’est beau » – on a l’impression avec ce type de films que des réalisateurs de courts se mettent au moyen pour la même raison.

Ensuite, La Cour des murmures poursuit le genre du film documentarisant sur les cités qu’on voit arriver depuis quelques années. Certains sont excellents comme Vers la tendresse d’Alice Diop présenté ici l’année passée, ou Swagger d’Olivier Babinet. D’autres sont comme le film de Gregory Cohen. On n’a rien à lui reprocher, rien à dire de bon non plus : c’est simplement un exercice de style banal, un vague atelier où des ados des Mureaux rejouent une esquisse des Liaisons dangereuses. Evidemment, le tout est ultra-scénarisé mais par moment la vie réelle et la véritable personnalité des acteurs reprend le dessus d’où l’aspect docu. Là, d’aucuns s’exclameront : « whao, trop bien ! ». Mais on ne le fera pas. Après tout, on assiste au même genre de choses tous les jours en allumant la télé et en écoutant parler les candidats à la présidentielle. Et la télé, c’est pénible donc on l’éteint.

On a aussi pu voir Manodopera du grec Loukianos Moshonas. Formé aux Beaux-Arts de Lyon, à la FAMU à Prague et au Fresnoy à Tourcoing, on imaginait avant d’entrer en salle soit un film arty soit une véritable œuvre expérimentale. Le réalisateur propose juste un truc sur des gens qui, quelque part vers la Grèce, travaillent la journée à retaper des immeubles, s’engueulent au téléphone en moto avec leur femme, et, la nuit tombée, disent des banalités pseudo-philosophiques sur les toits de la ville. Finalement, après les trente minutes de cette chose (pourquoi pas 15 minutes ou une heure d’ailleurs ?), on se dit que faire trois écoles d’art et de cinéma ça sert d’abord à une chose : savoir engager de bons techniciens. Le cadrage, la photo et le montage sont bons. Pour le reste…

Puis, la résurrection. On croyait terminée depuis plusieurs années l’aventure Cinéastes de notre temps, engagée par André Labarthes et Janine Bazin en 1964. Ce n’est pas le cas puisque Yannick Casanova revient avec un nouvel épisode sur la réalisatrice Danièle Arbid, sobrement nommé Un chant de bataille et dont la meilleure partie réside dans le jeu de mot du titre. Comme toujours, on suit de manière assez brute un metteur en scène soit sur un tournage, soit entre deux films et on le voit s’interroger sur la vie, le monde, le cinéma. Ici Arbid navigue dans les rues de Beyrouth ou à Paris, elle parle de liberté et de rébellion en écoutant un soldat dire qu’il ne veut plus faire la guerre, ce qui l’émeut. Tout réside dans un discours bien calibré, auquel il est difficile de croire, car des actes on n’en voit guère. Tout ça fleure bon le portrait bien léché et l’attitude bien pesée à tenir pour se construire une image somme toute anecdotique. Dommage car le réalisateur s’échine à faire ce qu’il peut et, puisque pour Arbid la rébellion consiste à faire quelque chose qui se situe entre la brève de comptoir et le n’importe quoi faussement cool, pas sûr qu’il ait pu faire grand-chose… En même temps, peut-être que le docu – comme les autres portraits de la série – ressemble à la cinéaste car vu ses films c’est plutôt ainsi qu’on l’imaginait : têtue, chiante, engagée mais pas trop, pourvu d’un humanisme commun qui ne révèle rien sauf qu’elle n’aime pas parler de ses films (nous non plus). Les amateurs de son cinéma apprécieront sûrement. Les autres peuvent économiser 50 minutes de leur vie car ils ne changeront pas d’avis. On retiendra néanmoins son joli sourire, c’est mieux que rien !

Les deux films les plus intéressants du jour étaient allemands, Simba in New York de Tobi Sauer et Valentina de Maximilian Feldmann. Sans être de grands films et en proposant des dispositifs simplistes, au moins on a la sensation de voir quelque peu l’envers des sempiternels discours puérils qu’un certain cinéma réaliste enfante jour après jour. Certes ce n’est pas suffisant pour faire œuvre, mais c’est toujours agréable après les quatre films précédents.

Le premier est un exercice de collage, sorte de documentaire expérimental où des souvenirs d’enfance fictifs rejoignent des citations de grands auteurs autour d’une problématique liée à ce qu’est la « véritable Amérique », concept aussi vague qu’inexistant. Sur des images d’archives, des documents amateurs ou des enregistrements audio d’un enfant créant une fiction à partir d’une autre, le cinéaste propose une réflexion politique et sociale rudimentaire – beaucoup plus que Sans soleil de Marker auquel il fait référence – mais non dénuée d’intérêt. Notamment dans le rapport qu’il entretient avec la voix-off qui ne couvre pas complètement le discours sous-jacent des images montées, tout comme dans la discontinuité du discours et des textes collés dans un esprit anarchiste. Dommage que ça n’aille pas très loin car les « Mickey c’est mal » et « Emerson et Thoreau c’est bien », ça va 5 minutes, un peu moins 32 quand cela reste superficiel !

Le second est un documentaire sur les Roms en Macédoine. Comme toujours : leurs conditions de vie sont pourries, ils cohabitent dans une misère noire, la société les déshumanise mais ils sont unis et soudés malgré la douleur, et ainsi de suite… Aux voyeurs qui regardent ces films pour s’introduire dans un dénuement qu’ils ne contribueront jamais à changer, tant mieux ils en ont désormais un de plus à voir ! Heureusement, le film va un peu au-delà. Certes une fois encore, le réalisateur ne révolutionne rien mais il pose un début de réflexion. D’une part, dans le point de vue. Il dresse le portrait, quasi photographique par moment, d’une famille nombreuse dans leur quotidien, le tout depuis le regard d’une enfant d’une dizaine d’années, libre de parler et de s’exprimer. Et à son âge, elle ose encore tout sans autocensure (nombreux sont ceux qui devraient en prendre de la graine) et elle a les mots pour le faire, d’où un ton général plutôt enjoué et naïf, noir et sans pathos, digne et mélancolique. D’autre part, le pacte documentaire est exprimé. A la question : comment une équipe a pu pénétrer l’intimité d’une famille aussi pauvre ? Le film avoue : en les payant. Certains « conspueurs » professionnels crieront aux problèmes d’éthique mais la morale est d’abord faite pour ceux qui en manquent. Nous, on préfère qu’il le figure franchement, on est assez grand pour se débrouiller avec ça ensuite.

A travers cette malheureuse cohorte, seule éclaircie à l’horizon, l’espoir d’une deuxième journée meilleure que celle-ci…

Nicolas Thys

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