Cannes 70 : où est la diversité ?

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70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Écran Noir, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd’hui, J-20. Retrouvez nos précédents textes du dossier Cannes 70 en cliquant sur ce lien.

Festival de cinéma créé en France et basé en France, le festival de Cannes a souvent récompensé des films français (point sur lequel nous ne reviendrons pas), tout en s’amourachant de films occidentaux traitant de la thématique raciale. On pense à Dheepan de Jacques Audiard ou Loving de Jeff Nichols dans la compétition, à Divines de Houda Benyamina à la Quinzaine des Réalisateurs, pour ne citer que des exemples récents. Mais cette vitrine du cinéma mondial ne serait-elle pas un peu opaque ?

Calculs visibles

À l’heure où la question de la diversité raciale touche tout le cinéma occidental (on se souvient tous de la polémique #OscarsSoWhite), il ne fait aucun doute que la question sera très prochainement soulevée concernant le Festival de Cannes. 71 ans après sa création, le plus international des festivals de cinéma semble avoir du mal, sinon à se renouveler, au moins à se diversifier ! Ainsi, la première chose qu’on lui reproche fréquemment, c’est son adoration pour certains noms (réalisateurs comme acteurs) qui semblent revenir de manière cyclique, empêchant les petits nouveaux de débarquer par la grande porte.

Par la suite, il y a le problème de ces pays certes non occidentaux mais qui reviennent chaque année. Parmi eux : le Japon (La Porte de l’enfer, Kagemusha, La Ballade de Narayama, L’Anguille, La Forêt de Mogari), la Turquie (Yol, la permission, Il était une fois en Anatolie, Winter Sleep) ou encore la Chine (Adieu ma concubine, Vivre !). Acteurs récurrents d’une série télévisée qui finirait par ronronner, lesdits pays trustent les sélections et par analogie les palmarès, faisant naître un sentiment de diversité calculée.

Des palmarès visibles

Au sein de la sélection officielle, il est important de constater que le monde entier est représenté, mais globalement ce monde est essentiellement occidental, une constatation encore plus forte si l’on s’arrête au palmarès du jury officiel des longs-métrages et que l’on consulte la liste les réalisateurs et comédiens issus des minorités visibles qui remportent les trophées.

Chez les acteurs et actrices, citons les afro-américains John Kitzmiller pour La Vallée de la paix de France Stiglic (1957) et Forest Whitaker pour Bird de Clint Eastwood (1988), les asiatiques Ge You pour Vivre ! de Zhang Yimou (1994), Tony Leung Chiu-wai pour In the Mood for Love de Wong Kar-wai (2000), Yūya Yagira pour Nobody Knows de Hirokazu Kore-Eda et Maggie Cheung pour Clean d’Olivier Assayas (2004), Jeon Do-yeon pour Secret Sunshine de Lee Chang-dong (2007) ainsi que Shahab Hosseini pour Le Client de Asghar Farhadi et Jaclyn Jose pour Ma’ Rosa de Brillante Mendoza (2016). N’oublions pas les français Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Sami Bouajila pour Indigènes de Rachid Bouchareb (2006), ainsi que le portoricain Benicio del Toro pour Che de Steven Soderbergh (2008). Chez leurs collègues féminines, on retrouve, venues d’Amérique latine Norma Aleandro pour L’histoire officielle (1985), Fernanda Torres pour Parle-moi d’amour d’Arnaldo Jabor (1986), Sandra Corveloni pour Une famille brésilienne de Walter Salles et Daniela Thomas (2008) ainsi que la sud-africaine Linda Mvusi pour Un monde à part de Chris Menges en 1988 ex-aequo avec ses partenaires Barbara Hershey et Jodhi May.

Les prix de la mise en scène ont honoré Glauber Rocha pour Antonio Das Mortes (1969), Nagisa Oshima pour L’Empire de la passion (1978), Fernando Solanas pour Le Sud (1988), Wong Kar-wai pour Happy Together (1997), Edward Yang pour Yi Yi (2000), Im Kwon-taek pour Ivre de femmes et de peinture (2002), Tony Gatlif pour Exils (2004), Alejandro González Iñárritu pour Babel (2006), Brillante Mendoza pour Kinatay (2009), Carlos Reygadas pour Post Tenebras Lux (2012), Amat Escalante pour Heli (2013) ou Hou Hsiao-hsien pour The Assassin (2015). Les Grands Prix et autres prix du jury sont revenus eux aussi à des artistes «non occidentaux».

Des jurés visibles

Bien que les films portés par des acteurs de couleur et sacrés par les différents jurys ne soient pas majoritaires, tout n’est pas perdu. La nécessité de diversité passe par des jurés issus de tous horizons, ce qui aide, au moins indirectement, à trouver une plus grande variété d’origines parmi les artistes primés. La vraie diversité se trouve au sein du jury, la direction d’un festival étant libre de pouvoir pallier à des manques constatés dans la production mondiale. Ainsi Jeon Do-yeon, Gael Garcia Bernal, Leila Hatami et Jia Zhangke en 2014, Rokia Troaré et Guillermo del Toro en 2015, Katayoun Shahabi en 2016, etc… Les figures incontournables du cinéma mondial répondent tous les ans présents pour délivrer le Graal des Graals, la Palme d’or. Artistes – car il s’agit avant tout d’art -, ils font des choix avant tout esthétiques et sentimentaux, même si la politique n’est, on l’imagine aisément, jamais totalement absente des délibérations si secrètes des jurys.

De fait, tous ces artistes et professionnels du 7ème art n’ont ainsi eu de cesse de contribuer au rayonnement du festival de Cannes à travers le monde. Et cette année, il y a un acteur qui pourrait bien devenir le MVP dont les organisateurs ne pensaient pas avoir besoin. Relayée par le New York Times, le Daily Mail, Business Insider, le HuffPost et Slate (pour ne citer qu’eux), la présence de Will Smith à Cannes est vite devenue un l’événement. Acteur ultra-bankable (il a rapporté 3,2 milliards de dollars au box-office américain), Will Smith c’est aussi cet homme à la côte de popularité indéboulonnable, nommé deux fois aux Oscars, cinq fois aux Golden Globes et qui n’a jamais été à l’affiche d’un film montré sur la Croisette. Un vrai drame lorsque l’on sait qu’il a déjà tourné pour Robert Redford, Michael Mann, Francis Lawrence, Peter Berg et M. Night Shyamalan.

Oubli à moitié réparé : à défaut d’être en sélection, Will Smith rejoint finalement la flopée de stars déjà passées par le tapis rouge. Ainsi, tous les ans, les égéries L’Oréal que sont Aishwarya Rai, Leïla Bekhti, Liya Kebede, Sonam Kapoor, Eva Longoria et Penélope Cruz font le buzz. Mais il va sans dire que l’actrice que les photographes n’oublieront jamais, c’est sans conteste Lupita Nyong’o – dont la robe Gucci avait comme arrêté le temps lors de l’édition 2015.

Et les films en compétition dans tout ça ? Force est de constater qu’ils tournent plus souvent autour des questions sociales et des rapports de classe que les questions raciales ou les droits des minorités… Résultat, il faut toujours un peu revenir aux mêmes : Loving de Jeff Nichols l’an passé (sur un mariage interracial), Indigènes de Rachid Bouchareb en 2006 (sur les combattants d’Afrique du Nord pendant la 2e guerre mondiale), Un monde à part de Chris Menges en 1988 (sur l’apartheid sud-africain), Do the right thing de Spike Lee en 1989 (sur les tensions raciales entre Noirs et Blancs à Brooklyn)…

On peut également citer Pierre et Djemila de Gérard Blain (1987), sorte de Roméo et Juliette entre Français de souche et Français issus de l’immigration, Jimmy P. d’Arnaud Desplechin (2013) sur un vétéran américain indien souffrant de troubles post-traumatique liés à la 2e guerre mondiale et à ses origines ethniques dans une Amérique blanche, ou Tous les autres s’appellent Ali de Rainer Werner Fassbinder (1974) sur les difficultés rencontrées par une veuve allemande et un immigré marocain tombés amoureux l’un de l’autre. Il y a également Waati de Souleymane Cissé (1995) sur le destin d’une jeune adolescente sud-africaine confrontée au racisme instauré par l’apartheid.

L’autre constat, c’est qu’au-delà de ces films généralement assez « militants », les personnages issus de la minorité remplissent souvent des fonctions déterminées par leur « différence » bien plus que par leur personnalité. Ce sont des réfugiés chez Marco Tullio Giordana (Une fois que tu es né en 2004) ou dans Le Havre d’Aki Kaurismaki (2011), des gigolos forcés dans Paradis : Amour d’Ulrich Seidl (2012), des indiens en révolte protégés par les Jésuites dans Mission de Roland Joffé (1986)…

Mais la « vraie » diversité ne consisterait-elle pas à raconter exactement les mêmes histoires que celles dont Cannes est friande, mais cette fois avec des personnages issus de la diversité ? On rêve d’un feel good movie français avec des personnages issus de l’immigration, d’un polar américain avec un enquêteur noir, d’un Toni Erdmann avec une famille d’origine turque… Heureusement, ces films existent, et parfois (trop rarement), ils passent par Cannes. On peut penser à Mystery train (1989) et Ghost dog (1999) de Jim Jarmusch ou Secrets et mensonges de Mike Leigh (1996) dans lesquels la couleur du personnage principal n’est qu’un des éléments de sa personnalité et non le centre de l’intrigue.

Même chose dans The Sunchaser de Michael Cimino (1996) où le fait que le personnage soit indien est plus une facilité de scénario qu’une donnée essentielle, ou du Passé d’Asghar Farhadi (2013) où Tahar Rahim incarne le nouveau compagnon de Bérénice Béjo sans que ses origines ne jouent un rôle particulier dans l’intrigue. Ce sont évidemment ce genre de films qui rendent le plus honneur à la diversité, en la rendant visible mais pas centrale, un élément parmi d’autres d’un récit de ce fait moins stéréotypé. En 1977, on retrouve dans la compétition Car Wash de Michael Shultz, un film emblématique de la blaxploitation, avec des personnages haut en couleur. Ils sont noirs pour la majorité, dans un film destiné en priorité à la communauté afro-américaine mais ils sont universels et tout le monde peut se reconnaître en eux. Ce qui prime avant tout est le rire déclenché par les situations absurdes qu’ils vivent dans un lieu fermé (une station de nettoyage de voitures) et leurs caractères outrés.

C’est aussi une « normalisation » qui correspond plus à la réalité vécue chaque jour par les sociétés diverses et pluri-culturelles dans lesquelles on s’attache plus à la réalité des personnes qu’à leurs différences plus ou moins visibles.

Pour l’anecdote, la seule fois où des personnalités de couleur ont figuré sur l’affiche officielle du festival, c’était en 2007. Le photographe Alex Majoli avait demandé à Pedro Almodovar, Souleymane Cissé, Wong Kar-wai, Samuel L. Jackson et Penélope Cruz de faire du « jumping ». La visibilité des minorités peut passer aussi par ce biais de l’affiche officiel, cela pourrait être considéré comme anecdotique mais cette vitrine pourrait délivrer un important message…

Par Wyzman du site Ecran Noir

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