Critique : Ariane

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Ariane

États-Unis, 1957
Titre original : Love in the Afternoon
Réalisateur : Billy Wilder
Scénario : Billy Wilder et I.A.L. Diamond, d’après un roman de Claude Anet
Acteurs : Gary Cooper, Audrey Hepburn, Maurice Chevalier et John McGiver
Distributeur : Park Circus France
Genre : Comédie romantique
Durée : 2h10
Date de sortie : 29 mai 1957

2,5/5

Il n’y a pas que la différence d’âge entre les deux têtes d’affiche qui est bancale dans Ariane. Nullement dépourvue d’intelligence, cette comédie de Billy Wilder explore l’impossibilité d’un compromis entre deux conceptions diamétralement opposées de l’amour. D’un côté, le personnage interprété par Gary Cooper est ce qu’on appelait sans doute à l’époque un tombeur de filles invétéré. Aujourd’hui, alors que la lutte contre le sexisme sous sa forme la plus crue a quand même fait du chemin, son profil ressemble à celui d’un prédateur ou en tout cas à un obsédé, incapable de s’attacher à l’une ou l’autre de ses conquêtes. De l’autre, Audrey Hepburn cultive une fois de plus son emploi récurrent de la demoiselle en détresse affective, rêvant éperdument de l’amour à l’eau de rose sans y avoir goûté.

Bref, il s’agit bel et bien d’un film représentatif de son temps, c’est-à-dire les années 1950, où tout ou presque était permis aux hommes, tandis que les femmes se devaient de répondre présente aux stéréotypes plus ou moins serviles.

Or, même avec une dose considérable de bonne volonté nostalgique, la pilule de cette bluette filmique a du mal à passer. Peut-être parce que chacun y campe sur ses positions, à tort ou à raison, et que par conséquent, un malaise moral et sentimental y persiste pendant près de deux heures. Car à moins de résoudre cette affaire de cœurs incompatibles au forceps, il n’y a guère de salut, ni pour le vieil ogre en perte de vitesse, ni pour sa jeune proie, qui se laisse volontairement manipuler par sa stratégie de séduction au déroulé répétitif.

Le seul à pouvoir éventuellement jouer les intermédiaires, Maurice Chevalier en père détective au nez fin, est pendant longtemps mis hors-jeu. Il revient in extremis au cœur de l’intrigue, hélas avec une contribution qui démontre la nature fragile du scénario, au lieu de le faire aboutir à une conclusion pour une fois tragiquement adulte. Qu’il n’en soit rien ne fait que sceller notre appréciation en demi-teinte de cet écart de qualité dans des filmographies respectives sinon au sommet de leur forme à la fin des années ’50.

© 1957 Billy Wilder Productions / Allied Artists / Metro-Goldwyn-Mayer / Park Circus France Tous droits réservés

Synopsis : A Paris, la capitale de l’amour, le détective Claude Chavasse croule sous les demandes d’enquêtes d’infidélités conjugales supposées. Sa fille Ariane s’intéresse de près à ces affaires mondaines à l’issue parfois tragique. Par hasard, elle entend les menaces du dernier client de son père, qui s’apprête à tuer le soir même l’Américain Frank Flannagan, l’amant présumé de sa femme. Ariane s’introduit alors dans la suite d’hôtel du Don Juan afin de le prévenir. En guise de remerciement, l’homme d’affaires à la réputation salace se met à la séduire. D’abord plutôt insensible à son charme, Ariane ne tarde pas à y céder, tout en maintenant une part de mystère sur son identité et en prétendant qu’elle a un agenda de rencontres galantes aussi rempli que celui de l’homme de son cœur.

© 1957 Billy Wilder Productions / Allied Artists / Metro-Goldwyn-Mayer / Park Circus France Tous droits réservés

Paris, ville de la bouffe et de la baise

Le cinéma hollywoodien des années ’50 aimait encore prendre son temps. Rien que les premières minutes de Ariane sont là pour le prouver, avec son passage en revue de toutes les configurations imaginables de l’amour partout à Paris, tant qu’il s’agit d’étreintes conformes à la pudeur et sans l’ombre d’une quelconque digression du modèle hétérosexuel. Sauf que cette façon de parler de l’amour est d’emblée riche en sous-entendus pas très nettes, le décalage entre l’acte sexuel et le coup de foudre romantique restant à la charge de l’imagination des spectateurs. Le hic, c’est que cette frilosité d’époque engonce très maladroitement le sujet central du film dans l’impossibilité d’être suffisamment explicite pour faire du sens.

Un problème contre lequel l’esprit iconoclaste de Billy Wilder s’était déjà montré impuissant deux ans plus tôt avec 7 ans de réflexion. Et les mœurs n’allaient pas non plus évoluer assez vite pour lui éviter à nouveau pareille déconvenue sept ans plus tard dans Embrasse-moi idiot !

Pourtant, le projet moral de son treizième film américain est en principe des plus limpides : comment faire pour qu’un accro du sexe et une fille naïve trouvent un quelconque terrain d’entente ? Ou plutôt, comment résoudre de manière comique le dilemme dramatique, qui devrait tôt ou tard voir aboutir ce genre d’aventure sur une rupture définitive ? L’esprit cinglant, voire cynique du réalisateur aurait pu faire preuve de plus d’ingéniosité pour résoudre ce casse-tête, quitte à soulever les contradictions inhérentes au code moral en vigueur à l’époque à Hollywood. Et même si l’on n’est guère adepte du jeu de la réécriture théorique et après les faits d’une histoire dont on n’a point apprécié la conclusion, le fait de permettre à Ariane de se terminer sur le quai de la gare, les deux amants s’y quittant dans une scène de séparation déchirante, aurait grandement amélioré sa cohérence sentimentale.

© 1957 Billy Wilder Productions / Allied Artists / Metro-Goldwyn-Mayer / Park Circus France Tous droits réservés

Aimer et fuir

Malheureusement, il n’en est rien. Puisque même auparavant, l’histoire d’amour peine sérieusement à nous convaincre. Il y a quelque chose de péniblement paresseux dans les manœuvres de séduction que Flannagan entreprend, afin de remplir, nuit après nuit, son carnet de conquêtes féminines. Tout comme la résistance initiale d’Ariane sonne au moins aussi fausse que son béguin sur la durée, alors que son amant d’une nuit semble avoir tourné cette page depuis longtemps. Bien sûr, c’est l’homme qui a le beau rôle dans cette farce au fond douteux, l’année de leur première séparation étant pour lui celle de la poursuite effrénée de la fête, pendant que sa pauvre admiratrice passe par tous les stades du dépit amoureux. Le décalage entre eux en termes d’affection ne se gomme par la suite que laborieusement, les sentiments diffus de l’un et ceux dissimulés derrière une façade abracadabrantesque de débauche de l’autre étant mutuellement exclusifs.

Mal soutenus par cette intrigue centrale aux pieds d’argile, les épisodes annexes produisent au mieux de timides étincelles. Il y a certes la blague récurrente de la voisine de l’hôtel qui interprète mal chacune des alertes de son petit clébard bruyant. Ce qui revient au fond à une belle image révélatrice sur la nature dangereuse des suppositions et autres conclusions hâtives. Mais sinon, la sagesse bienveillante du père et la névrose enfantine du client trompé campé par John McGiver sont des distractions vaguement amusantes, qui n’ont guère tendance à améliorer la vigueur cinématographique de l’ensemble. Sans oublier ce regard très caricatural sur Paris, réduit en somme au luxe du Ritz et au confort douillet de l’appartement familial, l’un et l’autre aussi peu réalistes que la prémisse de cette histoire ayant globalement mal vieilli.

© 1957 Billy Wilder Productions / Allied Artists / Metro-Goldwyn-Mayer / Park Circus France Tous droits réservés

Conclusion

Dans ses meilleurs films, la plume et le regard acerbes de Billy Wilder ne font pas de quartier face à la bêtise et à la cupidité de l’humanité. Il y a un peu de cette méchanceté ironique dans Ariane. Mais l’essentiel de cette aventure romantique fort boiteuse tourne autour de deux amants particulièrement mal assortis. Alors oui, Audrey Hepburn est tout à fait ravissante dans le genre de microcosme romantique qu’elle habitait si souvent corps et âme. Et pour une fois, Maurice Chevalier dépasse le simple cliché du bonhomme français un peu licencieux, de retour dès l’année suivante dans Gigi de Vincente Minnelli. Mais le désintérêt de Gary Cooper y est manifeste et l’un des aspects les plus préjudiciables – quoique nullement le seul coupable – de ce film pas assez téméraire pour affronter sérieusement et sans œillères son interrogation de départ, néanmoins légitime.

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