Critique : Quai des Orfèvres

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Quai des Orfèvres

France, 1947

Titre original : –

Réalisateur : Henri-Georges Clouzot

Scénario : Henri-Georges Clouzot et Jean Ferry, d’après un roman de Stanislas-André Steeman

Acteurs : Louis Jouvet, Simone Renant, Bernard Blier et Suzy Delair

Distributeur : Les Acacias

Genre : Drame policier

Durée : 1h47

Date de sortie : 8 novembre 2017 (Reprise)

3,5/5

On ne le dira jamais assez, Henri-Georges Clouzot est un grand et même un très grand réalisateur. Comme preuve supplémentaire, après notre découverte enthousiaste des Espions la semaine dernière, on citera Quai des Orfèvres. Considéré à juste titre comme un classique du cinéma français de l’après-guerre, le cinquième long-métrage de Clouzot dépasse en effet son simple cadre d’enquête policière, afin de dresser le portrait saisissant d’une France sachant faire fi de la morosité ambiante. Décrit ainsi, on pourrait s’attendre à un conte de Noël édifiant, où tout le monde en prendrait pour son grade, avant d’échapper in extremis à un châtiment plus ou moins mérité. Or, ce serait mal connaître le regard et le style au scalpel du réalisateur.

Une fois le temps de l’exposition passé, encore tributaire des conventions du genre avec son histoire de jalousie maladive, le récit prend de la vitesse et de l’épaisseur au plus tard lors de l’arrivée de l’inspecteur adjoint, après quarante minutes de film. Louis Jouvet interprète ce fonctionnaire désabusé avec une duplicité impériale. A moins que ce personnage à facettes multiples ne soit tout simplement une variation sur l’homme selon Clouzot, à l’image des suspects qu’il harcèle avec une gouaille fatiguée. Des assassins en herbe, quoique d’ores et déjà pris au piège de troubles profonds de la conscience, auxquels Bernard Blier et Suzy Delair, ainsi que leur complice Simone Renant, confèrent une force tragique redoutable, mais jamais excessive.

© 1947 Lucienne Chevert / Majestic Films / Studiocanal / Les Acacias Tous droits réservés

Synopsis : Le pianiste Maurice Martineau voit d’un mauvais œil la nature frivole de sa femme Jenny Lamour, chanteuse de music-hall. Il la soupçonne sans cesse d’infidélité, alors qu’elle est follement et exclusivement amoureuse de lui. Ses accès de jalousie se focalisent sur Georges Brignon, un producteur aux fréquentations douteuses, dont Jenny espère qu’il pourra lancer sa carrière au cinéma. Maurice va jusqu’à le menacer de mort, quand il empêche à la dernière minute un rendez-vous galant avec sa femme. Il aurait mieux fait de garder son calme, puisque quelques jours plus tard, on retrouve Brignon assassiné chez lui.

© 1947 Lucienne Chevert / Majestic Films / Studiocanal / Les Acacias Tous droits réservés

La main gauche du cœur

Quelle bêtise de notre part de douter du génie de Henri-Georges Clouzot au cours des premières minutes de Quai des Orfèvres ! Sans être mal faite, cette exposition demeure dans les limites d’un engrenage conjugal classique, alimenté par la jalousie pathologique du mari comme carburant / venin. L’immersion du spectateur dans le milieu du spectacle parisien s’y opère certes avec une fluidité notable. Les ragots et autres perceptions hâtives y vont d’emblée bon train. Mais dans l’ensemble, peu de choses distinguent à ce moment l’intrigue de ce que le cinéma français de la deuxième moitié des années 1940 savait faire de plus solide et riche en folklore urbain à cette époque-là.

Ah si, il y a quand même la relation entre Maurice et Jenny dans ses nuances les plus subtiles, qui rendra le reste de l’histoire crédible, sans devoir recourir par la suite aux ressorts les plus théâtraux. Car ni en termes d’origine sociale, ni de beauté physique, les deux époux ne viennent du même monde. Il serait même légitime de dénoncer leur attachement mutuel comme un simple subterfuge scénaristique, si ce n’était pour le jeu à la fois impliqué et authentique des deux comédiens, Blier et Delair, ainsi que la mise en scène de Clouzot. Agile et inventive, cette dernière se montre toujours prête à tenir ce duo de personnages en équilibre, entre son bonheur romantique et la soif d’une réussite artistique individuelle.

© 1947 Lucienne Chevert / Majestic Films / Studiocanal / Les Acacias Tous droits réservés

Toutes les histoires sont sordides

Un équilibre précaire qui bascule en plein dérèglement, dès que le crime irréparable a été commis. Les enjeux dramatiques se déplacent désormais, ne serait-ce qu’à cause de l’arrivée de l’inspecteur Jouvet, l’anti-Poirot et l’anti-Columbo par excellence. En effet, ses méthodes d’enquête n’ont rien de surhumain. Il a beau avoir une expérience considérable, ce sont avant tout les vieilles traditions de l’intimidation policière qui le rapprochent très progressivement du but. De toute façon, personne ne semble s’intéresser réellement à cette affaire crapuleuse. Ce qui importe à présent, c’est le stress d’une culpabilité supposée ou réelle en guise de moteur dramatique.

Et c’est à ce niveau-là que Henri-Georges Clouzot affiche une fois de plus en toute modestie sa maestria cinématographique. Pas en exaspérant la tension entre les deux principaux coupables présumés, mais en élargissant le champ du puzzle policier au-delà de ce couple arrivé au stade final de la détresse. Entre des mains moins adroites, pareil éparpillement aurait sans doute conduit directement au désastre. Ici, il entreprend la construction d’un microcosme passionnant, où l’attention médiatique se traduit par une solidarité inhabituelle entre journalistes et où des rôles très secondaires, comme Pierre Larquey en chauffeur de taxi ou Jeanne Fusier-Gir en dame du vestiaire, peuvent apporter leur part, grâce à leur humanité condensée en une ou deux répliques et quelques secondes à l’écran.

© 1947 Lucienne Chevert / Majestic Films / Studiocanal / Les Acacias Tous droits réservés

Conclusion

Melville ou Clouzot ou bien, pourquoi pas, Melville et Clouzot ? Au fur et à mesure que nous nous familiarisons avec la filmographie du grand H.G., on se demande quel réalisateur français du milieu du XXème siècle était le plus subtilement perfectionniste dans l’agencement de ses petits chefs-d’œuvre. Toujours est-il que Quai des Orfèvres brille par son évocation sophistiquée d’un simple fait divers, autour duquel des monstres sacrés du cinéma national, comme Louis Jouvet et Bernard Blier, tournent respectivement avec une nonchalance et une intensité remarquables. Accessoirement, il s’agit d’un film en avance sur son temps, grâce à l’inclusion d’un enfant métis et d’un personnage lesbien, tous deux dépeints avec beaucoup de naturel et donc sans la moindre pesanteur morale.

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