Critique : Piccolo corpo

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Piccolo corpo

Italie, France, Slovénie : 2021
Titre original : –
Réalisation : Laura Samani
Scénario : Marco Borromei, Elisa Dondi, Laura Samani
Interprètes : Celeste Cescutti, Ondina Quadri
Distribution : Arizona Distribution
Durée : 1h29
Genre : Drame
Date de sortie : 16 février 2022

4/5

Née en 1989 à Trieste, Laura Samani a d’abord fait des études de philosophie et de littérature avant de se tourner vers le cinéma, tout d’abord comme étudiante au Centre Expérimental de cinéma de Rome, puis en réalisant La santa que dorme, un court métrage très bien accueilli dans de nombreux festivals. Piccolo corpo est son premier long métrage, et ce film a fait partie de la sélection de la Semaine de la Critique lors du dernier Festival de Cannes.

 Synopsis : Italie, 1900. Le bébé de la jeune Agata est mort-né et ainsi condamné à errer dans les Limbes. Il existerait un endroit dans les montagnes où son bébé pourrait être ramené à la vie, le temps d’un souffle, pour être baptisé. Agata entreprend ce voyage et rencontre Lynx, qui lui offre son aide. Ensemble, ils se lancent dans une aventure qui leur permettrait de se rapprocher du miracle.

Tout faire pour éviter les limbes

Dans le Frioul du début du 20ème siècle, un enfant mort avant d’avoir été baptisé et qui, à ce titre, ne méritait ni le paradis, ni l’enfer ou le purgatoire, était censé rejoindre les limbes et y errer pour toujours. L’enfant dont Agata a accouché était mort-né et, alors que le père se contente d’un « On en fera d’autres », cette maman est prête à croire l’homme qui lui parle d’un sanctuaire niché dans la montagne et dans lequel on ferait revenir à la vie les enfants mort-nés, le temps d’un souffle, leur permettant ainsi d’être baptisés et enterrés dans une sépulture chrétienne. A peine remise de son accouchement, inconsciente des risques qu’elle va prendre, persuadée qu’elle va arriver à faire baptiser sa fille, Agata prend la route. Alors qu’elle a porté cet enfant dans son ventre pendant 9 mois, c’est sur son dos qu’elle l’installe, reprenant sous une autre forme la relation symbiotique qu’elle a eue avec sa fille. Tout au long de son périple, des décisions vont devoir être prises, comme celle consistant à passer au travers d’une montagne, ce qui permet de gagner 2 jours sur le trajet mais que des mineurs slovènes déconseillent de prendre car les femmes ne doivent pas entrer à l’intérieur de la montagne sinon elles n’en ressortent pas. Une superstition bien masculine mais partagée par des femmes présentes sur les lieux. Tout au long du périple, les rencontres vont être nombreuses, des femmes de pêcheurs, des voleurs de grand chemin, de riches propriétaires intéressés par le lait maternel d’Agata, des femmes intéressées par ses cheveux, des mineurs superstitieux. Toutefois, la plus importante est sans conteste celle de Lynx, un personnage qui connait bien la région et qui se propose de conduire Agata vers le sanctuaire.

La naissance d’une grande réalisatrice

Empruntant le parcours d’Agata pour se rendre au sanctuaire, Piccolo Corpo a été tourné dans la chronologie, le plus souvent caméra à l’épaule, tout en étant tributaire des aléas de la météo. Cet effort d’authenticité est renforcé par l’utilisation des dialectes locaux, le frioulan et le vénète, celui pratiqué par Agata étant différent de celui de Lynx. Lynx, un personnage dont on se demande très longtemps s’il s’agit d’un jeune homme ou d’une jeune femme, jusqu’au moment où, lors d’un passage d’Agata et de Lynx dans le hameau où habitent ses parents, le doute disparait : peut-être du fait des mauvaises conditions faites aux femmes à cette époque et dans cette région, cette jeune femme a décidé de prendre l’apparence d’un homme et de se comporter comme un homme, tout en se montrant capable de reprendre l’attitude que l’environnement social du moment attendait d’une femme à la fin du film. Cette fin, parlons en, ou plutôt, c’est à vous qu’il va être demandé d’en parler ! En effet, la conclusion du film, très ambigüe, ouvre la porte à plusieurs interprétations : il serait amusant et intéressant que vous alliez dans le volet intitulé « Laisser un commentaire » qui se trouve en bas de cette critique afin de vous exprimer sur l’interprétation que VOUS privilégiez. En tout cas, quelle que soit l’interprétation qu’on peut avoir, on ne peut s’empêcher de penser, lorsqu’on quitte  Piccolo corpo,  qu’on vient d’assister à la naissance d’une grande réalisatrice qui sait sortir des sentiers battus et qui pratique avec dextérité l’art de l’ambigüité.

A une exception, des comédiens et des comédiennes novices

A l’exception de Ondina Quadri qui interprète le rôle de Lynx et qui est une comédienne confirmée, déjà récompensée en 2016 par le Globe d’or de la meilleure actrice pour sa prestation dans Ariana de Carlo Lavagna, tous les autres interprètes de Piccolo corpo n’avaient jamais joué devant une caméra. C’est en sillonnant le Frioul pendant plus d’un an, en entamant des conversations avec les gens qu’elle rencontrait que Laura Samani a construit la distribution de son film. C’est bien sûr à Celeste Cescutti, choisie pour interpréter le rôle d’Agata, que la réalisatrice a consacré le plus de temps afin de lui permettre de se fondre dans son personnage de femme volontaire, prête à toutes les transgressions pour arracher sa fille à l’errance permanente dans les limbes. Quant à la très belle photographie, c’est à Mitja Licen, un Directeur de la photographie slovène, qu’on la doit.

Conclusion

Laura Samani : retenez ce nom ! Avec Piccolo corpo, cette jeune réalisatrice italienne signe un premier long métrage qui sort vraiment de l’ordinaire, mais qui reste longtemps dans la mémoire. Utilisant avec beaucoup de doigté les superstitions du nord-est de l’Italie, prenant le risque de dialogues utilisant des dialectes locaux, montrant une grande maitrise dans l’art de l’ambigüité, tant en ce qui concerne le sexe de Lynx que dans la conclusion de son film, Laura Samani n’hésite pas à prendre des risques qui, in fine, s’avèrent particulièrement payants.

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