Critique Express : Saint Omer

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Saint Omer

France : 2022
Titre original : –
Réalisation : Alice Diop
Scénario : Alice Diop, Amrita David, Marie Ndiaye
Interprètes : Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Valérie Dréville
Distribution : Les Films du Losange
Durée : 2h02
Genre : drame
Date de sortie : 23 novembre 2022

3/5

Synopsis : Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de et interrogent notre jugement.

Un procès pour comprendre

C’est dans l’amphi d’une faculté que le spectateur fait connaissance avec Rama : d’origine sénégalaise, prof de fac, écrivaine, en couple avec Adrien, blanc et musicien, on la voit donner un cours à ses étudiants en leur passant un film sur des femmes tondues à la Libération, soupçonnées qu’elles étaient d’avoir couché avec des allemands. Lors d’une réunion familiale, elle ne répond pas favorablement à la demande qui lui est faite d’accompagner sa mère à une consultation. En fait, plus important pour elle est le fait de partir à Saint Omer, une sous-préfecture du Pas-de-Calais, pour assister au procès de Laurence Coly, une étudiante qui a travaillé sur le philosophe Ludwig Wittgenstein,  une jeune femme aux origines sénégalaises qui a tué sa fille de 15 mois en la laissant volontairement sur la plage de Berck à l’arrivée de la marée haute.

Rama a une idée en tête : s’emparer de ce fait-divers pour en faire le sujet de son prochain roman, un roman qui ferait référence à Médée. Au cours de ce procès que Rama suit assidûment, Laurence va montrer l’étendue de son intelligence tout en prétendant avoir été maraboutée. En fait, elle est incapable d’expliquer son geste tout en ayant l’espoir d’apprendre, grâce au procès, la raison qui l’a poussée à commettre cet acte de mort. Doit-on être surpris de constater l’étonnement de certains personnages devant la perfection du langage de Laurence lors de son procès ? Doit-on être choqué par la réflexion d’un professeur d’université appelé comme témoin qui se demande pourquoi Laurence a choisi de travailler sur Wittgenstein plutôt que de s’intéresser à un sujet plus proche de sa culture ? En effet, on devrait !

Saint Omer nous amène à nous intéresser à 3 personnages, 2 personnages réels et un personnage fictif, ayant de nombreux points communs, ne serait-ce que leurs origines familiales sénégalaises et leurs niveaux culturel et intellectuel très élevés. Tout d’abord, Fabienne Kabou. En effet, le personnage de Laurence Coly existe vraiment : Fabienne Kabou est une jeune femme qui, en novembre 2013, a laissé sa fille de 15 mois sur la plage de Berck, à la marée montante. Comme Laurence, Fabienne Kalou était en couple avec un homme, un homme blanc beaucoup plus âgé qu’elle. Comme Laurence, elle préparait une thèse sur Ludwig Wittgenstein, ou, du moins, elle le prétendait. Comme Rama se rendant au procès de Laurence Coly, Alice Diop, la réalisatrice du film, s’est rendue en juin 2016 à Saint Omer pour assister au véritable procès de Fabienne Kabou, sans véritable objectif au départ, juste la volonté de partager ce moment de procès avec l’accusée. Entre Fabienne Kabou et Alice Diop, se glisse donc le personnage fictif de Rama, enceinte lorsqu’elle se rend au procès et qui, dans ce contexte d’un procès pour infanticide, s’interroge sur les rapports peu chaleureux qu’elle a avec sa propre mère et sur ceux, qu’elle espère meilleurs, qu’elle aura avec son enfant à naître.

A côté de ce film sur notre rapport à la maternité et sur les rapports mère-fille, Saint Omer continue, dans l’esprit de la réalisatrice, de creuser la veine de ses films précédents, tous des documentaires : « Offrir au corps noir la possibilité de dire l’universel ». Cela n’est pas vraiment flagrant à l’image, mais le devient davantage lorsque Alice Diop raconte qu’à un certain moment du procès de Fabienne Kabou, elle s’est retrouvée en larmes à côté d’une journaliste blanche, elle aussi en larmes. Saint Omer est donc le premier film de fiction d’Alice Diop, réalisatrice de documentaires jusqu’à présent. Il reste toutefois de nombreux traces de ce passé de documentariste dans Saint Omer, que ce soit dans la mise en scène ou dans la direction d’acteur, ce qui se conçoit d’autant plus facilement qu’on est ici dans un film de procès, un genre qui, presque toujours, puise aussi bien dans le théâtre que dans le documentaire. Et pourtant, paradoxalement, le film a comme défaut principal d’apparaitre comme étant trop « écrit » !

Le rôle de Rama est interprété par Kayije Kagame qui trouve là son premier grand rôle au cinéma. Guslagie Malanda, l’interprète de Laurence Coly, impressionnante dans le box des accusés, avait, elle, déjà joué un premier rôle, il y a 8 ans, dans Mon amie Victoria de Jean-Paul Civeyrac. Bien que ce ne soit pas sa première prestation en tant que comédien, les amateurs de jazz seront peut-être surpris de reconnaître le saxophoniste Thomas de Pourquery dans le rôle d’Adrien, le compagnon de Rama. Présenté il y a un peu plus de 2 mois à la Mostra de Venise, Saint Omer, s’est vu attribuer le Lion d’argent (Grand Prix du jury). Ce film a été choisi pour représenter la France pour le prochain Oscar.


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