Critique : Moffie

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Moffie

Afrique du Sud : 2019
Titre original : –
Réalisation : Oliver Hermanus
Scénario : Oliver Hermanus, Jack Sidey, d’après le roman de André Carl van der Merwe
Interprètes : Kai Luke Brummer, Ryan de Villiers, Hilton Pelser, Matthew Vey
Distribution : Outplay
Durée : 1h44
Genre : Drame, Romance, Guerre
Date de sortie : 7 juillet 2021

3.5/5

En réalisant Moffie, le sud-africain Oliver Hermanus était certainement conscient de la chance qu’il a eu de naître en 1983. Pensez donc : non seulement il est noir, mais en plus il est homosexuel, deux raisons pour être totalement rejeté de la « bonne » société sud-africaine au début des années 80. Aujourd’hui, l’apartheid n’existe plus en Afrique du Sud, la situation des homosexuels s’est améliorée dans de nombreux pays et Oliver Hermanus est un réalisateur reconnu : Shirley Adams, son premier long métrage, était en compétition à Locarno en 2009, Beauty, le deuxième, était à Un Certain Regard de Cannes 2011 et il y a remporté la Queer Palm, La rivière sans fin, le troisième, était en compétition officielle à Venise en 2015 et Moffie était également à Venise, en 2019, dans la sélection Horizons.

Synopsis : 1981, Nicholas a 18 ans, comme tous les jeunes blancs Sud-Africains de son âge, il doit accomplir son service militaire pendant deux ans. Durant cette période, le gouvernement sud-africain, blanc, raciste et ségrégationniste, mène une politique étrangère qui vise à combattre les communistes et die swart gevaar : « le danger noir ». Nicholas est envoyé sur le front au sud de l’Angola pour défendre le régime de l’apartheid. Il tente alors de survivre tant aux horreurs de la guerre qu’à la brutalité de l’armée.

1981 : bienvenue dans l’armée de l’Afrique du Sud !

Moffie, le titre du film, c’est le terme argotique utilisé en Afrique du Sud pour insulter les homosexuels. En 1981, dans ce pays, il n’était bien sûr pas bon être noir. Mais il n’était pas bon, non plus, être gay. Et pas bon, non plus, être communiste ou avoir de la sympathie pour les noirs. En 1981, Nicholas Van der Swart, à l’instar des jeunes sud-africains blancs de son âge, doit partir faire son service militaire en pleine période de guerre de la frontière entre l’Afrique du Sud et l’Angola. Pour la très grande majorité de la population blanche, il s’agit de défendre le pays, les femmes et les enfants contre une double menace : l’Angola, pays indépendant depuis 1975, c’est une population noire et, en plus, c’est un pays gouverné par les communistes ! Pour Nicholas, Nick pour les intimes, c’est l’ « occasion » de faire connaissance avec l’armée de son pays, une armée à l’époque totalement noyautée par les afrikaners et dans laquelle le seul langage utilisé est l’afrikaans. Le seul langage ou, plutôt, le seul aboiement ! En permanence, les insultes pleuvent sur les pauvres bidasses de la part des gradés : avorton, boutonneux, petite merde, etc. Plus, bien sûr, toutes les insultes sexistes et homophobes qui ont cours dans toutes les armées du monde, genre gonzesse ou pédé. Et puis, en prime, toutes les provocations, toutes les humiliations imaginables. Tout cela sous la bénédiction de Dieu qui, bien sûr, ne se trompe jamais. Dès le discours de « bienvenue » de la part d’un gradé, les choses sont claires : « communisme, fainéantise, homosexualité, sympathie pour les nègres et toute forme d’insubordination ne seront tolérés ». Pour Nick, né d’un père et d’une mère anglophones mais dont les parents ont divorcé et dont la mère est remariée avec un afrikaner, l’adaptation est d’autant plus difficile que, depuis longtemps déjà, il se sent attiré par les personnes de son sexe et que, à l’armée, son entourage n’est constitué que de personnes de son sexe. Pour Nick, va planer en permanence la menace d’un séjour au service psychiatrique Ward 22, installé dans un hôpital proche de Pretoria, un lieu où, à l’époque, étaient envoyés les conscrits soupçonnés d’homosexualité et où se déroulait un programme pour combattre l’homosexualité dans l’armée, à base de tortures physiques et psychologiques.

 

Deux particularités

Tout cinéphile qui se respecte a eu, à de nombreuses reprises, l’occasion d’assister à la formation des recrues au sein d’une armée. Partout sur la planète, ce sont les mêmes officiers, les mêmes sous-officiers qui se délectent à humilier, à insulter les bidasses qui leur sont confiés dans le but, toujours le même, d’en faire des hommes, des vrais, bouffis de virilité et prêts à obéir dans toutes les situations. De ce point de vue, rien de bien nouveau dans Moffie. Sauf que l’armée de l’Afrique du Sud période apartheid présente deux particularités que le film laisse plus ou moins deviner aux spectateurs des autres nations. Tout d’abord, dans ce pays dont la grande majorité de la population est noire, seuls les jeunes blancs étaient soumis à la conscription. Ensuite, dans ce pays dont une partie importante de la population est anglophone, on est surpris de n’entendre que de l’afrikaans de la part des officiers et des sous-officiers. On est surpris et le film, et c’est assez normal, ne donne aucune explication à ce sujet. Si vous êtes curieux ou curieuse, sachez que, officiellement, les utilisations respectives de l’afrikaans et de l’anglais devaient grossièrement respecter les proportions d’afrikaners et d’anglophones dans la population blanche, avec, en conséquence, 4 jours par semaine durant lesquels l’afrikaans devait être utilisé et 3 jours avec utilisation de l’anglais. Mais, l’armée sud-africaine de l’époque étant noyautée par les afrikaners, les 3 journées en anglais se résumaient en un « good morning » matinal, suivi par l’utilisation exclusive de l’afrikaans le reste de la journée. 

Une adaptation sans excès

Moffie a d’abord été un roman, écrit en 2006 par André Carl van der Merwe à partir des notes qu’il avait prises durant son service militaire, un roman par conséquent très autobiographique et qui racontait la souffrance qu’il avait connue durant ces 2 années au début des années 80, lui l’homosexuel qui « ne pouvait trouver d’aide ou de compréhension ni auprès de sa famille, ni auprès de son église, ni auprès de ses amis ». La lecture de ce roman a été un choc pour Oliver Hermanus. Comme il le reconnait lui-même, il n’avait jamais accordé beaucoup d’importance aux difficultés que pouvaient rencontrer les blancs sud-africains, des gens qui, selon lui, menaient une vie facile. Le livre d’André Carl van der Merwe lui a fait prendre conscience que des hommes blancs avaient également souffert au sein de ce régime d’apartheid, que certains d’entre eux avaient même été totalement détruits du fait de cette parenthèse dans leur vie qu’avait représentée leur service militaire. Du roman, il a fait une adaptation qui refuse de tomber dans un certain nombre d’excès. En effet, on ne peut pas parler d’excès quant à la façon dont les conscrits sont traités, la dureté, voire la cruauté, auxquelles on assiste n’étant certainement en rien exagérée, et sinon, dans les domaines de la mort et de l’amour, on est vraiment aux antipodes de l’excès : quand un conscrit, poussé à bout, finit par se suicider ou quand un soldat est touché mortellement au combat, le réalisateur ne s’attarde pas du tout sur la scène et passe très vite à autre chose. Quant aux démonstrations d’amour entre 2 hommes, elles ne vont guère plus loin qu’un court baiser sur la bouche. Cette retenue inhabituelle au cinéma finit presque par nuire au film qui, parti sur des bases très solides, se met vers la fin à emprunter parfois des chemins trop légers, le réalisateur donnant alors l’impression de se cabrer devant l’obstacle d’une certaine crudité assumée.

La réalisation de Moffie a duré 4 ans, avec un obstacle majeur, le casting, vu le grand nombre de personnages ayant à peu près 18 ans pour lesquels il fallait trouver les interprètes adéquats. Ce casting, finalement, est composé de lycéens, d’acteurs confirmés ou non-confirmés. La production leur a fait passer du temps avec un conseiller militaire et ils ont assisté à un camp d’entraînement de l’armée sud-africaine. On leur a appris à tirer avec des fusils R1 et ils ont participé à des exercices militaires. Tout cela donne une grande crédibilité aux scènes du film que ce soit les scènes de formation ou les scènes de combat. Se greffe là dessus une très belle photo qu’on doit surtout à Jamie Ramsey mais aussi aux magnifiques paysages de l’Afrique du Sud

Conclusion

Oui, Moffie est un film sur la formation des recrues au sein d’une armée, un de plus diront les blasé.e.s. Sauf que celui-ci présente un certain nombre de particularités qui en font un film « tout neuf » qui nous en apprend beaucoup sur l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid. Une de ses qualités réside dans la très grande retenue du réalisateur face à ce qui touche à la mort, à ce qui touche à l’amour entre deux hommes. Son seul défaut réside dans le fait que le réalisateur va même parfois un peu trop loin dans cette retenue.

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