Berlinale 2024 : A Different Man

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A Different Man

États-Unis, 2024
Titre original : A Different Man
Réalisateur : Aaron Schimberg
Scénario : Aaron Schimberg
Acteurs : Sebastian Stan, Renate Reinsve, Adam Pearson et Billy Griffith
Distributeur : –
Genre : Thriller
Durée : 1h52
Date de sortie : –

3/5

On pourrait croire que tout a déjà été dit au cinéma sur la monstruosité de certaines déformations faciales. En fait, il aura suffi d’un seul film pour faire le tour de cette question pour le moins délicate. Sans vouloir rien enlever au génie de Elephant Man de David Lynch, nous devons toutefois reconnaître que A Different Man, présenté en compétition au Festival de Berlin, a pu faire sienne cette thématique d’une façon globalement ingénieuse. Car on y parle autant de pitié et de dégoût que de narcissisme au fil d’un récit riche en pirouettes largement réussies.

En adoptant le point de vue d’un homme ayant connu intimement cette épreuve avant d’y échapper miraculeusement, le troisième long-métrage de Aaron Schimberg opère un retournement du regard du plus bel effet. Très tôt, il n’y est plus question de s’apitoyer sur le sort du personnage principal, mais davantage de disséquer les séquelles psychologiques que ce handicap a laissé chez lui.

Tout ce qui y avait trait à la misère et à un cadre de vie glauque, voire hostile est rapidement évacué au profit d’une normalité autrement plus terrifiante. Le personnage que Sebastian Stan interprète avec de moins en moins de stoïcisme doit désormais affronter une forme de vie dont il avait jadis rêvé, certes, mais qui prend bien trop soudainement un aspect de cauchemar. Contre toute attente, la transformation extérieure de bête de foire en beau gosse passe-partout ne se solde guère par un état d’esprit épanoui et un quotidien sans histoires. Elle a plutôt tendance à ouvrir la porte à toutes sortes de délires qui dévoilent avant tout le raisonnement tourmenté d’un individu, si longtemps ostracisé qu’il ne sait plus comment s’intégrer dans un microcosme de New York, de toute façon surpeuplé d’énergumènes au comportement étrange.

En somme, il s’agit d’un film qui s’inscrit parfaitement dans la lignée toujours un peu décalée, toujours détonnante des œuvres distribuées aux États-Unis par A24.

© 2024 Matt Infante / Killer Films / Grand Motel Films / A24 Tous droits réservés

Synopsis : Atteint d’une maladie incurable qui a déclenché une forte déformation de son visage, Edward préfère éviter tout contact humain pas strictement nécessaire. Il accomplit son métier d’acteur en acceptant sans joie des rôles qui tentent de tirer profit de son faciès atypique. L’arrivée d’une nouvelle voisine dans son immeuble, la scénariste Ingrid, aussi belle que sociable, lui donne l’espoir illusoire qu’il pourrait s’affranchir un jour de sa condition avilissante. Or, le rêve risque de devenir réalité, lorsque Edward participe aux essais d’un nouveau médicament, censé guérir son importante malformation.

© 2024 Matt Infante / Killer Films / Grand Motel Films / A24 Tous droits réservés

Les premières minutes de A Different Man s’apparentent à une descente aux enfers. Tout le malheur de Edward y est condensé, sans forcer le trait, mais sans indiquer une quelconque sortie de secours non plus. Il se fait sans cesse dévisager dans le métro. Les gens qu’il croise autour de chez lui s’empressent de faire des commentaires plus ou moins désobligeants. Et une fois qu’il pense avoir atteint son petit refuge personnel, le délabrement avancé de son appartement lui fera tôt ou tard tomber des parties du plafond sur la tête. (On a une petite idée comment il a dû se sentir, après avoir évité de justesse avant la séance un téléphone portable tombé du balcon du Berlinale Palast – fin de la parenthèse personnelle.)

Même après sa transformation, cette saleté omniprésente, ainsi qu’un voisinage peu accueillant lui resteront fidèles, comme pour mieux souligner que la nature du monde n’est pas prête à changer du jour au lendemain par un simple coup de baguette magique.

Ce dernier prend la forme d’une thérapie de médicaments expérimentaux, au résultat fulgurant. Tellement que, une fois les citations joliment écœurantes à La Mouche de David Cronenberg passées, commence un nouveau chapitre dans la vie de Edward. Dans un film plus conventionnel que cet homme différent, il se serait sans doute soldé par toutes sortes de frasques hédonistes, avant l’inévitable retour de bâton moralisateur. Et même si Edward devenu Guy se laisse bien aller à quelques plaisirs charnels jusque là interdits à quelqu’un de son apparence, le centre de l’intrigue se déplace sans tarder vers un raisonnement infiniment plus complexe. A savoir à quel point cet ancien paria est disposé à rompre définitivement avec sa vie d’avant et toutes les humiliations qu’elle englobait ?

© 2024 Matt Infante / Killer Films / Grand Motel Films / A24 Tous droits réservés

La réponse ordinaire et prévisible à cette question serait que le bellâtre Guy tenterait d’oublier au plus vite cet épisode éprouvant de sa vie. Heureusement pour nous, le scénario de Aaron Schimberg nous a aménagé quelques bifurcations insoupçonnées, qui déplacent progressivement son film sur le terrain de la farce. Une comédie d’horreur qui vit certes un peu trop de rencontres faites par hasard et de coup de folie de plus en plus grotesques. Mais au fond, l’essentiel est sauf, à savoir l’obsession de l’ancien ostracisé avec son statut d’être à part. Alors qu’il aurait tout ce qu’il peut désirer dans sa nouvelle existence d’agent immobilier couronné de succès professionnel, quelque chose l’attire vers les rapports ambigus de sa phase perçue par les autres – et dans une certaine mesure par lui-même – comme monstrueuse.

En cachant sa véritable identité aux autres, ce qui revient à porter un nouveau masque, celui de la normalité affectée cette fois-ci, il fait volontairement courir au désastre ce retour aux sources entièrement improvisé. Le charme désarmant de Renate Reinsve dans le rôle de sa voisine avenante se transforme à son tour en caprices amoureuses et sexuelles sans suite. Et l’entrée sur scène de celui qui aurait pu être un confident, mais qui devient aux yeux de Guy un concurrent féroce, finit par dérégler définitivement ce plan de reconquête condamné d’avance.

En faisant une fois de plus appel à Adam Pearson, six ans après son film précédent Chained for Life, Aaron Schimberg s’emploie à une étrange manœuvre de dédramatisation de son sujet. Car tout le mal-être névrosé de Edward trouve un pendant infiniment moins complexé en cet homme Oswald, qui a visiblement décidé de prendre la vie du bon côté, coûte que coûte.

Conclusion

A mi-chemin entre le cabinet de l’épouvante et le traité théorique sur le faux-semblant de la normalité, A Different Man tire définitivement son épingle du jeu grâce à son ton irrévérencieux, quoique jamais blessant. Pendant que le personnage principal miraculé s’y morfond en une véritable litanie d’apitoiements sur soi, le récit dispose de suffisamment de sagesse pour le laisser moisir dans sa sphère mentale trop étriquée pour apprécier la vie pour ce qu’elle est : une suite d’opportunités qui n’attendent qu’à être saisies, quitte à ce qu’elles prennent parfois la forme d’une apparition éclair de Michael Shannon, passé visiblement par là sans trop savoir à quoi rime tout cela. Ce que l’on peut interpréter comme un signe d’appréciation de sa part et accessoirement de la nôtre envers un cinéma américain indépendant tout à fait capable de remuer joyeusement le statu quo !

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