Critique : Mourir peut attendre

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Mourir peut attendre

Royaume-Uni, États-Unis, 2021

Titre original : No Time to Die

Réalisateur : Cary Joji Fukunaga

Scénario : Neal Purvis, Robert Wade, Cary Joji Fukunaga et Phoebe Waller-Bridge

Acteurs : Daniel Craig, Léa Seydoux, Rami Malek et Lashana Lynch

Distributeur : Universal Pictures International France

Genre : Action

Durée : 2h43

Date de sortie : 6 octobre 2021

3/5

Est-ce que l’anticipation maintes fois repoussée d’un film peut influer sur notre perception subjective ? Dans le cas du nouveau James Bond, dont la sortie mondiale a été décalée plusieurs fois à cause de la pandémie du coronavirus, une chose est sûre : c’est une histoire du monde d’avant qui nous y est contée, avec tout ce que cela implique en termes de valeur nostalgique ajoutée. Car les ressorts et autres passages obligés de l’univers du plus célèbre des agents secrets nous sont amplement familiers au bout de plus de vingt films. A chaque nouvelle aventure revient alors la charge considérable de réinventer la formule, voire de réussir le grand écart entre une prémisse née en pleine Guerre froide et une actualité géopolitique sans cesse changeante. Mourir peut attendre s’y emploie consciencieusement. A l’image de son héros qui n’aspire qu’à une retraite amplement méritée, le film de Cary Joji Fukunaga y procède pourtant avec un certain élan poussif, dépourvu de l’envergure de fin de règne qui avait fait de Skyfall de Sam Mendes l’un des meilleurs épisodes du cycle Daniel Craig.

En effet, comme chant de cygne extra-long et extra-large de l’interprétation de l’acteur dans ce rôle emblématique hors normes, quinze ans après l’avoir endossé une première fois de façon si convaincante dans Casino Royale de Martin Campbell, ce James Bond-ci fait presque pâle figure. On y retrouve certes tous les ingrédients qui avaient fait auparavant le succès de la série : de l’action spectaculaire, des gadgets détonants et de belles femmes, ainsi qu’un camp d’adversaires coriaces, prêts à tout pour plonger l’humanité toute entière dans le chaos. Mais la recette si éprouvée ne fait plus mouche ici. Tout juste se conforme-t-elle à nos attentes, peut-être trop longuement éprouvées par les reports successifs, plutôt indépendants de la volonté des producteurs. Sauf que – gâté par ces deux films précités, lorsque une épopée de l’agent 007 a su être plus, bien plus qu’une madeleine filmique quelque peu démodée –, on avait sans doute tort d’espérer un bouquet final à la hauteur de la conclusion digne et percutante de l’ère Craig.

© 2020 Eon Productions / Danjaq / Metro-Goldwyn-Mayer / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Synopsis : James Bond paraît enfin avoir trouvé un peu de tranquillité d’esprit aux côtés de la psychiatre Madeleine Swann. Mais leurs vacances en Italie se soldent par un carnage, qui laisse l’ancien agent de sa majesté tirer définitivement un trait sur ses aspirations romantiques. Cinq ans plus tard, il a raccroché pour de bon le smoking de son ancienne activité. Son passé le rattrape pourtant à travers une mission que son ami de la CIA Felix Leiter lui soumet dans sa cachette aux Caraïbes. Il s’agit de retrouver le scientifique Valdo Obruchev, qui se serait emparé d’une nouvelle technologie particulièrement dangereuse.

© 2020 Eon Productions / Danjaq / Metro-Goldwyn-Mayer / Universal Pictures International France Tous droits réservés

La routine du crépuscule

Quatre sorties au volant de bolides à vitesse redoutable et en tandem avec de belles compagnes plus ou moins fiables ont laissé des traces chez le personnage mondialement connu, que Daniel Craig incarne donc depuis 2006. Son air désabusé montre plus que jamais des signes de fatigue. Ceux-ci sont à la fois physiques et mentaux, puisque son cœur n’est décidément plus dans la chasse sisyphéenne des méchants grandiloquents de ce bas monde. Autrefois un tombeur de femmes invétéré, le James Bond des années 2020 glisse de surcroît inextricablement vers le piège de la sédentarité et de la responsabilité. C’est a priori l’esprit de notre époque qui le veut. Et tant mieux, même si la recherche d’un successeur à Craig s’apparentera plus que jamais à la traversée d’un champ de mines à l’issue incertaine ! En même temps, ce nouveau rôle, plus respectable et par conséquent moins souverainement séduisant, résulte d’une redondance accrue du personnage dans un contexte qui lui échappe doublement. A la fois à cause des enjeux de ce nouveau monde numérisé et d’une surenchère de l’action sur grand écran, dont les lettres de noblesse n’appartiennent plus de façon exclusive à James Bond depuis longtemps.

Pour Mourir peut attendre, cela signifie une certaine incongruité de ton et d’objectif dramatique. Puisque au fond, le pauvre James n’a plus de raison de rigoler librement, sans contrainte, ni prise en compte des dommages collatéraux qu’il cause partout sur son passage, les petites piques verbales et les moments d’affichage ostentatoire du luxe ont tendance à sonner aussi faux que le plan de la douche en pleine forêt tropicale. L’un comme l’autre, ils relèvent de la servilité narrative envers un cahier de charges préétabli depuis des décennies. La mise en scène de Cary Joji Fukunaga s’y plie de manière docile, quoique sans y apporter une densité cinématographique au delà de la moyenne des aventures bondiennes. Au moins, Daniel Craig dispose toujours de la classe nécessaire pour entrer par exemple avec un flegme impressionnant dans le lobby d’un hôtel, juste après avoir été tabassé longuement par une bande de tueurs acharnés. Toutefois, cette même impassibilité nous empêche de réellement nous sentir affectés par l’étau se resserrant autour du personnage pendant les dernières minutes du film.

© 2020 Eon Productions / Danjaq / Metro-Goldwyn-Mayer / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Plus rien à sauver

En somme, Daniel Craig remplit avec une résignation presque triste les dernières clauses de son contrat. Or, ses prédécesseurs n’avaient pas non plus brillé par des épilogues mémorables, quand le temps était venu de passer le relais. De toute façon, la qualité d’un Bond ne se définit pas seulement par la vitalité de son personnage central. Elle peut aussi découler d’adversaires plus grands que nature. Hélas, à ce niveau-là, Mourir peut attendre préfère de même jouer la carte de la conformité au statu quo, au lieu de creuser réellement une quelconque complexité scénaristique. Toute la bande des acolytes et autres ennemis de longue date y est certes réunie. Mais aucune dynamique iconoclaste ne se dégage de ce socle désormais amplement connu. Ainsi, les complices du protagoniste, Naomie Harris en Moneypenny et Ben Whishaw en Q, ne font guère plus que de la figuration bienveillante. Quant à Ralph Fiennes en M, le bureaucrate rapetissé derrière son bureau, son sursaut final en maître de guerre improvisé arrive bien trop tard pour ne pas nous faire regretter la présence plus laconique de Judi Dench dans ce même rôle dans sept films antérieurs.

Pour paraphraser Alfred Hitchcock, le maître du suspense et de la perversion subtile au cinéma, un thriller ne vaut jamais mieux que le degré machiavélique de son méchant. En ce sens, difficile aussi de nous enthousiasmer corps et âme pour ce James Bond, à mi-chemin entre les clichés du passé et une prise de conscience agréablement lucide du déplacement des champs de bataille. La sensation de menace qui émane et de Rami Malek en empoisonneur invétéré, et de Christoph Waltz en rescapé éphémère de 007 Spectre de Sam Mendes, s’avère en fait limitée, aussi parce qu’ils se cannibalisent mutuellement en termes de plans de domination du monde farfelus, voire fouillis. Car au fond, le pire ennemi de Bond ici est lui-même, largement à bout de souffle et donc urgemment en attente d’une petite cure de jouvence.

© 2020 Eon Productions / Danjaq / Metro-Goldwyn-Mayer / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Conclusion

Il y a des crus de James Bond avec et il y en a sans. Mourir peut attendre n’atteint certainement pas le niveau du divertissement accompli qu’étaient quasiment tour à tour Casino Royale et Skyfall. Particulièrement par rapport à ce dernier, le quatrième film de Cary Joji Fukunaga fait figure d’élégie arrivée en retard, quand l’addition des qualités et des défauts de l’univers de Bond avait d’ores et déjà été établie avant lui. Ce qui ne veut pas non plus dire que le spectacle soit excessivement bancal ici. Néanmoins, on aurait préféré voir Daniel Craig prendre son dernier Martini dans la peau de Bond sous forme d’une œuvre filmique – et pas uniquement commerciale – plus vigoureuse ou, à défaut, solennellement crépusculaire.

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