Critique : Le Mouton enragé

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Le Mouton enragé

France, Italie, 1974

Titre original : –

Réalisateur : Michel Deville

Scénario : Christopher Frank, d’après le roman de Roger Blondel

Acteurs : Jean-Louis Trintignant, Jean-Pierre Cassel, Romy Schneider, Jane Birkin

Distributeur : Panocéanic Films

Genre : Drame

Durée : 1h45

Date de sortie : –

3/5

En allant droit au but, c’est ainsi que Michel Deville a conçu Le Mouton enragé, son conte moral investi à la fois d’une immense efficacité narrative et d’un constat guère édifiant sur l’état d’esprit de rigueur en France dans les années 1970. A partir d’un jeu existentiel mené tel un pacte machiavélique entre un comptable insignifiant et son ami écrivain, un diable boiteux par excellence, le réalisateur dresse le portrait au vitriol d’une ascension sociale qui connaît de moins en moins de limites, ni de scrupules. Cet hymne ironique au volontarisme dans son état brut résonne presque tristement de nos jours, alors que l’avancement personnel prime hélas de plus en plus sur le bien commun dans notre pays à l’heure actuelle. Sauf que dans le cas présent, l’opportunisme débridé du personnage principal se voit tout de même remis à sa place, à intervalles irréguliers, par des touches féminines inattendues. Ainsi, ce petit parvenu sans âme, ni argent, auquel Jean-Louis Trintignant prête ses traits mi-dépités, mi-fiévreux avec une désinvolture passionnante, a encore quelques leçons de vie à prendre chez ses amantes successives, qui passent à vitesse variable dans son lit. Or, ce n’est point d’un conte sulfureux dans la tradition de Casanova qu’il s’agit ici, mais plutôt d’une farce au fond grave et réfléchi, qui prend un tournant tragique avant même que l’homme d’affaires, téléguidé depuis un bistrot, n’ait complètement achevé son cursus d’imposteur.

© 1973 Olivier Regad / Viaduc Productions / T.R.A.C. Cinematografica / Panocéanic Films
Tous droits réservés

Synopsis : Le comptable Nicolas Mallet mène une existence terne, dépourvue de rencontres avec le sexe opposé, seulement ponctuée de rendez-vous avec son ami Claude Fabre, un écrivain au succès mitigé qui donne des cours d’assistance scolaire dans un café. Un jour, dans un parc près de la gare, Nicolas ose néanmoins aborder la jeune Marie-Paule, qui regarde les trains passer. Elle accepte de le revoir et finit même par coucher avec lui. Étonné par tant de hardiesse, Claude lance alors le défi à son ami de tout plaquer, afin de devenir au fil de ses conseils un homme riche, capable de posséder toutes les femmes qu’il désire.

© 1973 Olivier Regad / Viaduc Productions / T.R.A.C. Cinematografica / Panocéanic Films
Tous droits réservés

Les idées préconçues des hommes

Ce n’est pas que l’évolution des pratiques d’utilisation des sièges dans les jardins publics à Paris – payante à l’époque ! – , qui donne un petit coup de vieux à Le Mouton enragé. Certains jeux sexuels orchestrés au détriment des femmes paraissent de même douteux de nos jours, quand une telle représentation du déséquilibre des forces dans les échanges érotiques n’est plus considérée acceptable. En effet, Michel Deville adopte bel et bien le point de vue masculin dans ce film, qui se situe rétrospectivement en plein cœur de son illustre filmographie. Ce point de vue y est par contre moins célébré par le biais d’une fière allure virile de la part des hommes qui peuplent le récit, que plutôt interrogé sans ménagement, jusqu’à l’absurde. Peu importe que ce soit Nicolas, entreprenant seulement quand on le pousse à quitter sa zone de confort, son maître vaguement bienveillant, à qui Jean-Pierre Cassel confère l’air profondément triste du grand frustré, ou bien les hommes, pour la plupart de riches notables, dont ils se servent sans gêne : personne parmi eux ne dispose réellement de la recette miracle pour faire fortune et trouver en même temps le bonheur. Pire encore, c’est davantage le caractère dupe de tous ces énergumènes, qui se rêvent tour à tour, voire simultanément étalon, député ou millionnaire, qui les rassemble qu’une quelconque ambition clairement définie.

© 1973 Olivier Regad / Viaduc Productions / T.R.A.C. Cinematografica / Panocéanic Films
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Attendre quelqu’un qui n’arrivera jamais

Heureusement pour eux – et dans une moindre mesure pour nous, spectateurs, pris dans le tourbillon d’une progression sociale sans fondement, ni fondations – , il y a les femmes. Et quelles femmes, puisque le zigzag assez chaotique du personnage principal le conduit vers un trio de partenaires de sexe, impérativement, et d’affaires, en option, merveilleusement complémentaire ! D’abord, celle qui a permis à cet introverti effacé de sortir un peu de sa coque, à qui Jane Birkin fait le cadeau précieux d’une innocence justement pas si crédule, nostalgique de leur premier coup de foudre et pourtant lucide quant au rôle secondaire qu’elle devra jouer dans le grand stratagème d’une prise de pouvoir improvisée au gré des missions données. Puis l’adorable Romy Schneider avec un personnage à fleur de peau, pour qui tout cela est moins un divertissement adultère qu’une invitation à mieux jongler entre ses casquettes de mère, d’épouse et d’interlocutrice de lions. Enfin, la seule à affronter à armes égales cet homme ayant pris goût à la domination nihiliste, la seule à chasser sur son nouveau terrain des mondanités intéressées et peut-être même la seule à vivre une forme de féminisme sans œillères, une femme, une vraie quoi – à moins qu’elle ne soit le reflet sublime de la cruauté masculine – , c’est-à-dire l’irrésistible Florinda Bolkan. Grâce à cette triple défense contre les stéréotypes, le récit ne devient jamais tendancieux. Il ne s’assoupit pas non plus sur les acquis d’un conte moral dont le dénouement s’avère en fin de compte aussi malicieux que tout ce qui lui a précédé.

© 1973 Olivier Regad / Viaduc Productions / T.R.A.C. Cinematografica / Panocéanic Films
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Conclusion

Quelque part entre ses contemporains Claude Chabrol et Claude Miller, Michel Deville s’est aménagé un formidable jardin secret cinématographique sur la perversion au quotidien de la classe moyenne française. Une œuvre qui ne fait malheureusement pas si souvent l’objet de rétrospectives intégrales – comme au printemps dernier à la Cinémathèque Française – ou de ressorties partielles – comme en ce moment dans le cadre d’un cycle Romy Schneider à l’Écoles Cinéma Club – , mais qui mérite néanmoins de rester présente et vive dans la mémoire des cinéphiles ! Le Mouton enragé est alors le parfait exemple de la dissection sans merci des failles de l’âme française, vaguement ambitieuse, mais surtout d’une laideur opportuniste prononcée. Ce petit morceau de bravoure est de surcroît porté par d’excellentes interprétations de la part de légendes du cinéma français comme Trintignant, Cassel, Birkin et Schneider.

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