Cinélatino 2018 : Severina

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Severina

Brésil, Uruguay, 2017
Titre original : Severina
Réalisateur : Felipe Hirsch
Scénario : Florian Zeller, d’après un roman de Rodrigo Rey Rosa
Acteurs : Javier Drolas, Carla Quevedo, Alejandro Awada, Alfredo Castro
Distribution : –
Durée : 1h43
Genre : Comédie romantique
Date de sortie : –

Note : 3/5

Est-ce que les librairies traditionnelles ont encore un avenir aujourd’hui ? Et le cinéma, peut-il encore aménager une place de choix à ces comédies romantiques désormais un peu démodées, aussi sophistiquées que divertissantes ? Ce film brésilien, tourné en espagnol en Uruguay et présenté en compétition au Festival Cinélatino, tente de donner une réponse doucement mélancolique à ces questions, qui ne préoccupent hélas plus grand monde. Au delà de toute considération purement cinématographique, il émane en effet une nostalgie pas sans charme de Severina. C’est également grâce au ton enjoué que le réalisateur Felipe Hirsch adopte dans son deuxième long-métrage que celui-ci ne se perd jamais dans des délires trop intellectuels ou sentimentaux. En somme, il s’agit d’un film plaisant, fait peut-être plus pour un public en quête d’histoires intrigantes, quoique pas non plus excessivement compliquées, que pour des dénicheurs de nouveaux talents investis d’un langage filmique singulier. Il y a toutefois largement de quoi suivre corps et âme ce jeune libraire idéaliste dans les stades successifs – repartis en une dizaine de chapitres, prologue et épilogue compris – de son coup de foudre, dont on sait bien sûr dès le départ qu’il sera voué à un échec plus ou moins cuisant.

Synopsis : Un libraire, qui cultive le rêve de devenir un jour écrivain, organise chaque lundi dans son magasin des lectures publiques. Une fois, il y aperçoit Ana, une jeune femme belle et mystérieuse qui ne tarde pas à revenir dans sa librairie. Or, pendant ses passages, elle subtilise chaque fois des livres. Éperdument sous l’emprise de cette voleuse invétérée de livres, le libraire finit néanmoins par la confronter. S’ensuit alors une drôle de relation passionnelle à laquelle l’amoureux transi finira par ne plus rien comprendre.

Pas de printemps pour la femme au nom inconnu

Apparemment, Felipe Hirsch est un homme de théâtre, à qui les concepts austères tiennent particulièrement à cœur. Il n’y a pourtant rien de sévère, ni d’inaccessible à signaler dans Severina, qui compte parmi les films les plus classiques que nous avons vus jusqu’à présent pendant notre séjour festivalier à Toulouse. Le milieu qu’il décrit est certes un peu élitiste, avec ces éternels écrivains en herbe qui s’imaginent refaire le monde ou au moins le microcosme de la littérature latino-américaine, mais qui restent au fond les passeurs d’un amour pour les livres en voie de disparition. De la même façon, la relation au centre de l’intrigue a quelque chose de gentiment désuet, comme si l’univers des derniers films d’Alfred Hitchcock croisait le chemin de contes orientaux et autres sujets de lecture éclectiques dans le but de troquer son regard pessimiste, voire glauque sur l’humanité contre une série d’énigmes jamais très lourdes de conséquences. Le personnage principal masculin, joué par Javier Drolas avec une candeur qui ne fait cependant pas totalement l’impasse sur des signes d’obsession plutôt inquiétants, court ainsi à sa perte affective avec une dose raisonnable de lucidité. En face de lui, Carla Quevedo campe une pie voleuse des plus attachantes, pleine d’innocence et de fragilité et en même temps une manipulatrice suprême des hommes. Dans ce contexte, signalons l’apparition brève, mais marquante, de Alfredo Castro, le monstre sacré du cinéma chilien, qui tient ici le rôle d’un des condamnés à subir patiemment les lubies de cleptomane d’Ana.

Aphorismes et préjugés

D’un point de vue générique, Severina nous paraît entretenir quelques liens de parenté pas sans intérêt avec la volonté maintes fois répétée par un cinéaste comme Woody Allen de percer le mystère féminin. Le pouvoir de fascination qui émane d’Ana y est indéniable et bien qu’elle mène invariablement ses amants à leur perte, aucune méchanceté préméditée n’est à identifier de son côté. L’équilibre délicat des attirances reste la plupart du temps en suspension, en faisant justement preuve d’ironie au niveau des noms donnés aux différentes parties du récit, des commentaires en sus du point de vue subjectif du libraire, qui ne font en fin de compte que renforcer le propos laconique du film. Car la conquête de la femme tant désirée s’avère ardue, aussi parce que le prétendant entame sa démarche sous de mauvais auspices, en tolérant sa faute initiale du vol, qui le conduit dans le meilleur des cas à une fouille simulée assez érotique. Or, le recul intellectuel avec lequel le protagoniste analyse sa propre affaire amoureuse en dents de scie – par le biais du dispositif narratif de la voix off, hélas un peu trop sollicité par les réalisateurs sélectionnés au festival – ne manque pas de mettre le spectateur à distance. Au lieu de suivre de trop près les hauts et les bas de cette histoire d’accouplement aux velléités plus éthérées, nous sommes donc parfaitement positionnés afin d’en apprécier le côté joliment absurde. Malgré la perception parfois à fleur de peau du romantique issu de la vieille école les ayant déclenchés, ces tourments du cœur et de la pensée ne sont ni infernaux, ni merdiques, bien au contraire.

Conclusion

Notre découverte des différentes facettes du cinéma contemporain d’Amérique latine se poursuit, grâce à cette comédie à l’humour passablement corsé. Ce n’est pas tout à fait un esprit de noirceur qui règne sur Severina, mais la mise en scène de Felipe Hirsch fait tout son possible, avec une certaine élégance, admettons-le, pour mettre des bâtons dans les roues de cette romance impossible. Admirateurs de contes à l’eau de rose, passez donc votre chemin ! Par contre, si une petite fantaisie à la sensibilité caustique vous tente, ce film est indéniablement fait pour vous !

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