Biarritz 2019 : Vida a bordo

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Vida a bordo

Uruguay, 2019

Titre original : Vida a bordo

Réalisateur : Emiliano Mazza De Luca

Distributeur : –

Genre : Documentaire

Durée : 1h10

Date de sortie : –

3/5

Sur un bateau, il ne se passe rien. Surtout, quand il parcourt lentement les rivières à l’intérieur d’un pays, au lieu de chercher l’aventure face au déchaînement des éléments sur les océans. On pourrait même argumenter que le succès de l’industrie des croisières est fondé sur cette vacuité extérieure, qui, par conséquent, donne amplement le temps aux voyageurs de profiter des nombreuses activités proposées à bord. Est-ce que l’équivalent sur la terre ferme serait le festival de film, où l’on passe son temps à courir de salle en salle, sans pouvoir aménager le temps nécessaire à la visite des points d’attrait touristiques locaux ? Pour nous, cela dépend des lieux d’euphorie cinématographique, puisque ici à Biarritz, on ne rate pas une occasion pour nous émerveiller devant le spectacle du panorama de bord de mer, maintes fois renouvelé, jamais barbant ! Bref, situer l’action d’un documentaire sur un bateau de transport maritime contient toujours son lot de risques en termes de vide narratif. Emiliano Mazza De Luca fait de cette faiblesse potentielle une force, grâce au pouvoir hypnotique de Vida a bordo, qui était donc présenté au Festival de Biarritz. Alors que les informations sur ce qui se passe sur le cargo, ainsi que sur les états d’âme des hommes qui le peuplent et le font vivre par leur travail sont réduites au strict minimum, l’exploration visuelle de cet univers confiné ne connaît pas de limites. A ce titre, il est rassurant de noter que le réalisateur a visiblement compris la force d’évocation du cinéma et plus précisément la nécessité de choisir soigneusement son point de vue, afin de donner un sens aux images et une cohérence entre elles. Son film s’apparente à un trip parfois hallucinogène au cœur du bâtiment flottant. C’est une œuvre éminemment contemplative, qui accorde certes un peu trop d’importance à la coulisse sonore, empreinte de références au genre du film d’horreur, mais qui dégage sinon une quiétude des plus apaisantes.

© Passaparola Films Tous droits réservés

Synopsis : Le porte-conteneur L’Explorateur voyage sur les fleuves Parana et Paraguay. Un bateau, quinze hommes, le fleuve.

© Passaparola Films Tous droits réservés

Où sont les hommes ?

Au début, on aurait pu croire que Vida a bordo soit un documentaire dépourvu de présence humaine. La caméra ne fait que se glisser dans les espaces vides, les salles des machines et autres couloirs disposés sous forme de labyrinthe impénétrable. Autant de lieux où l’homme n’a plus aucune utilité. En fait, l’a-t-il jamais réellement eue ? Ceci n’est pas vraiment le propos de Emiliano Mazza De Luca, on dirait, puisque l’équipage fait tout de même progressivement son apparition. D’abord le capitaine, seul au gouvernail, interpellé à la radio sur son prochain voyage, puis scrutant impassiblement la trajectoire de son bateau. Il nous arrive aussi de voir le cuistot au travail, choisissant les herbes avant de les broyer, de même que les autres membres de l’équipage, occupés à décharger les conteneurs dans un ballet fascinant de grandes unités et de charger les provisions d’une manière plus morcelée. Certains des endroits auparavant si déserts finissent peu ou prou par grouiller d’activité, par exemple lors de la réparation des machines ou du combat de titan contre la rouille. Ce n’est pas pour autant que l’on se sent proche de ces hommes, à aucun moment identifiés plus spécifiquement que par la tâche qu’ils effectuent. Leur vie en dehors de ce cadre de travail à l’allure presque sectaire n’est évoquée qu’une seule fois, au moment de la lecture en voix off de la lettre d’un enfant à son père, une déclaration d’amour filial d’une belle innocence, qui devient celle de tous les gamins à leur papa marin, faute d’identification précise de l’énonciateur. Un procédé d’attribution collective encore accru par le défilement de plusieurs dessins, sortis de l’imagination débordante et pourtant formellement si rudimentaire des enfants.

© Passaparola Films Tous droits réservés

Cimetière des éléphants

Formellement rudimentaire, ce documentaire ne l’est certainement pas ! Le réalisateur travaille au contraire les perspectives et autres détournements visuels à l’effet subjuguant, dans la plupart des cas. Il laisse le temps au spectateur de se perdre dans ses images, dont la valeur de témoignage immédiat sur la banalité de la vie à bord et sur les rives est sans cesse relativisée par une quête esthétique poussée. Pourtant, le mot d’ordre principal du projet n’est pas la dénaturalisation de ce que notre regard blasé n’éprouve plus aucune surprise de voir. Il consiste plutôt à rendre belles, voire passionnantes des choses fonctionnelles, sublimées par le biais du cinéma. Belles, mais pas vides de sens pour autant. Ainsi, le passage en revue des carcasses de cargos, disposés le long du fleuve, où ils ont été abandonnés à leur triste sort d’une mort lente causée par la rouille, acquiert toute son ampleur tragique parce qu’il succède, à quelques plans près, au combat acharné, orchestré tel un improbable tremblement de terre, mené par les hommes de L’Explorateur contre cet effet sournois de corrosion. De tels exemples de trouvailles visuelles à la force suggestive considérable, il en existe un nombre conséquent au fil de la durée assez courte du documentaire. On aurait presque aimé nous y laisser flotter un peu plus longtemps, à condition que ce soit vraiment l’image qui mène la barque et non pas le fond sonore, par moments trop travaillé et directif.

© Passaparola Films Tous droits réservés

Conclusion

Et un documentaire de plus dans notre couverture ponctuelle du Festival de Biarritz, qui prendrait presque pour nous un air de FID de la côte atlantique cette année ! Heureusement, Vida a bordo se distingue franchement des deux précédents, grâce à la confiance impressionnante qu’il fait à la force expressive des images, privées de quelque influence idéologique que ce soit. Le film de Emiliano Mazza De Luca est donc plus à savourer, l’esprit et les yeux grands ouverts, qu’à analyser schématiquement. A l’image de Dead Slow Ahead de Mauro Herce, une autre odyssée au fond des cales, dont l’esthétique était encore plus aboutie.

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