Critique : Brève rencontre

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Brève rencontre

Royaume-Uni, 1945
Titre original : Brief encounter
Réalisateur : David Lean
Scénario : Anthony Havelock-Allan, David Lean et Ronald Neame, d’après une pièce de Noël Coward
Acteurs : Celia Johnson Trevor Howard, Stanley Holloway, Joyce Carey
Distribution : Park Circus
Durée : 1h26
Genre : Drame romantique
Date de sortie : 20 novembre 1946

Note : 4/5

La période anglaise des débuts de la filmographie de David Lean n’est peut-être pas aussi prestigieuse que la suivante, avec ses cinq épopées qui allaient conquérir un public international en quête d’émotions et de visuels plus grands que nature. Cette première partie de l’œuvre du réalisateur est avant tout ponctuée d’adaptations littéraires respectueuses et respectables et d’autres films de genre débordant du spleen britannique propre aux années 1940. Parmi cette dizaine de titres se cache néanmoins un véritable chef-d’œuvre, le film le plus intimiste de David Lean, soit, mais surtout une magnifique histoire d’amour qui nous inspire à chaque vision une mélancolie sublime ! Brève rencontre est la preuve à la fois précoce et ultime de la maestria cinématographique du réalisateur, qui y suscite des sentiments intenses à partir d’une histoire à la banalité confondante. Des aventures romantiques semblables ont en effet été contées par centaines avant et après la sortie de ce film magistral, mais jamais avec la même pudeur et la même pureté du propos, qui nous emmènent sans ménagement dans la course folle des sentiments contradictoires du personnage principal.

Synopsis : Ce soir-là, Laura Jesson prend le train pour rentrer chez elle avec un cœur lourd de regrets. Elle n’écoute point les bavardages incessants de Dolly Messiter, une connaissance qui fait le voyage avec elle. Une fois à la maison, Laura ne peut s’empêcher de penser à ce qui s’est passé depuis quelques semaines, à cette histoire insensée qui aurait pu anéantir son bonheur d’épouse et de mère. Et en même temps, en observant son mari Fred faire ses mots croisés après le dîner, elle se demande ce qui aurait pu être, si elle avait cédé à la passion folle qui l’avait saisie suite à sa rencontre avec le docteur Alec Harvey, lui aussi pris au piège d’une situation existentielle bien rangée.

A jeudi prochain

Il ne s’est rien passé ou en tout cas rien qui pourrait dans les faits être interprété comme un adultère avéré. Et pourtant, la liaison rapidement avortée entre un homme et une femme des plus ordinaires laisse des traces à la fois chez ces amoureux transis et chez nous, bouleversés que nous sommes par le récit sans fausse note de leur tragédie romantique. Car l’impact de Brève rencontre est précisément si puissant parce que la narration n’y force à aucun moment le trait. Sur un air agité de Sergueï Rachmaninov, l’intrigue peut essentiellement se résumer à une confession en panne d’interlocuteur. La première cause de détresse affective se situe pour Laura dans cette impossibilité de communiquer avec qui que ce soit, de partager ses joies et ses peines honteuses avec un confident. Le scénario brillant de Anthony Havelock-Allan, Lean et Ronald Neame, inspiré d’une pièce de l’intellectuel ironique par excellence Noël Coward, lui a certes trouvé un substitut en la personne du spectateur. Mais son monologue intérieur, par le biais d’une voix off pour une fois employée à bon escient, ne lui procure aucune satisfaction expiatoire. Son dilemme moral – bien qu’il devienne aussi un peu le nôtre puisque nous assistons en tant que témoins voyeurs à cette affaire interdite par la convention et la bienséance – ne se soldera ici par aucune conclusion heureuse. Il perdurera, tout comme l’interrogation terrible sur une réalité parallèle aux choix moins lâches.

Rien ne dure

La pureté incroyable du ton n’est pas seulement le fruit de la mise en scène vigoureuse de David Lean ou de la photographie dépourvue d’une beauté affectée de Robert Krasker, elle se nourrit aussi largement des interprétations excellentissimes du couple fragile au cœur de l’histoire. Tandis que la carrière de Trevor Howard n’allait plus lui réserver à l’avenir de rôles aussi subtils et à fleur de peau, celle de Celia Johnson était quasiment inexistante par la suite. Ce qui constitue tout de même une perte cruelle pour l’Histoire du cinéma, tant l’actrice fait vivre son personnage tiraillé entre la raison et les sentiments avec un naturel et une délicatesse inouïs. Elle n’est guère dépeinte comme une héroïne sans reproche. Or, sa faillite morale la rend curieusement encore plus noble, grâce à la lucidité avec laquelle elle analyse après coup le cycle de vie accéléré de cette parenthèse éclatante dans un quotidien routinier. A travers ses yeux, nous voyons tous les sentiments romantiques passer en revue, sans que le mythe de l’amour éternel ne puisse ralentir cette ronde du désespoir. La mort dans l’âme, nous partageons par conséquent son impuissance face à la séparation inéluctable, mais uniquement après l’avoir accompagnée sur les hauteurs de l’extase romantique, rendues possibles par la magie du cinéma, dont David Lean détient indubitablement le secret.

Conclusion

Nous n’avons pas souvenir d’avoir déjà vu une histoire d’amour plus triste au cinéma que celle-ci. Ce qui est avant tout un formidable gage de qualité pour Brève rencontre, la réussite la plus simple et modeste dans l’illustre filmographie de David Lean. Il n’y faut en effet pas grand-chose à ce titan du cinéma pour évoquer la nature épineuse de l’amour, si fugace et néanmoins si enthousiasmant les rares fois qu’il traverse notre existence en coup de vent.

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