Critique : Les Anarchistes

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les anarchistes afficheLes Anarchistes

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Elie Wajeman
Scénario : Elie Wajeman, Gaëlle Macé
Acteurs : Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos, Swann Arlaud
Distribution : Mars Distribution
Durée : 1h41
Genre : Film noir historique
Date de sortie : 11 novembre 2015

Note : 3/5

Si l’on peut juger de la qualité d’un film à l’aune de sa narration alors nul doute que Les Anarchistes constituerait un excellent film. En effet, dès les premières minutes, le réalisateur, dont c’est le deuxième film, parvient à trouver une efficacité dans le déroulement du récit évoquant les meilleures heures du cinéma de série-b américain, ces petits films réalisés à la chaîne, parfois en un laps de temps record, et dont l’histoire ne s’encombre pas d’éléments superflus. Aller droit au but, à l’essentiel et surtout ne pas ennuyer le spectateur tels étaient les crédos des producteurs hollywoodien d’antan. A la question « Qu’est-ce que le cinéma ? », le réalisateur américain, Raoul Walsh, répondit par une formule dont la simplicité n’a d’égal que l’épure narrative de ses films : « Le cinéma, c’est : Action, action, action ! » (André Bazin n’eût pu trouver réponse plus laconique, vous en conviendrez…). Elie Wajeman semble avoir fait sienne cette maxime.

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Synopsis : Paris 1899. Le brigadier Jean Albertini, pauvre et orphelin, est choisi pour infiltrer un groupe d’anarchistes. Pour lui, c’est l’occasion de monter en grade. Mais, obligé de composer sans relâche, Jean est de plus en plus divisé. D’un côté, il livre les rapports de police à Gaspard, son supérieur, de l’autre, il développe pour le groupe des sentiments de plus en plus profonds.

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Comment filme-t-on un changement de point de vue ?

En cette année 2015, Les Anarchistes a été choisi comme film d’ouverture de la semaine de la critique. Selon les dires du réalisateur, c’est un projet envisagé depuis son premier film, et auquel Tahar Rahim, acteur principal et ami de longue date, a apporté son soutien personnel. Particularité du film : il prend comme cadre le milieu des groupuscules anarchistes de Paris, à cheval entre le 19ème siècle et le 20ème siècle. L’intrigue est toute simple avec Tahar Rahim (très juste comme à son habitude) dans le rôle de ce policier chargé d’infiltrer une bande anarchiste pour le compte de son supérieur hiérarchique. Au contact de ses membres, comme de juste, le personnage principal prendra conscience de la complexité du monde et ira même jusqu’à nouer une liaison amoureuse avec une Volteryne de Cleyre bis (Adèle Exachorpoulos dans ce qui est loin d’être sa meilleure interprétation). En général, les films d’infiltration ne racontent qu’une seule et unique chose : une prise de conscience inscrite dans un geste dialectique. D’un point de vue cinétique, cela amène vers des questions intéressantes : comment filme-t-on un changement de point de vue ? De quelle manière traduit-on en images et en mouvement une prise de conscience ?

Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos, Guillaume Gouix et Swann Arlaud
Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos, Guillaume Gouix et Swann Arlaud

Les films d’infiltration (Point Break, Les Brigades du Suicide, Infernal Affairs, The System…) reposent essentiellement sur un même schéma narratif : une personne (souvent du « bon » côté de la loi) est sommée par une tierce personne (dans la plupart des cas, sous la direction d’un commissaire de police qui sera la seule personne à être au fait) d’intégrer subrepticement un groupe sociologique particulier (généralement du « mauvais » côté de la loi), de se fondre dans le milieu-dit, et d’adopter la même gestuelle, ou manière de penser, afin de faire illusion et de paraître authentique aux yeux du groupe. Finalement, c’est se faire passer pour ce que l’on n’est pas, de jouer un rôle. Être un acteur en somme. Cette duplicité (qui peu à peu se transforme en sympathie, voire plus si affinités, à l’égard des personnes espionnées) et ce jeu de faux-semblants participent de la tension du film : comment la supercherie va-t-elle être dévoilée ? Car il suffit d’un geste ou d’une simple parole pour révéler le jeu de dupes. D’où le soin méticuleux à calculer le moindre geste, à mesurer chaque parole. Cette dialectique, entre l’être et le paraître, constitue l’attrait principal du genre.

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Un grand soin apporté à la reconstitution d’époque

A la vision du film, l’on sent qu’un grand soin a été apporté à la reconstitution d’époque, aux costumes et aux décors… Ce souci d’exactitude est malheureusement tempéré par la manière dont s’exprime certains comédiens via certains tics de langage contemporain. Un détail, certes, mais qui donne l’impression d’être un effet de distanciation non voulu. Nous pourrions également ergoter sur le manque d’ampleur romanesque du film, cependant la petitesse du budget alloué à celui-ci peut expliquer cela. Le manque d’originalité du récit peut aussi être pointé du doigt. Mais il est vrai que le film d’infiltration repose sur des archétypes narratifs auxquels il est difficile se soustraire. En revanche, il convient de saluer le travail absolument remarquable du chef-opérateur : la tonalité bleuâtre, alliée à l’aspect diffus et éthéré de la lumière (comme pouvait le concevoir John Alton, grand directeur de la photographie américain qui a notamment éclairé certains des meilleurs films d’Anthony Mann), donnent à l’image un aspect proche d’un daguerréotype.

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Conclusion

Économie de moyens, narration épurée, aspect formel stylisé… Contrairement aux apparences, nous ne sommes pas dans une série b façon RKO ou Universal mais bien dans un film français réalisé en 2015, chose assez rare pour le souligner et qui fait toute la spécificité de ce long-métrage peu original mais plaisant.

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