Cannes 2020 : Spike Lee président

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© Nicola Goode / Festival de Cannes Tous droits réservés

On savait les trois principaux festivals européens – par ordre chronologique du cycle annuel Berlin, Cannes et Venise – engagés depuis toujours dans une concurrence parfois féroce pour s’assurer l’exclusivité des films des auteurs les plus prestigieux. Ce bras de fer autour de la renommée internationale prend un air presque ridicule en ce début d’année 2020, où les annonces des présidents du jury se bousculent. Moins d’une semaine après celle du Festival de Berlin, certes un peu tardive pour un festival commençant un mois et demi plus tard, qui avait nommé jeudi dernier, le 9 janvier, l’acteur anglais Jeremy Irons à la tête de sa compétition, c’était donc aux responsables du Festival de Cannes de communiquer leur choix avant-hier. Cette manœuvre à l’emploi du temps légèrement mesquin de la part du président du festival Pierre Lescure, qui a postulé récemment pour un nouveau mandat, et de son délégué général Thierry Frémaux afin de dominer l’actualité cinématographique en ce milieu de semaine a pourtant été sabotée par leurs confrères italiens, qui viennent à leur tour de choisir la prochaine présidente de leur jury. Mais on y reviendra …

Ce sera donc le réalisateur américain Spike Lee, lauréat du Grand prix à l’avant-dernière célébration cannoise pour Blackkklansman, qui aura l’honneur de succéder à son confrère mexicain Alejandro Gonzalez Iñarritu en tant que président du jury. Pour rappel, ce dernier avait récompensé le film coréen Parasite de Bong Joon-ho de la Palme d’or, le premier prix d’une vague massive de récompenses internationales, qui devrait s’arrêter début février avec un sacre plus ou moins important aux Oscars. Dans sa longue lettre de remerciement, Spike Lee estime que le Festival de Cannes a eu un impact énorme sur sa carrière, ainsi que sur sa trajectoire dans le cinéma mondial. La 73ème édition de ce rendez-vous incontournable du cinéma sous toutes ses facettes – ou presque – aura lieu du mardi 12 au samedi 23 mai prochains. La sélection officielle et la composition du jury seront dévoilées vers la mi-avril.

Spike Lee sur le tournage de Do the right thing © David Lee / Splendor Films Tous droits réservés

Si on nous avait prédit, il y a sept ou quatre ans, après la sortie du remake inutile de Old Boy ou bien lors de la présentation de Chi-Raq hors compétition au Festival de Berlin en 2016, jamais suivie d’une sortie dans les salles françaises, que Spike Lee (* 1957) allait vivre une telle renaissance, on aurait eu du mal à le croire ! La pièce maîtresse de ce retour en grâce inattendu est certes Blackkklansman, entre autres récompensé de l’Oscar du Meilleur scénario adapté l’année dernière. Mais rétrospectivement, il y avait quand même quelques indices que ce réalisateur afro-américain majeur n’avait pas encore dit son dernier mot, comme par exemple l’Oscar d’honneur voté par l’Académie du cinéma américain en 2015. C’est que la réputation de Spike Lee repose tout de même sur un corpus de films imposant, à la fois d’un point de vue artistique et social.

Tout avait commencé, pour Lee réalisateur débutant et son lien privilégié avec le Festival de Cannes, en 1986 avec Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs. Trois ans plus tard, l’engouement passionné du public pour Do the right thing avait pris son envol en compétition, la partie reine du festival dans laquelle Lee était retourné avec Jungle fever et Blackkklansman. Ses films Girl 6 et Summer of Sam avaient également été sélectionnés à Cannes, tout comme le film collectif Ten Minutes older. Ses passages à Berlin et à Venise ont été un peu moins fréquents, puisqu’il y a présenté respectivement Malcolm X, Get on the bus, The Very Black Show et le magistral La 25ème heure, ainsi que Mo’ Better Blues, Clockers et le documentaire Katrina. Enfin, l’appréciation du travail de Spike Lee en France s’est aussi déjà manifestée par le biais d’un César d’honneur qu’il avait reçu en 2003 des mains de Costa-Gavras.

Spike Lee sur le tournage de Blackkklansman © David Lee / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Comme l’avait remarqué Spike Lee lui-même dans son communiqué de remerciement, il est le premier président afro-américain du Festival de Cannes, voire de l’un des trois grands festivals européens tout court ! Ceux-ci se sont en effet montrés plutôt … européens, faute d’un terme plus approprié, dans leurs sélections de présidents, où la parité homme / femme n’est toujours pas non plus appliquée. A Cannes, on n’a ainsi eu droit qu’à deux présidents asiatiques, le réalisateur chinois Wong Kar Wai en 2006 et le poète japonais Tetsuro Furukaki en 1962, mais personne du continent africain ou de la diaspora africaine aux États-Unis, comme l’appelle le nouveau président. A Venise, les têtes de jury ont été légèrement plus asiatiques, grâce à l’actrice Gong Li et aux réalisateurs Zhang Yimou et Ang Lee. Quant à Berlin, on peut y faire pratiquement le même constat déprimant, avec deux présidents asiatiques, Gong Li et Wong Kar Wai – encore eux – et au moins une présidente indienne en la personne de la réalisatrice Mira Nair en 2002.

Ce qui ne pèse pas lourd dans plus de 200 festivals cumulés, qui sont censés refléter – au moins de nos jours – l’ambition universelle et inclusive de leurs organisateurs. Hélas, pour cause historique, les choix potentiels n’étaient certainement pas abondants au cours du XXème siècle. Il n’empêche que cela a quelque chose d’étonnant, qu’on ne trouve nulle part sur ces listes par exemple les noms de Satyajit Ray, de Sidney Poitier, de Denzel Washington, de Morgan Freeman ou bien de cinéastes intrinsèquement africains comme Youssef Chahine, Ousmane Sembene, Idrissa Ouedraogo et Abderrahmane Sissako. C’est sans doute un mélange peu reluisant de prestige, d’argent et de politique culturelle qui explique cette absence décevante …

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