Critique : Le père de Nafi

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Le père de Nafi

Sénégal : 2019
Titre original : Baamum Nafi
Réalisation : Mamadou Dia
Scénario : Mamadou Dia
Interprètes : Saikou Lo, Alassane Sy, Penda Daly Sy
Distribution : JHR Films
Durée : 1h49
Genre : Drame
Date de sortie : 9 juin 2021

3.5/5

Agé de 37 ans, Mamadou Dia est né et a grandi à Matam, une petite ville au nord du Sénégal, tout près de la Mauritanie. Après des études à l’université de Dakar, il a réussi le concours d’une école de communication et de journaliste. Il a travaillé comme journaliste pendant presque 10 ans, travaillant surtout comme reporter d’images,  jusqu’à ce que lui qui, enfant, n’avait pas le droit d’aller au cinéma, se laisse gagner par l’envie de faire du cinéma, au point de postuler et d’être accepté à la Tisch School of the Arts de l’Université de New York. Après plusieurs court-métrages, il a réalisé Le père de Nafi, son premier long métrage, un film sélectionné dans un très grand nombre de festivals et qui, en particulier, a été doublement récompensé à Locarno 2019 : meilleur premier film et Léopard d’or de la section « Cinéastes du Présent ».

Synopsis : Dans une petite ville du Sénégal, deux frères s’opposent à propos du mariage de leurs enfants. Deux visions du monde s’affrontent, l’une modérée, l’autre radicale. Les jeunes Nafi et Tokara rêvent, eux, de partir étudier à Dakar, la capitale, et de vivre avec leur époque. A la manière d’une tragédie, et alors que s’impose la menace extrémiste, les amoureux doivent trouver un chemin pour s’émanciper des conflits des adultes.

L’opposition entre deux frères

Au bord du fleuve Sénégal, au nord du pays, la vie s’écoule en apparence très calmement dans la petite ville de Yonti. La première personne que nous allons rencontrer s’appelle Tierno : c’est un homme malade, affaibli, mais c’est surtout l’imam de la ville et, à ce titre, il célèbre les mariages. Lorsque, à l’issue d’un de ces mariages, Ousmane annonce l’imminence du mariage entre Tokara, son fils, et Nafi, la fille de Tierno, on commence à se demander si ce calme qu’on a cru percevoir ne va pas se transformer en tempête. En effet, Ousmane est le frère de Tierno, Tokara est donc le cousin de Nafi, et Tierno, trouvant sa fille trop jeune pour être mariée, n’est pas favorable à ce mariage. Par ailleurs, autant Tierno est un imam tolérant, un imam dont la fille n’est même pas voilée et qui pratique un islam qui n’a pas complètement coupé les ponts avec l’animisme, autant Ousmane, par conviction ou par ambition politique, tient à afficher une pratique de l’islam très rigoriste, très extrémiste : il a effectué le pèlerinage de La Mecque et tient à ce que tout le monde le sache, il formule le souhait que sa nièce et future belle-fille se convertisse au port du voile  et, désirant devenir le maire de Yonti, il ne va pas hésiter à faire entrer le loup dans la bergerie, en faisant appel au Cheikh Amir, un terroriste intégriste installé en Mauritanie, afin d’obtenir le soutien financier lui permettant d’arroser les électeurs et, accessoirement, payer les frais de la noce familiale. Une fois le loup entré dans la bergerie, est-il possible de le faire sortir ?

Un islam paisible et détendu dans un pays musulman  

Au Sénégal, plus de 90 % de la population est de confession musulmane, mais, contrairement au Mali voisin, c’est un pays qui n’a pas subi, jusqu’à présent, les affres d’un islam violent, d’un islam terroriste, d’un islam intolérant, d’un islam qui asservit. Ce pays a même eu à sa tête, pendant 20 ans, de 1960 à 1980, un Président de la République de confession catholique, Léopold Sédar Senghor. Lorsque Mamadou Dia est arrivé aux Etats-Unis, il s’est aperçu de l’inquiétude qu’il générait dans ce pays lorsqu’il racontait qu’il était musulman, que son père était un imam, comme son grand-père et son frère, il s’est aperçu que ses interlocuteurs n’arrivaient pas à comprendre qu’un islam paisible et détendu pouvait exister et il a très vite fini par trouver pesant le fait de devoir sans cesse se justifier. Par ailleurs, lui qui avait eu souvent l’occasion d’aller au Mali durant ses 10 années de reporter d’images, il s’est rappelé de la surprise qu’avait représentée pour lui l’arrivée de l’extrémisme islamiste dans ce pays aux habitants a priori très pacifiques. C’est ainsi qu’est née chez lui l’envie de réaliser Le père de Nafi, un film parlant de la religion dans son pays d’origine, décrivant une situation qui, pour l’instant, n’existe pas au Sénégal, mais dont seul un optimiste béat peut être certain qu’elle n’existera jamais. Les deux conceptions antagonistes de l’islam décrites dans Le père de Nafi, ce sont deux frères qui les incarnent, donnant à ce film une allure de tragédie grecque. Quant à l’importance donnée dans ce film à tout ce qui concerne l’institution du  mariage, le but était de montrer le caractère communautaire des relations entre les familles ou à l’intérieur d’une famille et comment l’extrémisme religieux pouvait venir corrompre ces mécanismes communautaires.

Matam, Yonti

C’est à Matam, sa ville d’origine, que Mamadou Dia a choisi de poser sa caméra. Une ville qu’il a rebaptisée Yonti parce que la plupart des acteurs de son film sont des non professionnels habitant à Matam et qu’ils auraient été gênés d’avoir à se fondre, dans leur propre ville, dans des rôles extérieurs à leur vie de tous les jours, et ce, encore plus dans un contexte d’arrivée d’un terrorisme islamique qu’ils n’ont jamais rencontré dans la vraie vie. C’est ainsi que Ablaye Dicko, qui joue le maire de Yonti, a travaillé pendant vingt-cinq ans à la mairie de Matam et il n’arrivait pas à s’imaginer maire de cette ville. Etre le maire de Yonti, c’était différent, et il a pu sans peine se mettre dans la peau du maire le plus hautain parmi ceux qu’il avait connus. Ces habitants de Matam sont pour la plupart des peuls et leur langue est le pular, la langue qu’on entend dans le film. Une langue que les habitants de Matam parlent lentement, un rythme dont Mamadou Bia a souhaité s’inspirer pour cadencer son film.

Seuls, les interprètes de Tierno et de Ousmane sont des comédiens professionnels. Né en Mauritanie et élevé au Sénégal, Alassane Sy, l’interprète de Tierno,  est tout à la fois comédien, mannequin, réalisateur et fondateur du magazine Nataal. Malgré la maladie dont souffre son personnage, il dégage  tout au long du film un mélange de calme et de force tranquille. Saikou Lo, l’interprète de Ousmane, est surtout un acteur de théâtre, même s’il faisait partie de la distribution de La Pirogue, film présenté à Cannes 2012 dans la sélection Un Certain Regard. Le reste de la distribution a été choisi lors d’auditions réalisées à Matam et, malgré leur absence totale d’expérience cinématographique, ces « comédiennes » et ces « comédiens » affichent toutes et tous un talent plus qu’honorable. Quant à la photographie, magnifique, on la doit à Sheldon Chau, un Directeur de la photographie né à Los Angeles et aux origines cantonaises. 

Conclusion

Depuis plusieurs années, le cinéma africain qui arrive sur nos écrans vient plus souvent du Maghreb que de l’Afrique noire. On apprécie donc particulièrement l’apparition d’un nouveau réalisateur sénégalais dont le premier long métrage, Le père de Nafi, est tout à la fois esthétiquement très beau, bien interprété et, surtout, fort intéressant dans le contexte actuel.

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