Critique : Egon Schiele

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Egon Schiele

Autriche, 2016
Titre original : Egon Schiele Tod und Mädchen
Réalisateur : Dieter Berner
Scénario : Hilde Berger et Dieter Berner, d’après un roman de Hilde Berger
Acteurs : Noah Saavedra, Maresi Riegner, Valerie Pachner
Distribution : Bodega Films
Durée : 1h49
Genre : Biographie filmique
Date de sortie : 16 août 2017

Note : 3/5

En France, les films sur les grands artistes de la nation sont quelque peu passés de mode, les peintres ayant laissé leur place aux créateurs de mode et autres explorateurs des fonds marins. Heureusement que pendant cette parenthèse qui ne saura durer, le cinéma germanophone comble le vide, puisque moins de trois mois après la sortie de Lou Andreas-Salomé de Cordula Kablitz-Post – sur une poète et muse d’intellectuels, certes, mais néanmoins conçu selon les mêmes règles de la biographie filmique aux forts accents nostalgiques – arrive ce film-ci sur nos écrans. Or, derrière son apparence d’hommage académique à l’œuvre d’un des plus grands peintres de l’art moderne se cache un portrait plutôt intimiste, soucieux au moins autant de faire ressentir au spectateur le contexte historique de la vie de Egon Schiele que d’étudier ses rapports assez troubles avec les femmes. Le fait que Egon Schiele s’apparente à un film lumineux risque alors de produire un effet contre-productif par rapport à l’état d’esprit passablement tortueux qui s’exprime dans les très nombreux tableaux du protagoniste. En même temps, cette fraîcheur de ton permet au film de Dieter Berner d’éviter la plupart des écueils, qui guettent normalement l’évocation d’une vie de bohémien, aussi astucieux, voire farfelu son agencement narratif soit-il.

Synopsis : En 1918, alors que la fin de la Première Guerre mondiale approche, le peintre Egon Schiele veille au chevet de sa femme Edith, gravement malade. Sa sœur cadette Gerti le trouve dans un état lamentable dans son appartement mal chauffé, qui lui sert également d’atelier. C’est le dernier chapitre d’une carrière d’artiste, qui avait commencé de façon prometteuse huit ans plus tôt. Après avoir abandonné ses études aux Beaux-Arts, Egon cherche fiévreusement son propre style dans le domaine des portraits de nus. Tandis que sa sœur se prête volontiers à l’exercice de poser pour lui, même légèrement vêtue, le jeune artiste est en quête d’un nouveau modèle. Il le trouve en la personne de la danseuse tahitienne Moa, qui devient sa première muse. La femme de sa vie sera pourtant la plus rustre Wally, qu’il découvre lors d’une visite chez son célèbre confrère Klimt. Elle le soutiendra moralement, coûte que coûte, pendant son ascension à la reconnaissance nationale, puis internationale.

Quelle place à l’artiste dans un monde en ruines ?

Au tout début, Egon Schiele donne l’impression a priori trompeuse que son thème formel dominant sera la recherche d’un point de vue et peut-être même d’une perspective. Les images pré-génériques, hachées par le temps du souvenir, ainsi que les mouvements de caméra acrobatiques sur lesquels s’ouvre le film pourraient nous faire croire que la mise en scène ambitionne d’imiter la vision déformée du monde et des corps que l’artiste perfectionne dans ses esquisses. Sans aller jusqu’à dire qu’il en sera tout autrement, nous sommes restés étrangement fascinés – en dépit de quelques rares longueurs – par le rythme que Dieter Berner a su imposer au récit. Sa chronologie raisonnablement morcelée ne se démarque pas par une éventuelle virtuosité et le regard porté sur la brève existence du trublion iconoclaste ne dénote pas davantage par sa noirceur excessive, contrairement aux films très crus du réalisateur autrichien Ulrich Seidl qui remplit ici la fonction de coproducteur. Et pourtant, l’absence même de quelque emphase romanesque que ce soit, accompagnée d’une conception quasiment pragmatique du métier d’artiste, à mi-chemin entre l’obsession créative et l’assouvissement de besoins plus banals, permet à l’intrigue d’évoluer librement, toujours largement à l’écart des passage obligés hautement pénibles et prévisibles, qui sont hélas caractéristiques de ce type de film.

Egon et les femmes

Et puis, qu’on le veuille ou non et à plus forte raison lorsque le réalisateur n’impose pas sa vision singulière des faits, le genre de la biographie filmique vit avant tout de la capacité des comédiens à nous faire adhérer au sort de leurs personnages. De ce côté-là, Egon Schiele n’est pas loin d’être une révélation, grâce à l’interprétation du charmeur hanté par de vagues démons que le jeune Noah Saavedra campe avec un naturel désarmant. Il navigue avec une assurance impressionnante à travers la tendance parfois fâcheuse de la narration de privilégier le passage superficiel sur les événements à l’emphase, tout en préservant une part de mystère conséquente à cet homme qui ne vivait essentiellement que pour son art. Dans une telle course à l’hagiographie à peine voilée, quoique justement à peu près originale par le biais de l’aisance et du goût pour l’ellipse avec lesquels elle nous fait suivre l’enchaînement des séquences, il ne devrait pas rester beaucoup de place pour les facilitateurs. Le choix d’accorder presque autant d’importance au rôle de la sœur qu’à celui de son génie de frère permet cependant à contrecarrer la tentation de mettre ce dernier sur un piédestal trop inatteignable. Bien au contraire, en donnant autant la parole aux femmes, tour à tour dévouées, revendicatrices ou lucides quant aux faiblesses de l’objet de leur désir, le récit fait preuve d’un souci de parité, qui est lui aussi assez finement exprimé et modulé pour ne pas tomber à plat tel un anachronisme criant.

Conclusion

Egon Schiele remplit plus que convenablement son contrat de vulgarisation auprès du public de la vie et du travail d’un peintre à la renommée mondiale. Il y parvient avec une allégresse surprenante ou en tout cas avec suffisamment de doigté formelle pour rester à l’écart des poncifs les plus prohibitifs. Le récit puise une bonne part de sa vitalité de l’interprétation de Noah Saavedra, dans le rôle ambigu d’un artiste prêt à tout donner pour pouvoir peindre et en même temps tristement démuni face aux exigences guerrières et matérielles de son époque.

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