Critique : Vers un avenir radieux

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Vers un avenir radieux

Italie : 2023
Titre original : Il sol dell’avvenire
Réalisation : Nanni Moretti
Scénario : Francesca Marciano, Nanni Moretti, Federica Pontremoli, Valia Santella
Interprètes : Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h36
Genre : Drame, comédie
Date de sortie : 28 juin 2023

3.5/5

Est-il encore besoin de présenter Nanni Moretti, ce grand réalisateur et comédien italien qui va fêter ses 70 ans le 19 août prochain, qui a réalisé son premier long métrage de fiction il y a 45 ans, qui, depuis, en a réalisé 13 autres dont la moitié s’est retrouvée en sélection au Festival de Cannes et qui a obtenu la Palme d’Or en 2001 pour La chambre du fils ? De nouveau en compétition à Cannes avec Vers un avenir radieux, une compétition tellement rude cette année que, malgré la qualité de son film, il est cette fois-ci reparti bredouille.

Synopsis : Giovanni, cinéaste italien renommé, s’apprête à tourner son nouveau film. Mais entre son couple en crise, son producteur français au bord de la faillite et sa fille qui le délaisse, tout semble jouer contre lui ! Toujours sur la corde raide, Giovanni va devoir repenser sa manière de faire s’il veut mener tout son petit monde vers un avenir radieux.

Le film de Giovanni

C’est sans contestation un film politique que Giovanni est en train de tourner : Un film dont l’action se déroule en 1956, en Italie, au moment de la révolte populaire hongroise contre le régime en place et de l’invasion du pays par les troupes soviétiques qui a suivi. Les personnages principaux de son film sont Ennio et Vera. Ennio, c’est le Rédacteur en chef de l’Unità , le journal du Parti Communiste italien. C’est aussi le responsable d’une cellule du Parti et, à ce titre, il est chargé d’accueillir un cirque … hongrois. Pour Giovanni, son film est éminemment politique puisqu’il lui permet de montrer les tergiversations d’Ennio face aux évènements se déroulant en Hongrie, puisqu’il lui permet d’aborder la question du positionnement d’un Parti Communiste d’un pays occidental par rapport à l’Union Soviétique : face à la révolte populaire hongroise, fallait-il rester dans le sillage de Moscou ? D’une manière plus générale, fallait il rester indéfiniment attaché à la politique de l’Union Soviétique ? N’était il pas préférable de suivre une voie indépendante ? Oui, le film de Giovanni est politique, avec, toutefois, un gros bémol : il est totalement déconnecté du contexte contemporain. En effet, le Parti Communiste Italien n’existe plus depuis plus de 30 ans et un assistant de Giovanni tombe des nues quand il apprend que, dans le temps, nombre d’italiens étaient communistes : « les communistes ne vivaient pas qu’en Russie ? », s’étonne-t-il ! Et puis, peut on parler de film politique quand votre actrice principale, celle qui incarne Vera, la maitresse d’Ennio clame qu’ « on s’en fiche de la politique, c’est un film d’amour » ?

Le film de Nanni

Et qu’en est-il du film de Nanni Moretti ? Film politique ? Film d’amour ? Film sur la famille ? Film sur le cinéma ? En fait, c’est un peu tout ça à la fois ! Tout d’abord, il n’est pas besoin d’être sorcier pour deviner qu’il y a beaucoup de Nanni dans le personnage de Giovanni, d’autant plus que c’est Nanni Moretti en personne qui interprète ce rôle, d’autant plus que le véritable prénom de Moretti est … Giovanni. Un Nanni Moretti qui semble désabusé par la situation politique de son pays, ce qui, franchement, n’est pas très difficile à comprendre, mais que la foi dans le cinéma, dans les rêves qu’il permet de réaliser, continue de maintenir en situation de combattant. Par ailleurs, vers un avenir radieux est également un film d’amourS ; un amour qui se termine, celui entre Giovanni et Paola, son épouse, sa productrice qui, pour la première fois, travaille en parallèle sur un autre film que le sien et qui, ne supportant plus la vie avec un homme avec qui elle peut parler de tout, de politique, de cinéma, de travail mais jamais de leurs problèmes personnels, en est arrivée à voir un psy pour préparer son divorce ; un amour qui nait, celui entre Emma, la fille de Giovanni et Paola, avec un homme auquel ils ne s’attendaient pas. Un film sur le cinéma qui voit Giovanni/ Nanni Moretti exprimer une forte opposition aux plateformes telles que Netflix et donner vertement son opinion sur la manière de filmer du réalisateur de l’autre film dont s’occupe son épouse Paola. Et puis, signe des temps, un petit détail : Nanni Moretti a troqué son éternelle Vespa pour une trottinette électrique.

Le casting

Nanni Moretti comédien, on le connait depuis longtemps et pourtant, on trouve le moyen d’être surpris quand on le voit, ou, plutôt, quand on l’entend, dans Vers un avenir radieux : lui dont l’élocution a toujours été particulière trouve ici le moyen de ralentir encore plus son débit, faisant de chacune des phrases qu’il prononce une sorte de sermon difficile à contredire. Dans le rôle de Paola, on retrouve Margherita Buy, la grande comédienne italienne à qui Nanni Moretti a très souvent fait appel depuis 2006 et son rôle de psychologue au secours du pape dans Habemus Papam. Lui aussi très souvent présent chez Moretti, Silvio Orlando campe à la perfection un dirigeant communiste dans le doute, la comédienne italo-tchèque Barbora Bobulova faisant à ses côtés une Vera très crédible. Et comme, dans ce film coproduit par la France, il fallait un comédien français, Mathieu Amalric fait le job (très bien !) dans le rôle de Pierre, coproducteur très particulier du film de Giovanni.

Conclusion

Homme de gauche, Nanni Moretti ne peut qu’être désorienté par l’évolution politique suivie par son pays. C’est par une sorte de farce à la fois désabusée et combative qu’il nous parle des relations de couple, du cinéma et des plateformes et, bien sûr, de politique, n’hésitant pas à faire appel à Aretha Franklin, se transformant un moment en derviche tourneur, empruntant une mise en scène « fellinienne » à la fin de son film. Vers un avenir radieux n’est probablement pas le meilleur film de Nanni Moretti mais c’est un des meilleurs, et c’est déjà beaucoup !

1 COMMENTAIRE

  1. Vers un avenir radieux.
    Un film de Nanni Moretti.
    Vu hier au MK2 Odéon

    Autant vous prévenir tout de suite. Je ne suis ni critique, ni exégète. J’ai lu pourtant quelques commentaires avant de voir ce film et qui m’ont beaucoup étonné, genre: « Un Moretti joyeux, facétieux, amusant » …Diable! L’âge cassant l’aurait-il rangé dans les amuseurs publics? Fini, l’homme de gauche qui, tel Tchekhov brandissant son miroir à ses contemporains, leur disait: « Regardez-vous ! Comme vous vivez mal, Messieurs! ». J’étais donc assis benoîtement dans mon fauteuil m’attendant à m’esclaffer en voyant des scènes rigolotes. Eh bien! Pas du tout!

    Dès son premier regard, j’ai senti qu’il nous préparait quelque chose. L’un de ces tours de vrille dont il a le secret. Et tout de suite, j’ai senti comme un hélicoptère se poser sur ma piste intérieure sans arrêter de faire tourner ses pales pour mettre ma conscience à genoux, si j’ose m’exprimer ainsi.

    J’ai lu ce film en filigrane. J’ai parfaitement suivi l’histoire. Mais ce diable de génie du cinéma a instillé une série de questions qui nous taraudent depuis presqu’un siècle.

    Quand je dis NOUS, j’ose parler des gens de ma génération qui sont nés tout juste avant la guerre, ont découvert le monde tel qu’il était dans les années cinquante et qui se sont engagés  » pour que tout change », écœurés par nos gouvernants. Notamment par les guerres coloniales qu’ils déclenchaient, de jour comme de nuit, abimant l’image révolutionnaire de notre pays. Mais où aller pour faire nombre et peser lors des élections pour être une force d’opposition crédible? Personnellement , j’avais choisi le Parti Communiste.

    Et Moretti lance les dès sur la table. Au risque de la faire tomber dans un fracas épouvantable.

    Il imagine donc,dans son scénario, que le Parti Communiste Italien en 1956, lors de l’invasion de la Hongrie par l’Union Soviétique épaulée par les cinq pays frères, proteste énergiquement et condamne la répression qui a fait des milliers de morts à Budapest. Qu’il rejette la propagande de Kroutchev ( Staline étant mort en 1953) faisant croire, comme le fait Poutine vis-à-vis de l’Ukraine aujourd’hui , que ce sont d’anciens nazis qui ont repris le pouvoir. Alors que c’était des opposants au Parti unique et qu’ils voulaient instaurer la Démocratie.

    Je vous passe les images qu’il faut absolument aller voir. J’en arrive à la fin où il nous montre qu’à la suite de la rupture du P.C Italien avec le P.C. de l’Union Soviétique en 1956, une magnifique parade montre le Peuple délivré de ce lien pesant avec un Parti Communiste qui ne respecte pas les Droits de
    L’ Homme. Envoie ses opposants au Goulag ou les empoisonne secrètement.

    Lors de cette parade finale, on voit tous les protagonistes du film, Moretti lui-même, hilare comme on ne l’a jamais vu. Tous les habitants de Rome leur emboîtent le pas. Visages épanouis comme s’ils sortaient d’une guerre. Heureux d’en être sorti vivants.

    Et s’il en avait été ainsi ? Si les deux partis communistes les plus influents en Europe, le Français et l’italien avaient condamné dès 1956, l’intervention Soviétique ? Répression qui ne pouvait qu’abimer l’image même du communisme. Dont le nom est déjà porteur de liberté et de solidarité avant même son emploi de façon concrète.

    En vérité, je vous le dis. Moretti est un génie. Pas malfaisant du tout. Car au cours de cette fiction baroque, complètement déjantée parfois, il vous distille une grandiose utopie qui nous aurait permis d’ouvrir nos yeux que d’aucuns voulaient voir fermés.

    Serge PAUTHE

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