Critique : La Femme la plus riche du monde

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La Femme la plus riche du monde

France, Belgique, 2025
Titre original : –
Réalisateur : Thierry Klifa
Scénario : Thierry Klifa, Cédric Anger et Jacques Fieschi
Acteurs : Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Marina Foïs et Raphaël Personnaz
Distributeur : Haut et Court Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 2h02
Date de sortie : 29 octobre 2025

3/5

Au début des années 2010, l’affaire Bettencourt avait tenu en haleine les médias, toujours aussi friands de faits divers savoureux. Quinze ans plus tard, Thierry Klifa en a fait une fable pas non plus sans attrait sur le monde des milliardaires, qui reste un peu trop sage en termes de commentaire social, mais qui vaut son pesant d’or au niveau de ses personnages hauts en couleur. La Femme la plus riche du monde, c’est surtout la rencontre au sommet entre Isabelle Huppert et Laurent Lafitte.

Sans jamais tout à fait se prendre au sérieux, ni les péripéties hallucinantes et plutôt proches de la réalité des faits qui ponctuent le récit, ils s’en donnent à cœur joie pour recréer cette relation de dépendance réciproque, plus ambiguë que ce que le procès officiel aurait voulu nous faire croire. L’histoire de la milliardaire et du photographe, telle qu’elle est racontée ici dans de belles images somptueuses, est celle de deux êtres atypiques, souvent à armes égales pour manipuler l’autre, quoique jamais dupes de la mascarade dont ils sont à la fois l’auteur et la victime.

Tandis que l’on peut douter de la pertinence des deux seuls dispositifs formels singuliers (les témoignages sur fond noir des protagonistes de cette affaire abracadabrante et les têtes en surimpression qui s’affichent au moment de la lecture des lettres que la fille adresse à sa mère et inversement), la mise en scène s’acquitte globalement bien de la tâche de rendre impossible notre identification unique – et par conséquent notre allégeance – envers l’un des deux camps dans cet abus de pouvoir supposé. Grâce à des seconds rôles hautement solides, la reine et son bouffon n’agissent pas dans un vide mi-comique, mi-dramatique.

Au contraire, ils s’entrechoquent sans cesse avec l’entourage de l’héritière richissime, aux aspirations guère plus honnêtes et altruistes que celles de cet intrus mal venu et à la langue bien pendue. Ce qui contribue grandement à la complexité morale du sixième long-métrage du réalisateur, qui aurait aisément pu caler au niveau d’une farce au ton caricatural.

© 2025 Manuel Moutier / Récifilms / Versus Production / RTBF / Blue Parrot / Les Films du Camélia / Haut et Court Distribution
Tous droits réservés

Synopsis : La patronne d’un grand groupe de produits cosmétiques Marianne Farrère a beau s’investir pleinement dans l’avenir de son entreprise, elle ne paraît tirer aucune joie de son quotidien de femme d’affaires. Cela change complètement lorsqu’elle fait la connaissance du photographe extravagant Pierre-Alain Fantin, venu dans sa résidence de Neuilly-sur-Seine pour la prendre en photo dans le cadre d’un portrait pour le magazine Selfish. Ce n’est pas le coup de foudre, puisque Marianne reste fidèle à son mari de longue date Guy et que Pierre-Alain vit en couple avec l’étudiant Raphaël. Mais la présence de l’artiste fantasque, jamais à court de remarques incisives, déride cette femme de la haute bourgeoisie. Et elle n’hésite pas à sortir son chéquier, dès qu’il lui demande une faveur financière. Au grand dam de sa fille unique Frédérique et de son majordome Jérôme, le souffre-douleur de son nouvel ami trublion.

© 2025 Manuel Moutier / Récifilms / Versus Production / RTBF / Blue Parrot / Les Films du Camélia / Haut et Court Distribution
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Il aurait été si facile, voire évident, de concevoir La Femme la plus riche du monde comme une histoire de dépendance mutuelle malsaine, où la vieille pleine aux as succombe aux charmes d’un gigolo sans scrupules, prêt à tout pour assouvir ses envies d’ascension sociale aux dépens de la fortune illimitée de sa proie. Les proches de Marianne y auraient fait part de leur désapprobation impuissante face à ce cirque grotesque et le tout se serait conclu devant les tribunaux, où justice aurait été rendue.

Avec en prime quelques clins d’œil tendancieux sur ces pauvres riches coupés du monde réel et ces vrais pauvres qui ne rêvent que d’une tour d’ivoire à eux, à ne surtout pas décorer selon les règles du bon goût. Une œuvre consensuelle, en somme, qui n’aurait fait de mal à personne, mais qui aurait permis à une petite dizaine de grands noms du cinéma français de briller convenablement. Affaire conclue, il n’y a rien d’exceptionnel à y voir, circulez et oubliez aussitôt !

Thierry Klifa ne réussit certes pas non plus d’atteindre l’autre extrême, par ailleurs infiniment plus digne d’être convoité. À savoir une satire sociale si exquise et cinglante qu’elle mettrait en émoi tout ce qu’il reste dans notre esprit blasé pour s’indigner sincèrement et durablement. Mais dans l’état, son film constitue un agréable compromis. Il évite avec adresse les coups d’éclat les plus voyants, afin de se concentrer avec une certaine empathie sur les hauts et les bas d’une relation à peu près unique dans l’Histoire populaire française récente. Jamais dans le but d’en faire une simple chronique à sensations. Mais en guettant avec une précision exemplaire ces brefs instants jubilatoires, quand Marianne et Pierre-Alain se font comprendre mutuellement qu’ils savent très bien à quel jeu iconoclaste ils jouent. Les interprétations déjà très inspirées de Huppert et Lafitte gagnent alors encore en complicité facétieuse.

© 2025 Manuel Moutier / Récifilms / Versus Production / RTBF / Blue Parrot / Les Films du Camélia / Haut et Court Distribution
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Toute la lumière et les moments de joie pour ces deux félins dans une cage sociale dorée d’un côté et rien que des miettes de l’autre pour les personnages qui ont le privilège de pouvoir graviter autour de ces centres d’intérêt étincelants ? Là aussi, la mise en scène et le scénario coécrit par les très éprouvés Cédric Anger et Jacques Fieschi savent brillamment élargir la perspective. Ils confèrent aux rôles à dominante grise et insignifiante une complexité qui finit par abolir toute velléité manichéenne que La Femme la plus riche du monde aurait pu entretenir.

A commencer par Marina Foïs en fille austère et effacée, épaulée tant bien que mal par son mari, Mathieu Demy, qui n’a su, lui non plus, s’imposer dans les hautes sphères des stratagèmes tordus. De même pour Raphaël Personnaz en majordome plus personnellement investi dans cette escroquerie que son rang social ne devrait le lui autoriser et l’homme faible de l’équation, Guy sous les traits de André Marcon, peut-être le véritable parasite dans cette histoire rocambolesque.

Ils se démènent toutes et tous avec un désespoir émouvant pour ne pas perdre leur rang et leurs millions de francs dans cette cour capitaliste des temps modernes. Qui, comme celle des aristocrates d’antan, ne fait que brasser l’air des vanités. Rares y sont les parenthèses de respiration, lorsque personne ne cherche à faire avancer ses pions ou à nuire le favori encombrant de la marâtre aux œufs d’or. La chanson soufflée par Anne Brochet en fait partie, ainsi que, dans une moindre mesure, la nuit où Marianne arrive enfin à se lâcher suffisamment pour danser jusqu’à l’aube.

Ce qui peut être compris comme un commentaire pas sans sagesse sur le malheur en sourdine causé par un excès d’argent et les responsabilités qui l’accompagnent. Toutefois, ce serait la lecture un brin trop sérieuse d’un film qui cherche justement à rire de ses personnages, sans pour autant les donner en spectacle comme de vils profiteurs.

© 2025 Manuel Moutier / Récifilms / Versus Production / RTBF / Blue Parrot / Les Films du Camélia / Haut et Court Distribution
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Conclusion

Il est très peu probable que la véritable affaire Bettencourt ait été aussi divertissante que La Femme la plus riche du monde ! Or, la vocation du cinéma est aussi celle-là : de sublimer la réalité par le biais d’une fiction plus colorée et aux personnages captivants, tout en y préservant une morale nullement expéditive. Thierry Klifa n’y dispense guère une mise en garde sommaire contre les pièges de la richesse matérielle. Il dresse plutôt le portrait nuancé d’un fait divers aux ramifications sans doute moins glorieuses. Le tout embelli considérablement par une attribution de rôles et par des interprétations sans la moindre fausse note !

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