Critique : The wastetown

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The wastetown

Iran : 2022
Titre original : Shahre Khamoush
Réalisation : Ahmad Bahrami
Scénario : Ahmad Bahrami
Interprètes : Baran Kosari, Ali Bagheri, Babak Karimi, Behzad Dorani
Distribution : Bodega Films
Durée : 1h38
Genre : Drame
Date de sortie : 2 août 2023

4.5/5

Bien qu’il soit déjà âgé de 51 ans, le réalisateur iranien Ahmad Bahrami fait figure de nouveau venu dans le monde du cinéma. En effet, The wastetown n’est que son 3ème long métrage en tant que réalisateur, le premier, Panah, datant de 2017. C’est en 2020, que son très grand talent a été reconnu avec le Prix du Meilleur Film dans la section Orizzonti et le Prix FIPRESCI au Festival du Film de Venise de 2020 pour son deuxième film, The wasteland. Ce film sera sur nos écrans le 6 septembre prochain et, après avoir vu The wastetown, on l’attend avec une grande impatience.

Synopsis : Coupable du meurtre de son mari, Bermani a été emprisonnée pendant 10 ans. Libérée, elle part à la recherche de son jeune fils et se rend à la casse automobile où travaille son beau-frère…

Tout simplement : un chef-d’œuvre !

De nos jours, quels ingrédients sont indispensables pour faire un film qui soit passionnant à regarder, un film pour lequel le qualificatif de chef-d’œuvre n’apparaisse pas comme étant totalement usurpé ? Une histoire compliquée et pleine de rebondissements ? L’histoire racontée dans The wastetown est très simple et il y a relativement peu de rebondissements mais, plutôt, très régulièrement, alors que se déroule le moment présent de l’histoire, la mise à disposition des spectateurs de nouveaux éléments sur le passé de l’histoire. Un format « grande largeur » et de très belles couleurs ? Le format utilisé dans The wastetown est ce qu’on appelle communément le format carré, en fait 1.37 : 1, et le film est en Noir et Blanc. Une mise en scène virtuose donnant à voir les déambulations d’un grand nombre de personnages, qu’ils soient comédiens ou figurants, et faisant appel, pourquoi pas, à d’amples mouvements de grues et/ou à des effets spéciaux ? Le film est une succession de longs plans séquence dans lesquels la caméra embrasse avec douceur un total de 7  personnages et leur environnement, en tournant en rond le plus souvent : rien de spectaculaire mais une forme d’hypnotisation qui gagne petit à petit le spectateur. En résumé, The wastetown ne coche vraiment aucune des cases qui, en général, concourent à faire d’un film un chef-d’œuvre ! Et pourtant, The wastetown, sans aucune exagération, a droit à l’appellation de chef-d’œuvre.

L’histoire est celle de Bermani, une femme qui sort d’une prison où elle a passé 10 ans de sa vie pour avoir tué son mari mais, les preuves n’étant pas suffisantes pour être accusée de meurtre, elle a fini par être relâchée et elle n’a dorénavant qu’un seul objectif : retrouver Parsa, le fils dont elle a accouché en prison et que les autorités ont très vite remis à la famille de son mari. Comme elle l’affirme à plusieurs reprises, elle est prête à tout pour revoir ce fils qu’elle a à peine connu. C’est pourquoi, dès sa sortie de prison, elle a pris la direction de la casse auto où, elle en est certaine, travaille Ebil, un des frères de son mari, un homme qui, forcément, sait où se trouve Parsa. En dire beaucoup plus serait gâcher le plaisir que vous ne manquerez pas de ressentir à la vision de ce film bouleversant qui, grâce à la maestria d’un réalisateur particulièrement inspiré, distille une incroyable tension du début jusqu’à la fin : le film, en vous faisant rencontrer un gardien à la patte folle, Ebil, le patron de la casse, un docteur et 2 autres frères du défunt mari, se chargera de vous distiller petit à petit tous les « petits » détails vous permettant de reconstituer le puzzle de la vie de Bermani.

Pourquoi est-ce un chef d’œuvre ? 

Il sera forcément difficile de contredire Ahmad Bahrami lorsqu’il affirme avoir été beaucoup inspiré par le réalisateur hongrois Béla Tar. Il y a toutefois un autre très grand réalisateur à qui The wastetown fait penser. Il s’agit du cinéaste philippin Lav Diaz. Certes, The wastetown n’a pas la durée des films de Lav Diaz dont le plus court dépasse les 3 heures, mais on retrouve chez l’iranien comme chez le philippin cette façon de rythmer leurs films en insérant des plans de « récupération », de repos, des plans contemplatifs où il ne se passe pratiquement rien, qui viennent se glisser entre les nombreux plans intenses, que cette intensité soit dans le domaine de l’action ou de la parole, toujours concise, toujours très forte. Chez Ahmad Bahrami, les longs plans séquences se présentent le plus souvent comme des cercles, la caméra tournant sur elle-même, parcourant « des yeux » le cimetière de voitures déglinguées, accompagnant un personnage dans une déambulation, s’attardant sur une chienne dont tout laisse à penser qu’elle vient de mettre bas ou sur la machine chargée d’écraser les voitures, arrivant sur des personnages et leur dialogue et repartant dans l’environnement.

Chez Ahmad Bahrami, la vie sans couleur des personnages se retrouve dans le Noir et Blanc, leur vie étriquée dans le format « carré » qui enferme les personnages dans un espace restreint. Par ailleurs, le réalisateur excelle à faire monter la tension en préférant suggérer plutôt que de montrer. C’est ainsi qu’à 3 reprises, on voit Bermani entrer dans le logement de fortune ou le bureau d’un des hommes qu’elle a rencontrés, le gardien, le patron de la casse, Ebil, la porte est refermée et puis … plus rien ! Que se passe-t-il alors derrière la porte ? C’est au spectateur de le deviner. Peut-être sera-t-il aidé en voyant Bermani s’allonger sur une banquette et se recouvrir d’un drap blanc extirpé du sac qu’elle a toujours avec elle ? La casse automobile se situe près d’une grande ville mais on ne saura jamais son nom. Quant à l’époque dans laquelle se situe l’action, elle est laissée à l’appréciation des spectateurs, avec, comme seules pistes pouvant être creusées, les modèles des voitures de la casse, l’absence de téléphone portable et, par contre, un téléphone à cadran sur lequel Bermani repose le combiné. Une telle tension est installée dès le début du film que la présence d’un important accompagnement musical était inutile, voire aurait été nuisible : on entend juste ponctuellement un motif musical, toujours le même, à des moments bien précis. Dans le choix de ses interprètes, en phase avec son choix pour les longs plans séquence, Ahmad Bahrami a privilégié des comédiens de théâtre, « plus à l’aise pour faire des prises longues et sans coupure ». Toutefois, tant Baran Kosari, l’interprète de Bermani, que  Ali Bagheri, l’interprète de Ebil, sont une actrice et un acteur que nous avons déjà vu.e.s dans de nombreux films, par exemple Marché noir et La permission pour la première, La loi de Téhéran et le très récent Les ombres persanes pour le second. Quant à Babak Karimi, l’interprète du patron de la casse automobile, c’est devenu une vieille connaissance pour toutes celles et tous ceux qui suivent de près le cinéma iranien !

Conclusion

Avec Ahmad Bahrami, un nouveau grand réalisateur émerge en Iran et, après avoir vu The wastetown, on attend avec impatience la sortie très prochaine (le 6 septembre) de The wasteland, un film antérieur dont tout laisse espérer qu’il saura nous transmettre les mêmes émotions que The wastetown.

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