Cinélatino 2018 : Azougue Nazaré

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Azougue Nazaré

Brésil, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Tiago Melo
Scénario : Tiago Melo & Jeronimo Lemos
Acteurs : Valmir do Côco, Joana Gatis, Mestre Barachinha, Mohana Uchôa
Distribution : –
Durée : 1h20
Genre : Drame
Date de sortie : –

Note : 3,5/5

Au moment d’écrire ces quelques lignes, pendant la parenthèse entre la fin du visionnage des huit premiers ou deuxièmes longs-métrages en compétition pour le prix Découverte du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et les délibérations avec nos confrères du jury afin de choisir un lauréat pour cette édition du Festival Cinélatino à Toulouse, nous sommes toujours fortement impressionnés par ce film brésilien. Azougue Nazaré est en effet une œuvre belle et originale, une formidable invitation au dépaysement, pas uniquement sur le plan géographique, mais de même dans la facilité avec laquelle il nous fait voyager en musique vers des contrées spirituelles inconnues. Le réalisateur Tiago Melo y réussit souverainement le grand écart entre le commentaire social et la magie propre au cinéma. Différents éléments a priori en opposition frontale les uns aux autres s’y agencent avec une aisance impressionnante, pas nécessairement dans l’optique de rafistoler de toutes pièces un consensus de la forme et du fond, mais plutôt selon la volonté manifeste de montrer la coexistence pas toujours facile d’influences culturelles divergentes dans la province brésilienne. Car au fil de ces tranches de vie d’une banalité apparente se dégage une intensité à la fois esthétique et dramatique, qui en dit long sur le talent du réalisateur à conter les contradictions évidentes de son pays, tout en en embrassant entièrement son âme métissée.

Synopsis : Dans la petite ville de Nazaré, près de Recife, deux camps s’affrontent sans ménagement. D’un côté, il y a les jeunes qui perpétuent la tradition du Maracatu, à coup de joutes verbales sur le rythme de la samba et des préparatifs pour leur grand défilé du carnaval. Et de l’autre, la communauté chrétienne évangélique, dont le pasteur, lui-même un ancien maître du Maracatu, voit d’un mauvais œil cette obsession diabolique de la musique. Ces adhésions mutuellement irréconciliables mettent à rude épreuve les couples et les familles, quand la disparition de cinq hommes dans la région, disciples d’un prêtre vaudou, inquiète la population.

La part du diable

Alors que la mise en scène vigoureuse de Tiago Melo réserve une place équitable à la représentation des deux styles de vie se livrant une bataille plutôt féroce pendant Azougue Nazaré, nous avons été plus réceptifs à l’explosion de sons et de couleurs qui y va de pair avec l’hommage assez franc au Maracatu. Après un premier chant en chœur d’ores et déjà magistralement révélateur quant aux enjeux sociaux, à la fois en ce qui concerne l’incessante rivalité pour pouvoir prétendre à la place du meneur de parole, ainsi qu’une sexualité débridée qui ne se laisse guère enfermer dans des codes moraux, l’intrigue revient à intervalles réguliers à ces interludes musicaux, pourtant jamais gratuits en termes d’enrichissement narratif. Les interventions du chanteur Neymar, qui – soyez rassurés – n’a strictement rien d’un footeux, agissent alors comme une sorte de commentaire chanté, telle une douce mélodie en fond sonore et même transmise une fois par l’intermédiaire très contemporain d’une application de smartphone. La manifestation plus viscérale de cette tendance à voir la vie en chansons se situe moins du côté de la relation principalement sexuelle entre le fils du pasteur et l’épouse du serrurier, que l’on peut interpréter sans peine comme une parenthèse mi-romantique, mi-érotique du savoir-vivre à la brésilienne, que de celui de Catita, ce travesti à la chorégraphie endiablée, pourtant mené à la baguette chez lui par sa femme croyante.

L’œuvre de dieu

Car le revers de la médaille de tant d’exubérance mélomane, exorcisée en silence par les fantômes qui viennent hanter les maisons et le réseau électrique la nuit, c’est une forme de fanatisme sensiblement plus austère. Le puritanisme à l’américaine a en effet envahi une bonne part de la conscience brésilienne, avec tout ce que cela implique en termes d’illuminations évangéliques et d’écarts de conduite, facilement justifiés par un passage de la bible choisi au hasard. Ainsi, la séquence la plus éprouvante du film est celle où le pasteur vient accomplir le fantasme de Darlene, la femme de Catita, sous l’œil pour la dernière fois soumis de son mari. L’hypocrisie à l’état pur n’est cependant pas l’unique talon d’Achille de cette forme de religion fanatique, qui risque constamment de se faire voler la vedette par des superstitions plus archaïques. Tandis que l’explication du contexte autour de la disparition des hommes devenus fantômes à travers une émission d’actualités nous paraît comme la seule et unique maladresse narrative au cours d’un récit sinon admirablement maîtrisé, ce retour vers la réalité ne va heureusement pas jusqu’à nous fournir une réponse rassurante aux questions mystiques que le film relève. En effet, Tiago Melo se positionne avant tout comme un observateur précis du libre arbitre, dans cette histoire foisonnante qui aurait facilement pu devenir un pamphlet tendancieux, mais qui sait justement préserver une part substantielle de mystère, dont l’aspect le plus passionnant reste cette agilité formelle de haut niveau, quoique nullement prétentieuse.

 

Conclusion

Voici donc notre premier véritable coup de cœur dans la compétition du Festival Cinélatino ! Azougue Nazaré est un premier film plus que prometteur, puisqu’il sait jongler avec pertinence entre des circonstances sociales nullement enchantées qui prévalent aujourd’hui au Brésil et une mise en abîme poétique de cette même réalité dans des flux d’images étonnamment lumineux. Car Tiago Melo appartient à cette catégorie rare de réalisateurs, qui s’abstiennent de toute prise de position flagrante pour mieux laisser parler la beauté de leur mise en scène subtile.

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