Critique express : un autre monde

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Un autre monde

France : 2021
Titre original : –
Réalisation : Stéphane Brizé
Scénario : Stéphane Brizé, Olivier Gorce
Interprètes : Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon, Marie Drucker
Distribution : Diaphana Distribution
Durée : 1h36
Genre : Drame
Date de sortie : 16 février 2022

4.5/5

Synopsis : Un cadre d’entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l’un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd’hui exécutant. Il est à l’instant où il lui faut décider du sens de sa vie.


Un autre monde : en guerre contre la loi du marché !

Lorsque l’on voit un film en salle, il y a des signes qui ne trompent pas quant à l’importance du film et à sa force : avant de voir le film, le fait que, pour la première fois depuis 2 ans, il faut faire la queue à la caisse pour une séance à 14 heures et, ensuite, entrer dans une grande salle déjà bien remplie. Lorsque le film se termine, de nombreux spectateurs qui applaudissent, ce qui est exceptionnel hors projection durant un festival, et la plupart des spectateurs qui restent un bon moment après le générique de fin, scotchés à leur fauteuil. Il faut dire que Stéphane Brizé qui avait très bien réussi La loi du marché (avec Vincent Lindon), film sur le monde de l’entreprise vu au travers de la vie d’un employé devenu chômeur et qui est économiquement contraint d’accepter un poste de vigile qui lui pose des problèmes de conscience, Stéphane Brizé qui avait très bien réussi En guerre (avec Vincent Lindon) sur la lutte menée par des travailleurs pour sauver leur emploi face à la délocalisation programmée de leur usine, Stéphane Brizé se montre encore plus magistral dans Un autre monde (avec Vincent Lindon) qui, cette fois ci, nous amène aux côtés de Philippe Lemesle, le Directeur d’un site industriel installé dans le Lot-et-Garonne et qui doit procéder à un énième dégraissage dans son personnel, un dégraissage exigé par la direction américaine du groupe Elsonn dont cette usine fait partie. Oui, cette fois ci, la victime du système économique qui règne sur la planète, basé sur les exigences du marché et la compétitivité, ce n’est pas un ouvrier, ce n’est pas un chômeur, c’est un cadre de haut niveau ! Un homme certes très bien payé, un homme dont tout le monde reconnait les qualités humaines mais qui fait partie de ce qu’on peut appeler le prolétariat managérial, un homme pris entre le marteau et l’enclume à qui on demande avant tout d’obéir, et, éventuellement, d’avancer quelques idées innovantes à condition qu’elles n’aillent pas à l’encontre des exigences venant du sommet de la pyramide. Lequel sommet, le big boss américain, avoue lui-même qu’il a, lui aussi, un chef : Wall Street. Par cet aveu, tout est dit !

Le groupe américain ayant 5 sites en France ayant chacun son directeur, Stéphane Brizé ne se prive pas de montrer que face au cas de conscience qui se présente à eux, se soumettre au diktat venant du sommet quel qu’en soit le coût pour les travailleurs et même, finalement, pour la bonne santé de l’entreprise, ou bien essayer de résister, d’une façon ou d’une autre, le comportement peut s’avérer très différent d’un directeur à l’autre, certains proposant de sacrifier leurs primes et leurs bonus pour éviter des licenciements, d’autres estimant qu’ils les ont mérités et qu’il n’y a aucune raison de ne pas les toucher.  Autant dire que la tension que l’on ressent à suivre l’évolution de Philippe Lemesle est extrême : rongé par le divorce demandé par Anne, son épouse, qui ne supporte plus d’être délaissée au profit de l’entreprise qui emploie son mari, rongé par les problèmes psychologiques de Lucas, leur fils, victime, avant même d’avoir abordé le monde du travail, d’un burn-out lié à ses études dans une école de commerce mais probablement dû avant tout à la pression familiale, acculé au mensonge face à ses employés, il s’aperçoit progressivement que, lui aussi, n’est qu’un pion dans un jeu qui le dépasse. Cette tension, Stéphane Brizé a eu l’intelligence de la « casser » de temps en temps en ménageant quelques phases de répit, comme celle ou Vincent Lindon et Anthony Bajon font preuve de qualités footballistiques insoupçonnées dans le jardin de l’établissement psychiatrique qui a accueilli Lucas.
Dans ce film absolument remarquable, les interprètes sont, eux aussi, remarquables. En premier lieu, bien sûr, Vincent Lindon qui interprète le rôle de Philippe Lemesle de façon magistrale. Sandrine Kiberlain, interprète d’Anne, son épouse, est également magnifique, tout comme Anthony Bajon qui joue Lucas. Quant à Marie Drucker, devenue comédienne pour la première fois, elle campe parfaitement Claire Bonnet-Guérin, l’inflexible patronne de l’entreprise à l’échelon français. Et, en plus, la musique de Camille Rocailleux et le chant du contre-ténor Maximin Marchand s’avèrent être … au diapason, c’est-à-dire excellente !!

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