Critique : Oleg

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Oleg

Lettonie, Lituanie, Belgique, France : 2019
Titre original : –
Réalisation : Juris Kursietis
Scénario : Juris Kursietis, Liga Celma-Kursiete, Kaspars Odins
Interprètes : Valentin Novopolskij, Dawid Ogrodnik, Anna Próchniak
Distribution : Arizona Distribution
Durée : 1h48
Genre : Drame
Date de sortie : 30 octobre  2019

3.5/5

Bien qu’ayant été présenté dans un très grand nombre de festivals et  y avoir obtenu de nombreuses récompenses, Modris, le premier long métrage du réalisateur letton Juris Kursietis, n’a connu aucune sortie dans notre pays. Il n’en est pas de même pour Oleg, le deuxième, grâce, sans doute, au fait qu’il a fait partie de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes 2019.

Synopsis : Oleg, jeune boucher letton, débarque à Bruxelles dans l’espoir d’avoir un meilleur salaire, dans une usine de viande. Sa vie sans grand espoir se complique encore lorsqu’il tombe sous le joug d’un criminel polonais.

L’agneau et le loup

C’est sur un lac gelé, puis, dans l’eau, sous un toit de glace, que l’on fait connaissance d’Oleg, les images étant accompagnées d’un dialogue entre Oleg et sa grand-mère à propos de l’agneau sacrificiel : « Cette histoire n’est pas triste, elle est pleine d’espoir » dit la grand-mère. « Comment peut-elle être pleine d’espoir si l’agneau meurt », lui répond Oleg. « Tu ne comprends pas que la mort n’était pas importante », s’exclame la grand-mère. C’est alors qu’Oleg a commencé à avoir peur et qu’il a compris que c’était lui, l’agneau.

Cet agneau, nous allons le suivre à Bruxelles où il a la possibilité d’exercer son métier : boucher. Une situation qui doit lui permettre d’envoyer de l’argent à sa grand-mère restée en Lettonie, mais que Oleg va perdre à cause  d’une dénonciation mensongère de la part d’un collègue. C’est alors que, poussé par le besoin, l’agneau Oleg va se retrouver sous la coupe du loup Andrzej, un polonais fantasque qui se présente comme à même de fournir du travail et un logement mais qui, en fait, mène à la baguette un groupe d’immigrés en provenance des pays de l’est de l’Europe.

Les non-citoyens de Lettonie

Bien que se déroulant en Belgique, Oleg nous parle avant tout de la Lettonie. C’est ainsi que nous est dévoilée l’existence d’une  population particulière de ce pays : les non-citoyens. En effet, lorsqu’elle est devenue indépendante en 1991, la Lettonie n’a accordé la citoyenneté lettone qu’aux personnes qui l’avaient avant le 17 juin 1940 et à leurs descendants. Les autres, en majorité des russophones russes, ukrainiens et biélorusses, sont considérés comme des non-citoyens. Ils n’ont pas le droit de vote et de nombreuses professions leur sont fermées. Oleg fait partie de cette population fantôme ce qui, bien sûr, explique beaucoup de choses sur son comportement : habitué à ne pas vraiment exister dans son pays, habitué à n’avoir que des droits restreints, sous l’emprise permanente d’une dépendance psychologique, il retrouve face à la violence d’Andrzej ses réflexes d’agneau sacrifié, tout au moins au début de leur relation.

Si Oleg arrive parfois à exister, c’est aux yeux des femmes. Vous savez, ces êtres qui, justement, n’ont pas la possibilité d’exister par elles-mêmes dans de nombreux pays. Il est évident que Oleg existe bien aux yeux de sa grand-mère à qui il téléphone régulièrement et à qui il voudrait bien envoyer l’argent que Andrzej ne lui donne jamais malgré le travail effectué. Pour Malgosia aussi, Oleg n’est pas vraiment un fantôme : petite amie d’Andrzej, elle aussi subit son comportement violent et inconstant et elle apprécie la douceur et la gentillesse d’Oleg. Et puis, il y a Zita, pour qui Oleg va exister le temps d’une nuit : Zita est une compatriote plus âgée que lui, rencontrée lors d’une soirée privée en l’honneur d’une compagnie théâtrale lettone, une « groupie » qui va mettre Oleg dans son lit, le croyant membre de la troupe théâtrale, et le jeter sans ménagement lorsqu’il lui annonce naïvement qu’il est boucher et non comédien. Pour elle, Oleg existait tant qu’il était comédien, il n’a plus droit à l’existence en tant que boucher !

Proche des Dardenne

On retrouve dans le film de Juris Kursietis un certain nombre de points communs avec ceux réalisés par les frères Dardenne. Le principal, bien sûr, c’est la caméra à l’épaule qui suit de très près un personnage. Pour le réalisateur, se tenir tout près d’Oleg était essentiel. Il voulait que tout l’espace soit rempli par son visage, d’où l’utilisation du format 4/3. Quant à la caméra choisie, une Alexa mini, ses dimensions et son poids de 2.3 kg permettaient au chef opérateur de tourner dans des endroits très exigus. Très Dardenne aussi, tout en étant proche, également, de Ken Loach, la description d’une situation sociale difficile, avec un pays européen, la Belgique, dans lequel vivent dans la précarité des travailleurs clandestins,  dans lequel s’organisent des mafias comme celle menée par Andrzej, et dont la police, bien qu’étant au courant de ces pratiques d’un autre âge, ne fait pas grand chose pour traquer les criminels et aider les clandestins qui sont sous leur coupe.

Les non-citoyens de Lettonie étant russophones, Juris Kursietis envisageait au départ de confier le rôle d’Oleg à un russe ou, à défaut, à un ukrainien. C’est finalement un comédien lituanien, Valentin Novopolskij, qui a obtenu le rôle. A noter que les langues jouent un rôle important dans Oleg : 6 langues différentes y sont entendues, le russe, le polonais, le letton, l’anglais, le français et le flamand, et il n’aurait pas été inutile qu’un jeu de couleur au niveau du sous-titrage permette de différencier les dialogues en russe de ceux en polonais ou en letton. Quant à l’utilisation de l’anglais, il est à la fois triste et savoureux de prendre conscience, une fois de plus, que cette langue est celle qui permet le dialogue entre européens de pays différents alors que le Royaume-Uni est sur le point de quitter l’Europe ! Quant à Dawid Ogrodnik et Anna Próchniak, qui interprètent remarquablement les rôles de Andrzej et de Malgosia, ils ne sont pas des inconnus pour les cinéphiles, le premier ayant tenu un rôle important dans 11 minutes et, surtout, dans Ida, la seconde faisant partie de la distribution de Les innocentes.

Conclusion

Bien qu’étant parfois un peu confus dans sa réalisation, Oleg a le grand mérite de renouveler la façon d’aborder les phénomènes de migration de populations au cinéma. En effet, dans Oleg, les immigrés ne viennent pas du sud, ils sont européens, et ils sont exploités par des compatriotes ou par des ressortissants d’un pays voisin.

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