Critique : Manchester by the sea

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Etats-Unis, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Kenneth Lonergan
Scénario : Kenneth Lonergan
Acteurs : Casey Affleck, Michelle Williams, Kyle Chandler, Lucas Hedges
Distribution : Universal Pictures International France
Durée : 2h15
Genre : Drame
Date de sortie : 14 décembre 2016

5/5

Kenneth Lonergan est un cinéaste au parcours pour le moins atypique. Auteur de 3 films en 16 ans, il est surtout connu des cinéphiles pour les déboires que son superbe Margaret a connus. Tourné en 2005, sorti aux Etats Unis en 2011, sa douloureuse gestation aurait sans doute de quoi occasionner un documentaire passionnant. Également dramaturge ayant écrit plusieurs pièces renommées, il revient donc au cinéma avec ce film qui, depuis sa présentation au festival de Sundance début 2016, ne cesse de faire parler de lui comme d’un sérieux challenger pour les Oscars. Si ce type de « buzz » n’est évidemment pas un gage de qualité, la personnalité de son auteur, pratiquant un cinéma éloigné des tics du cinéma indépendant américain contemporain, fait ici toute la différence …

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Synopsis : Lee Chandler, dont le frère vient de décéder brutalement, revient dans la ville de son enfance, qu’il avait quittée après une tragédie personnelle, afin de s’occuper de son neveu dont son frère l’a rendu tuteur légal. Il devra faire face à son ex femme et à son passé qui le hante …

 

Pudeur exemplaire avec une pointe de lyrisme

Si ce type de synopsis peut faire redouter un drame calibré pour Sundance, avec tous les clichés rattachés à ce type de cinéma, on comprend très vite que l’on n’est pas dans un film banal et que l’on passera par tous les stades émotionnels que l’on est droit d’attendre d’un tel sujet. Les personnes ayant vu Margaret savent que le cinéma de Kenneth Lonergan, malgré ses grandes ambitions lui faisant adopter des durées imposantes, sur des bases scénaristiques dignes de tragédies grecques, est avant tout intimiste, et s’intéresse à ses personnages et leurs fêlures, plus qu’à toute autre chose. Ainsi, loin de toute prétention, il laisse ses personnages exister, ce qui passe par des scènes à priori banales, où la vie se déroule simplement, avec ses drames semblant insurmontables, et ses moments d’apaisement. Manchester by the sea est dans le même ton, malgré un point de départ très lourd, propice aux débordements mélo. Et pourtant, il adopte la même structure que son film précédent, avec ses personnages banals à qui il arrive des choses horribles, et qui tentent de survivre avec leurs moyens, même s’ils doivent pour cela prendre des décisions qui chambouleront leur existence.

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Le personnage de Lee Chandler, interprété par un Casey Affleck impressionnant en route pour les Oscars, sous ses airs d’ours mal léché, peu aimable, a vécu un drame insupportable dont il se sent responsable et dont il porte la culpabilité depuis. Une tragédie qui a détruit son couple et qui l’a éloigné de sa ville natale, où un deuxième drame l’amène à revenir. Le drame inaugural sera évoqué lors d’un flash-back où le réalisateur n’hésite pas à tomber dans le lyrisme, avec un score classique particulièrement beau, qui, associé à la puissance dramaturgique de la scène, provoque un véritable choc laissant quelque peu terrassé. Là où n’importe qui d’autre en aurait rajouté des couches pour faire pleurer le spectateur, la démarche du cinéaste reste ici d’une pudeur exemplaire, même lorsque le personnage racontera ce qui s’est passé dans une scène bouleversante où Casey Affleck se montre particulièrement expressif et poignant, sans tomber dans la performance trop voyante. Le film, qui jusque là était déjà très convaincant dans son atmosphère et ses personnages immédiatement identifiés et attachants, comme dans une série de qualité, trouve toute son ampleur narrative à ce moment.

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Le moindre instant de vie est un enjeu dramatique intéressant

Et c’est là que l’on mesure les talents de scénariste, directeur d’acteur et metteur en scène de Kenneth Lonergan. Car réussir à faire passer en 2h15 qui passent en un éclair, tant d’émotions diverses, sans jamais se répéter, et sur un même rythme calme et fluide, est une réelle preuve d’intelligence de l’auteur sur son histoire. Évitant d’en rajouter dans la noirceur ou le misérabilisme, il reste d’une rare sobriété, se concentrant avant tout sur le parcours du neveu (Lucas Hedges), en pleine adolescence, qui a du mal à exprimer ses émotions, et donne l’impression d’être plus intéressé par ses problèmes liés à cette période de la vie, que par le drame touchant sa famille. La justesse de son interprétation et des situations force là aussi l’admiration. Tout paraît évident, on ne se pose jamais la question du réalisme de telle ou telle situation, tant tout est authentique et vrai. Le récit s’écoule tranquillement, sans précipitation, et les spectateurs habitués au cinéma hollywoodien où tout enjeu est expédié risquent de trouver qu’il ne se passe rien.

Pourtant, le moindre instant de vie de ce film est un enjeu dramatique intéressant, valant bien toutes les explosions du monde. Voir, dans un film américain contemporain, un cinéaste redonner du temps au temps, avec ces petits riens faisant le quotidien et qui sont plus émouvants que tous les super-héros du monde, fait un bien fou. Tout le casting est au diapason, le moindre second rôle ayant son importance. On ne peut donc passer sous silence l’interprétation une fois de plus magnifique de Michelle Williams, qui en une scène située quasiment à la fin du film, fait passer toutes les émotions du monde avec son regard triste et compassionnel dont la profondeur laisse le spectateur totalement désarmé. Tout le monde le sait, c’est une grande comédienne, à la carrière discrète mais impeccable, qui mériterait bien d’être enfin récompensée par l’académie des Oscars, même si cela serait ici en second rôle. Kyle Chandler, en quelques scènes, réussit à faire exister un personnage pas facile, à travers des flashs back. Il serait fastidieux de tous les citer, mais la justesse de chacun des comédiens du film est à noter.

Manchester by the sea fait partie de ces films, qui par la puissance d’évocation de ses thématiques, et la sobriété de son exécution, pourra parler à chaque spectateur d’une façon différente, selon son vécu, et qui nous accompagnera toute une vie. On pourra tout à la fois être touché par les épreuves frappant les personnages et dont chaque être humain pourra forcément se sentir empathique, que par la beauté de personnages magnifiques justement dans leur banalité. Ce sont des braves gens, cherchant coûte que coûte à trouver un peu de bonheur, à qui la vie ne fait pas de cadeaux, mais qui malgré tout s’accrochent à ce qu’ils peuvent et continuent à vivre, tout simplement. La subtilité dont Kenneth Lonergan fait preuve dans ses choix de mise en scène, ne tirant jamais la couverture à lui, avec un découpage modeste, sans grands mouvements de caméra, est au diapason de ses personnages. Il ne faut pourtant pas voir ici un manque de talent ou d’ambition, seulement un cinéaste ayant l’intelligence de rester en retrait, tout en ne négligeant par une certaine qualité formelle, notamment avec une très jolie photographie hivernale, loin du gris si souvent subi dans ce type de film.

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Conclusion

Il ne faut absolument pas manquer ce film, sans doute le plus beau de l’année, qui, quel que soit le bilan des Oscars 2017, restera clairement dans les mémoires de tous ceux qui auront eu la chance de le voir. Si le terme chef d’œuvre est un rien galvaudé, étant utilisé un peu à tort et à travers, ce film sans imperfection, parfait de tous les côtés, bouleversant dans sa simplicité et ses enjeux universels parlant à tout un chacun, peut se vanter d’en être un vrai, dont on sait qu’il ne vieillira pas, et pourra être revu régulièrement, nous touchant chaque fois d’une manière différente.

1 COMMENTAIRE

  1. Une fois de plus, les bras m’en tombent : comment un tel film arrive-t-il à réunir autant d’avis positifs, tant chez les spectateurs que chez les critiques ? Certes, l’histoire est superbe et, bien traitée, elle aurait pu donner naissance à un film dégageant beaucoup d’émotion sans que le réalisateur ait besoin de se forcer. Eh bien là, le réalisateur en rajoute un max en matière de recherche d’émotion et pourtant, personnellement, je n’en ai ressenti aucune. Comme le film dure 2 h et 18 minutes, autant vous dire que je me suis beaucoup, beaucoup ennuyé ! Mais au fait, pourquoi ai-je écrit que le réalisateur en rajoute un max en matière de recherche d’émotion ? Tout simplement, parce qu’il a cru devoir insuffler de l’émotion au travers des musiques choisies pour accompagner un certain nombre de scènes. De très belles musiques, certes, mais qui aurait été inutiles si Kenneth Lonergan avait bien fait son boulot de metteur en scène ! Et puis quand, sur la scène la plus pathétique, vous vous trouvez face à face avec l’adagio d’Albinoni à fond la caisse, vous ne pouvez pas vous empêcher de flipper et de trouver la ficèle vraiment trop grosse.

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