Critique : Le traître

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Le traître

Italie : 2019
Titre original : Il traditore
Réalisation : Marco Bellocchio
Scénario : Marco Bellocchio, Valia Santella, Ludovica Rampoldi, Francesco Piccolo
Interprètes : Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido, Fabrizio Ferracane
Distribution : Ad Vitam
Durée : 2h31
Genre : Biopic, drame, thriller
Date de sortie : 30 octobre  2019

4/5

Cinq mois se sont écoulés depuis la distribution des prix au Festival de Cannes 2019 et on ne comprend toujours pas comment Le traître de l’octogénaire italien Marco Bellocchio a pu repartir bredouille de la cérémonie. On n’a pas voulu donner une Palme d’or pourtant méritée à un réalisateur dont le premier long métrage, Les poings dans les poches, est sorti en 1965 ? Passe encore, mais qu’au moins on décerne le Prix d’interprétation masculine à Pierfrancesco Favino, extraordinaire dans le rôle d’un mafieux repenti !

Synopsis : Au début des années 1980, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, en Italie, les règlements de comptes s’enchaînent, et les proches de Buscetta sont assassinés les uns après les autres. Arrêté par la police brésilienne puis extradé, Buscetta, prend une décision qui va changer l’histoire de la mafia : rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à Cosa Nostra.

Une histoire vraie

Tommaso Buscetta : c’est l’histoire d’un homme qui a réellement existé, un mafioso sicilien de Palerme, que nous raconte Marco Bellocchio dans Le traître.  Un homme qui, pour fuir la justice italienne ou les exactions de familles mafieuses rivales, a traversé plusieurs fois l’Atlantique afin de  trouver refuge aux Etats-Unis ou au Brésil. Un homme qui n’a jamais cherché à atteindre les postes les plus importants de Cosa nostra, considérant que « La baise vaut mieux que le pouvoir ». Lorsque, au début des années 80,  le clan des Corleonesi de Salvatore Riina a déclenché la 2ème guerre de la mafia, assassinant entre autres les chefs de la mafia de Palerme, celle dont il était membre, Tommaso Buscetta était au Brésil, échappant ainsi à une mort quasi certaine. Une mort à laquelle deux fils de Buscetta et d’autres membres de sa famille n’ont, par contre, pas réussi à échapper. Arrêté au Brésil et renvoyé en Italie, ces événements ont poussé Tommaso Buscetta à  collaborer avec le juge Falcone, devenant au choix un repenti ou un traître, deux appellations qu’il se refusait à accepter, considérant que c’était Cosa nostra qui avait trahi ses propres règles d’honneur avec le trafic d’héroïne et la profusion de règlements de compte.

La représentation grandiose d’un procès historique

Dans des films comme Buongiorno, notte et Vincere, il était déjà arrivé à Marco Bellocchio de s’intéresser à l’histoire de son pays. Par contre, il n’avait encore jamais choisi Cosa nostra comme thème d’un de ses films. Pour traiter ce thème, le choix du personnage principal était vaste : le juge Falcone ? Salvatore Riina ? un autre juge ou un autre chef de Cosa nostraBellochio a jeté son dévolu sur un homme qui prétendait n’être qu’un simple soldat au service de l’organisation mais qui était quand même surnommé « le boss des deux mondes », un homme qui, par ses révélations  a permis l’arrestation de 475 membres de l’organisation criminelle et la condamnation de 360 d’entre eux : Tommaso Buscetta. Le film ne prétend pas raconter tout ce que Buscetta a vécu, de sa naissance à Palerme en 1928 jusqu’à sa mort en Floride en 2000, en passant par son entrée dans la Mafia en 1945 : un tel film aurait duré une bonne dizaine d’heures ou n’aurait fait qu’effleurer les moments les plus importants de son existence. Même si il arrive de temps en temps que le passé de Buscetta soit évoqué, même si l’attentat du juge Falcone, filmé depuis l’intérieur de la voiture dans laquelle il se trouvait, fait l’objet d’une scène de cinéma extaordinaire, on retient avant tout du film les conversations entre Buscetta et le juge Falcone, la représentation du « maxi-procès » de Palerme et les suites de ce procès, lorsque Tommaso Buscetta passe les dernières années de sa vie sous une fausse identité aux Etats-Unis.

Né à Palerme comme Buscetta, Falcone a su faire preuve de beaucoup de psychologie dans ses rapports avec son concitoyen, l’amenant à donner un maximum de détails sur le fonctionnement interne de Cosa nostra. Du séjour de Buscetta aux Etats-Unis qui succéda au procès de Palerme, on retient sutout la scène où, se croyant protégé par sa fausse identité, il s’aperçoit que Cosa nostra est sans doute sur sa piste lorsque, dans un restaurant, en présence de sa famille, un chanteur lui fait comprendre qu’il sait qu’il est sicilien. Une scène qui montre de manière éloquente ce que peuvent être les troubles que peut engendrer la situation de cavale vécue par Tommaso Buscetta. Toutefois, les scènes les plus fortes du film, les plus mémorables, celles qui contribuent le plus à faire de Le traitre un grand film, sont celles consacrées au procès qui a suivi les révélations de Buscetta, ce procès qui a duré près de 2 ans, en 1986 et 1987, et qui a été appelé le maxi-procès de Palerme. Par une mise en scène exceptionnelle de précision et de virtuosité, Marco Bellochio nous montre des scènes de tribunal qui s’apparentent à des jeux du cirque, avec une palanquée d’accusés vitupérants, présentés comme des animaux en cage, dégoulinants de haine et de cruauté, face à un Tommaso Buscetta droit dans ses bottes.  

Une très grande interprétation de Pierfrancesco Favino

Le traitre n’est pas le premier film à s’intéresser aux rapports entre Tommaso Buscetta et le juge Falcone. On peut citer à titre d’exemple un téléfilm américain dirigé en 1999 par Ricky Tognazzi et intitulé Falcone contre Cosa nostra, téléfilm qu’une chaîne payante a très opportunément rediffusé juste avant le dernier Festival de Cannes.

En complément de la mise en scène au cordeau de Bellocchio, Le traitre méritait une grande interprétation de la part du comédien s’appropriant le rôle de Tommaso Buscetta : celle de Pierfrancesco Favino est plus que grande, elle est gigantesque. Il arrive à faire passer de façon magistrale les forces et les fêlures d’un homme qui n’est jamais présenté comme étant un héros sans peur et sans reproche, d’un homme qui prend une décision difficile pour protéger son existence, mais aussi parce qu’il ne se reconnait plus dans une organisation dans laquelle il était entré pour des raisons plus culturelles que criminelles et dont il pense qu’elle a trahi ce qui, pour lui, s’apparentait à un code d’honneur. Même si le Prix d’interprétation masculine attribué à Antonio Banderas pour son rôle dans Douleur et gloire de  Pedro Almodóvar n’est pas vraiment un scandale, on peut quand même s’étonner que le jury de Cannes 2019 soit passé à côté de l’interprétation de Pierfrancesco Favino.

Conclusion

Un film passionnant, haletant, un film qui a su utiliser à bon escient les moyens importants dont il a manifestement disposé, une interprétation remarquable, tout particulièrement celle de Pierfrancesco Favino dans le rôle principal, que des bonnes raisons pour aller voir Le traitre et augmenter le nombre des cinéphiles qui s’étonnent que ce film soit reparti bredouille du dernier Festival de Cannes.

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