Critique : Les feuilles mortes

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Les feuilles mortes 

Finlande : 2023
Titre original : Kuolleet lehdet
Réalisation : Aki Kaurismäki
Scénario : Aki Kaurismäki
Interprètes : Alma Pöysti, Jussi Vatanen, Janne Hyytiäinen, Nuppu Koivu
Distribution : Diaphana Distribution
Durée : 1h21
Genre : Drame, Comédie, Romance
Date de sortie : 20 septembre 2023

4/5

En tant que cinéphile, on a parfaitement le droit d’être triste, de se sentir abandonné, lorsqu’un réalisateur dont on a vu à peu près tous les films, dont on a grandement apprécié à peu près tous les films, annonce qu’il met fin à sa carrière. Cette tristesse a été ressentie par de nombreux cinéphiles en 2017 lorsque le réalisateur finlandais Aki Kaurismäki a annoncé que L’autre côté de l’espoir serait son dernier film et qu’il allait prendre sa retraite. Et puis, superbe surprise, 2023,  voilà qu’arrive un nouveau film de Kaurismäki, Les feuilles mortes, il est sélectionné pour le festival de Cannes, et ce « petit » film, ce film modeste, ce film court, confronté à la meilleure sélection de ces dernières années, s’en est sorti avec un Prix du Jury amplement mérité. 

Synopsis : Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacun tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Mais la vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur.

Tendresse et humour

Ansa, Holappa, une femme, un homme. Elle travaillait dans un supermarché et elle a été renvoyée pour avoir tenter d’emporter un produit périmé destiné à la poubelle. Lui ne cesse de se faire renvoyer du fait de son goût prononcé pour la picole. Ansa a une amie, Liisa, avec qui elle fait de temps en temps des sorties nocturnes. Holoppa a un ami, Huotari, un homme dont la voix lui permet de briller lors des soirées karaoké. C’est d’ailleurs dans une de ces soirées que Holappa et Huotari vont faire connaissance avec Ansa et Liisa. Le hasard faisant bien les choses, Ansa et Holappa vont se rencontrer à nouveau et il devient vite évident que ces 2 « losers » dont la vie est loin d’être rose ont tout pour s’entendre, à une importante nuance prêt : quand elle s’aperçoit du penchant pour Holappa pour la bouteille, Ansa lui fait la remarque qu’elle ne se voit pas sortir avec un alcoolo, ce que Holappa prend très mal. Prend très mal dans un premier temps, mais l’homme est vraiment tombé amoureux et il va vraiment mettre tout en œuvre pour retrouver Ansa ! Quant à Huotari, il aimerait bien revoir Liisa, quand bien même il est très amer que cette dernière l’ai trouvé trop vieux ! A la lecture de ce qui se précède, vous vous êtes peut-être dit qu’on était en plein mélo avec de la guimauve au dessert. Si c’est le cas, c’est que vous avez oublié une chose, une chose importante : on est chez Kaurismäki, un magicien capable de transformer n’importe quelle histoire en bijou de tendresse et d’humour. Et, dans ce qui est en quelque sorte le 4ème volet de sa trilogie du prolétariat, après Ombres au paradis en 1986, Ariel en 1988,  et La fille aux allumettes en 1990, une fois de plus, il réussit son tour de magie.


2 minutes sont suffisantes ! 

Comment peut-on expliquer qu’il ne faut guère plus de 2 minutes pour deviner qu’on est en face d’un film de Aki Kaurismäki ? Entendons nous bien : avec le son coupé, sinon ce n’est pas du jeu ! Tout d’abord, il y a l’image, celle, très caractéristique, du Directeur de la photographie Timo Salminen qui travaille auprès de Kaurismäki depuis 40 ans. Certes, il travaille également avec d’autres réalisateurs et son travail, même s’il est toujours de grande qualité, est alors très différent, comme dans Jauja de Lisandro Alonso. Chez Kaurismäki, Salminen peaufine des plans magnifiques, au cadrage millimétré, souvent dans des atmosphères nocturnes où viennent se mettre en avant des couleurs « vintage » nous rappelant le cinéma des années 60. Ensuite, il y a la dégaine des interprètes, presque toujours statiques et arborant des coupes de cheveux nous paraissant très improbables. Ressort aussi le côté cinéphile du réalisateur (un réalisateur très axé sur le cinéma des années 60 et 70, un admirateur de la Nouvelle Vague française qui avait fait tourner Jean-Pierre Léaud dans J’ai engagé un tueur), avec toutes ces affiches qui ornent la devanture du cinéma où se rencontrent Ansa et Holoppa. Des affiches de films anciens, Bresson, Godard, etc., venant confirmer le désir de Kaurismäki de proposer un récit non daté. Et puis, il y a tous ces petits détails incongrus qui font le charme des films de Kaurismäki : par exemple, un calendrier de 2024 juste au dessus d’un vieux téléphone à cadran. Si vous remettez le son, c’est bien sûr encore plus facile : rares sont les réalisateurs pour lesquels le finnois est la langue qu’on entend dans leurs films ! Mais il y a aussi la bande son, avec le goût toujours vivace de Kaurismäki pour les groupes finlandais des années 70, tels, ici, The Hurriganes et Rauli Badding Somerjoki.

Approche sociale et humour pince-sans-rire 

Chez Kaurismäki, il y a presque toujours une approche sociale dans ses films. Dans ce film qui clôture sa trilogie du prolétariat, elle est bien sût particulièrement présente. Toutefois, cette approche est très différente de celle d’un Ken Loach, plus feutrée, moins frontale, plus proche, finalement, de celle de Charlie Chaplin. C’est surtout l’empathie qu’il a pour ses héros prolétariens que l’on ressent. Kaurismäki ne nous fait pas ressentir de la même façon la perte d’emploi de Ansa et celles de Holappa : autant celle de Ansa est présentée comme étant particulièrement injuste, autant celles de Holappa sont la conséquence logique de son alcoolisme alors qu’il travaille dans des environnements dangereux. Peut-on faire un rapprochement entre Holappa et le réalisateur, ce dernier, c’est de notoriété publique, ayant un certain penchant pour les boissons alcooliques ? Faut-il penser que  Kaurismäki aurait, c’est le cas de le dire, mis de l’eau dans son vin, quand on voit que son personnage se convertit à la sobriété lorsqu’il se met en tête de reconquérir Ansa ? Qui sait !

Comme on l’a vu plus haut, Aki Kaurismäki prend bien soin de brouiller les pistes afin d’éviter qu’on se polarise sur une date précise durant laquelle se déroulerait l’action de son film. Cela n’empêche pas qu’il y ait un élément récurrent relativement précis en la matière : toute radio allumée tombe immanquablement sur des informations concernant la guerre en Ukraine ! Quant à l’humour de Kaurismäki, devenu avec le temps une véritable marque de fabrique à laquelle on fait souvent référence, il est toujours aussi pince-sans-rire. Comme à cette sortie du film de zombies The dead don’t die de Jim Jarmush où un spectateur donne son avis : « Ce film m’a fait penser au Journal d’un curé de campagne, de Bresson ». Ce à quoi un autre spectateur lui répond : « Moi, c’est plutôt à Bande à part, de Godard ». Comme cette conversation entre deux femmes où l’une affirme que « tous les hommes sont des porcs », ce à quoi l’autre réplique « C’est faux, les porcs sont futés et sympathiques ».

Bien que nouveaux chez Kaurismäki, Alma Pöysti et Jussi Vatanen, qui jouent Ansa et Holappa, ont parfaitement endossé les costumes d’interprètes de son cinéma. Quant à Janne Hyytiäinen et Nuppu Koivu qui interprètent les rôles plus mineurs de Huotari et Liisa, il et elle avaient déjà joué pour Kaurismäki et savaient donc déjà ce qu’il attendait d’eux.
 

Conclusion

Dans la période bien noire que nous traversons, on a vraiment besoin de réalisateurs comme Aki Kaurismäki, de son humanisme, de son humour. Certes, son cinéma n’est pas tout rose, il est même parfois franchement noir, mais il se dégage tellement d’empathie pour les personnages que, film après film, on arrive à voir, in fine, une belle lumière s’échapper de l’obscurité.

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