Critique : Le Dernier des juifs

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Le Dernier des juifs

France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Noé Debré
Scénario : Noé Debré
Acteurs : Michael Zindel, Agnès Jaoui, Solal Bouloudnine et Eva Huault
Distributeur : Ad Vitam Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h30
Date de sortie : 24 janvier 2024

2,5/5

Avec un titre pareil, le premier long-métrage de Noé Debré s’est d’emblée mis dans une position provocatrice. Car peu importe le contexte de l’actualité géopolitique, le fait d’aborder la communauté juive en France et ailleurs s’accompagne toujours de son lot de polémiques rarement constructives. Or, à l’image de son personnage principal, Le Dernier des juifs ne cherche nullement la bagarre dans les médias et sur les réseaux sociaux.

La confession du brave héros s’y affiche au mieux comme un signe distinctif aux traits folkloriques, au lieu de l’engager malgré lui dans des guerres idéologiques en banlieue parisienne. Ainsi, il a beau être le dernier de son quartier, avec sa mère souffrante qui ne rêve que d’en partir, à aucun moment cet aspect de survivance en territoire hostile ne se solde par un sursaut identitaire. Et c’est hélas là où le bât blesse dans cette comédie au ton doux-amer, sans hostilité, ni propos marquant.

La fidélité à l’état d’esprit très mou de Ruben, campé sans fausse pudeur, ni vanité par Michael Zindel, prend en effet des allures de préjudice pour le récit, au fur et à mesure qu’il devient clair que ce jeune adulte n’acquerra jamais de quoi s’affranchir de sa condition de fils dépourvu de but dans sa vie. Et même si l’on considère ce film guère déplaisant comme un pamphlet discret contre le volontarisme, il ne reste pas moins tributaire d’une trame qui suit docilement le personnage principal dans son piétinement sur place, très pauvre en conséquences.

Avec une voix off un brin trop intrusive en prime, la mise en scène de Noé Debré ne réussit à arracher la narration à une certaine torpeur qu’à deux reprises. Justement, quand la façade de la fadeur quotidienne basée sur le mensonge montre ses fissures et que la mère et son fils se rendent mutuellement compte que l’une n’est pas dupe des subterfuges de l’autre et vice versa.

Synopsis : Âgé de 26 ans, Ruben Bellisha n’a jamais connu autre chose que sa vie de quartier dans un HLM avec sa mère Giselle. Puisque cette dernière ne sort que rarement de chez elle, son fils lui fait croire que la vie de quartier juive continue comme avant. Mais l’un après l’autre, les commerces spécialisés dans une clientèle juive ferment. Et si c’était l’occasion de concrétiser enfin le projet de déménagement que la mère malade cultive depuis des années ? Mais pour aller où ? A Saint-Mandé, dans le 17ème arrondissement de Paris, voire en Israël, où le seul avenir professionnel qui s’offre à Ruben, sans diplôme et sans métier, serait de s’engager dans l’armée ?

© 2023 Simon Birman / Moonshaker Films / The Living / L’Embellie / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Il est tout de même étonnant de constater qu’un réalisateur débutant comme Noé Debré, à l’expérience de scénariste déjà fort solide grâce à ses collaborations depuis une dizaine d’années avec des cinéastes comme Kim Chapiron, Jacques Audiard, Romain Gavras et Michel Hazanavicius, n’ait pas trouvé une matière dramatique un peu plus fournie que celle du Dernier des juifs ! Il ne s’y passe pas grand-chose, en raison d’un protagoniste mollasson, confronté tout juste à des micro-événements globalement sans gravité. De surcroît, le seul art que Ruben paraît maîtriser est celui du mensonge de circonstance. Une carapace verbale maintenue en toute circonstance, derrière laquelle il nous a été impossible de distinguer la moindre voie d’accessibilité vers ce jeune homme généreux en bobards et très avare en révélations intimes.

La relation avec sa mère souffre bien évidemment de cette stratégie de la dissimulation constante, que des esprits mal intentionnés pourraient un peu trop facilement rapprocher des préjugés les plus infects sur la communauté juive. Heureusement, il existe deux brefs rayons de soleil, empreints d’une belle humanité, au cours desquels ce lien familial sait se débarrasser du bagage encombrant des traditions et de la routine. Alors, Agnès Jaoui brille par une fragilité dans la séquence des larmes cachées sur le balcon et par une franchise dans celle de l’aveu du Krav Maga que le reste de son interprétation d’une mère juive presque caricaturale ne sait pas toujours transmettre. Et c’est également à ces moments-là que Ruben prend furtivement conscience des pieds d’argile sur lesquels il a installé sa vie de grand oisif.

© 2023 Simon Birman / Moonshaker Films / The Living / L’Embellie / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Son existence de profiteur gentillet, cet enfant aussi gâté qu’un peu attardé la mène sans la moindre gêne. C’est l’insouciance du crétin inoffensif qui guide ses pas sur une trajectoire ne lui diagnostiquant jamais d’autres troubles comportementaux que le fait d’être bizarre et de flotter au gré des rencontres sans lendemain. Ce décalage social manifeste, le film tente d’en tirer profit de la manière la plus bienveillante possible. Au risque de rendre inaudible quelque constat plus tranché que ce soit sur un personnage à la raison d’être hautement nébuleuse. En somme, il s’agit d’un homme doucement opportuniste, qui dit plus souvent oui que non, quoique sans imprimer sa marque sur les activités diverses et variées qu’il effectue au cours de l’heure et demie que dure Le Dernier des juifs.

Ce doux rêveur fait de la passivité une vertu, quitte à entretenir des liens assez superficiels avec son entourage, au delà de cette mère qui l’emprisonne dans l’appartement familial et son rôle de fils incapable de s’émanciper. Tour à tour, il est un amant au charme enfantin, un commercial dont l’esprit convivial remplace le sens des affaires, un citoyen qui aurait préféré se remplir le ventre plutôt que de prendre des photos avec tous les notables de la ville et, plus globalement, quelqu’un qui fait partie de la vie du quartier mais dont le départ ne laissera aucune trace. C’est un peu comme cela que l’on se sent après avoir regardé ce premier film tout juste respectable : pas fâché d’avoir passé un peu de temps en compagnie de ses personnages ordinaires et simultanément certain qu’ils ne nous laisseront aucun souvenir impérissable.

© 2023 Simon Birman / Moonshaker Films / The Living / L’Embellie / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Il faudra repasser pour trouver un film en mesure de traiter sérieusement la vie de la communauté juive en France, en ce XXIème siècle qui reste à construire dans sa dimension de lutte pérenne contre l’antisémitisme. Car Le Dernier des juifs ne l’est absolument pas. La farce anodine de Noé Debré évite toute prise de position épineuse, lui préférant le portrait convenable d’un personnage gentiment marginal. Ce Ruben Bellisha vit d’une façon tellement singulière, à l’abri de toute nécessité matérielle, que son sort ne sert nullement à en tirer un quelconque message sur le vivre-ensemble dans notre cher pays, depuis toujours malmené par de vilains esprits sectaires.

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