Critique : Coup de chance

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Coup de chance

États-Unis, France, Royaume-Uni, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Woody Allen
Scénario : Woody Allen
Acteurs : Lou De Laâge, Valérie Lemercier, Melvil Poupaud et Niels Schneider
Distributeur : Metropolitan Filmexport
Genre : Drame romantique
Durée : 1h36
Date de sortie : 27 septembre 2023

3/5

Rodée depuis des décennies, la belle mécanique de la marque Woody Allen serait-elle en train de se gripper ? Les petites perturbations du rythme autrefois annuel de ses films ne datent pas d’hier. Mais en raison d’un mélange guère réjouissant de pandémie mondiale, de controverses extra-filmiques et de l’âge qui avance, pour le cinéaste américain autant que pour le reste de l’humanité, on ne peut plus être sûr et certain de voir ses nouvelles œuvres doucement malicieuses débarquer sur nos écrans de cinéma à environ douze mois d’intervalle.

Et si Coup de chance était son dernier film ? Car à désormais 87 ans, Woody Allen ne fait plus partie de ces réalisateurs à l’avenir créatif dépourvu d’horizon. Si jamais c’était le cas, si ce retour dans la capitale française – douze ans après Minuit à Paris – devait réellement être son chant de cygne, il s’agirait d’un adieu des plus savoureux dont son auteur ne devrait nullement avoir à rougir.

Avare en surprises, cette étape française dans le long parcours d’exilé temporaire de New York, que Woody Allen avait entamé au milieu des années 2000 avec Match Point, reste toutefois un film parfaitement fidèle à l’univers sophistiqué de son réalisateur. Aucun détail du scénario subtilement agencé ne fait mouche, tant le réalisateur a eu le temps de tester auparavant tous les cas de figure imaginables d’infidélité conjugale. Et pourtant, en tant que somme finement conjuguée des ficelles d’un tableau de mœurs, qui relève autant de la tragédie que de la farce, cette histoire d’une riche bourgeoise qui pratique le grand écart entre son monde rempli de mondanités et une aventure romantique déraisonnable vaut son pesant d’or.

C’est que même à la fin de sa carrière, Woody Allen demeure un marionnettiste hors pair, un manipulateur de stéréotypes dont la valeur cardinale reste l’ironie. Ainsi qu’un directeur d’acteurs tout aussi irréprochable, comme le démontrent les interprétations exquises de Lou De Laâge, Niels Schneider, Valérie Lemercier et Melvil Poupaud.

© 2023 Thierry Valletoux / Gravier Productions / Dippermouth / Perdido Productions / Petite Fleur Productions /
Metropolitan Filmexport Tous droits réservés

Synopsis : Même si elle a parfois l’impression d’être une femme trophée, Fanny ne s’ennuie pas vraiment dans son deuxième mariage avec l’homme d’affaires Jean Fournier. Quand elle croise par hasard à Paris Alain, un ancien camarade de lycée devenu écrivain, elle ne tarde pas trop à céder aux avances romantiques de ce dernier. Mais Fanny éprouve de plus en plus de mal à cacher ses infidélités à son mari, qui va même jusqu’à engager un détective privé pour avoir le cœur net sur ses suspicions.

© 2023 Thierry Valletoux / Gravier Productions / Dippermouth / Perdido Productions / Petite Fleur Productions /
Metropolitan Filmexport Tous droits réservés

Les angoisses à la place des enfants

L’aspect de conte de fées aux couleurs chaudes et saturées que la photographie du maître de l’image Vittorio Storaro confère à Coup de chance n’est évidemment qu’un leurre. Derrière la façade d’une vie faite de richesse matérielle et d’insouciance se cache en effet un malaise profond contre lequel le personnage principal ambitionne mollement de se battre. Autant il s’agit d’un beau rôle de femme – un de plus sorti de la plume de Woody Allen –, autant Fanny Fournier ne fait guère preuve d’initiative au cours de son périple romantique.

Elle se laisse en quelque sorte embobiner. D’abord par cette vieille connaissance, qui lui fait la cour d’une manière joliment désuète. Puis par son mari, décidé de la reconquérir à ses conditions dangereusement possessives. A ce sujet, ce deuxième rôle de suite pour Melvil Poupaud de mari enclin à la noirceur violente, quatre mois à peine après L’Amour et les forêts de Valérie Donzelli, risque bel et bien d’enfermer l’acteur dans cet emploi machiavélique.

Non, ce que Woody Allen aime faire par dessus tout, c’est d’infantiliser ses personnages. Un processus de discrédit qui s’opère aux côtés du spectateur et non pas contre lui, l’intelligence du récit consistant justement à nous faire goûter régulièrement au doux parfum de l’ironie suprême. Le mari plein aux as et sans scrupules, qui s’attendrit pourtant devant son décor de chemins de fer en miniature y participe autant que l’enquête menée par la belle-mère qui se rêve en descendante du commissaire Maigret. Personne n’est épargné dans cette grande opération du ridicule, d’autant plus difficile à réussir que le fond de l’histoire reste quand même très sombre. Tout le talent du réalisateur consiste dès lors à jongler avec les clichés sur Paris et ses habitants les plus fortunés, sans jamais oublier le couperet infaillible du hasard qui s’agite au dessus de leurs têtes.

© 2023 Thierry Valletoux / Gravier Productions / Dippermouth / Perdido Productions / Petite Fleur Productions /
Metropolitan Filmexport Tous droits réservés

Des preuves d’amour à trois euros pièce

Les états d’âme sont légion dans la filmographie de Woody Allen, à commencer par les complexes multiples dont souffraient les personnages qu’il avait l’habitude d’interpréter dans ses propres films situés à New York. L’éternel jeu du transfert de ces phobies sociales sur d’autres comédiens ne fonctionne plus tellement, tant un film comme Coup de chance fait abstraction du nombrilisme névrotique d’autrefois. Ou plutôt, il disperse cette crainte permanente sur l’ensemble des acteurs, chacun restant à présent seul face aux enjeux d’une intrigue volontairement insaisissable. Car la distance pratiquée par la mise en scène y est celle de l’amusement presque mesquin à l’égard de ce microcosme en train de se dérégler irrémédiablement. Les coups de théâtre et autres tâches révolues au deus ex machina rythment ainsi un spectacle, qui ose se moquer de lui-même avec une lucidité bluffante.

Alors, à quoi ce mélodrame meurtrier rime-t-il en fin de compte ? Plus qu’à un exercice de style de la part d’un vieux maître n’ayant plus rien à prouver, ce 49ème long-métrage de Woody Allen nous fait penser à une partie de plaisir sans ambition clairement délimitée. Le réalisateur y aurait mis bon nombre des éléments sur lesquels se base son univers cinématographique, sans viser nécessairement l’excellence mais en l’atteignant néanmoins par moments.

Si l’on veut exprimer ce constat globalement positif en d’autres termes, on pourrait dire que le chouchou du public français – tombé tout de même un peu en disgrâce ces derniers temps – a fait preuve d’imagination et d’adresse pour concocter cette lettre d’amour larvée à Paris. Une ville fantasmée, certes, avec ses beaux quartiers que l’on quitte jamais et ses décors dignes d’une carte postale. Mais également un microcosme où la folie humaine, la fourberie, la mesquinerie et finalement un juste retour des choses grotesque ont tout autant droit de cité.

© 2023 Thierry Valletoux / Gravier Productions / Dippermouth / Perdido Productions / Petite Fleur Productions /
Metropolitan Filmexport Tous droits réservés

Conclusion

Pour les comédiens, de quelque génération qu’ils soient, jouer dans un film de Woody Allen doit toujours faire rêver. Comment expliquer sinon la ribambelle d’acteurs et d’actrices français qui se sont visiblement empressés de figurer dans Coup de chance ? On ne va pas tous les nommer ici, puisque, franchement, seules les quatre têtes d’affiche tirent réellement leur épingle du jeu. Un jeu qui est toujours un peu le même, quoique orchestré avec une belle élégance macabre ici : celui du regard passablement misanthrope et au moins autant amusé sur les mille et un défauts de la race humaine dans toute sa médiocrité splendide !

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