Arras 2019 : Les Parfums

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Les Parfums

France, 2019

Titre original : –

Réalisateur : Grégory Magne

Scénario : Grégory Magne

Acteurs : Emmanuelle Devos, Grégory Montel, Zélie Rixhon, Gustave Kervern

Distributeur : Pyramide Distribution

Genre : Comédie dramatique

Durée : 1h41

Date de sortie : 1er juillet 2020

3/5

Les chemins sont si courts à Arras, la ville du Pas-de-Calais qui devient depuis vingt ans au mois de novembre un véritable pays de cocagne du cinéma, qu’il serait inconscient d’un point de vue environnemental et nullement efficace d’y utiliser un autre moyen de locomotion que ses propres jambes. Pourtant, s’il y a bien un fil rouge qui traverse les films qu’on a vus jusqu’à présent à l’Arras Film Festival, c’est l’ubérisation galopante de la société française, symbolisée par le métier de chauffeur à la merci d’une clientèle exigeante. Dans le cas de Les Parfums, il s’agit certes d’une variante de luxe de ce rapport de dépendance économique et sociale si révélateur de notre époque, gérée comme une entreprise du crime par un Gustave Kervern tranquillement planqué dans un buffet chinois à volonté. Mais sinon, tous les éléments d’une mise en question de l’équilibre des forces au sein de la société française actuelle y sont bien présents. Toutefois, pour son premier film réalisé tout seul, sept ans après L’Air de rien, déjà avec Grégory Montel, un acteur parfaitement à l’aise dans des rôles d’hommes ordinaires, le réalisateur Grégory Magne ne penche guère du côté du commentaire social au ton acerbe. Son film fait plutôt preuve d’une certaine gentillesse, plaisante à sentir et à ressentir, qui préserve ses personnages de toute déconvenue majeure. Ce serait davantage un doux optimisme qui anime le récit, sans exagération, mais sans abattement moral trop glauque non plus. L’éternelle histoire des opposés qui s’attirent y subit une cure de jouvence subtile, au bout de laquelle il vaut mieux ne pas s’attendre à des changements radicaux du statu quo.

© Pyramide Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Fraîchement divorcé, le chauffeur Guillaume Favre cherche désespérément d’obtenir la garde alternée de sa fille Léa. Puisqu’il habite dans un studio trop exigu pour l’accueillir une semaine sur deux, son objectif est de déménager dès que ses finances le lui permettront. Il dépend donc étroitement de son travail, qu’il risque de perdre bientôt à cause de quelques infractions récentes du code de la route. Sa nouvelle mission consiste à conduire Anne Walberg, une ancienne créatrice de parfums prestigieux, une femme qui n’a pas l’habitude qu’on s’oppose à ses caprices de diva.

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Mademoiselle Devos et son chauffeur

Il y a initialement quelque chose de Miss Daisy et son chauffeur de Bruce Beresford dans Les Parfums, à travers ce lien hiérarchique à sens unique entre la cliente, trop obnubilée par son propre mode de vie substantiellement codifié pour oser regarder le monde au delà de son microcosme personnel, et son larbin, qui a, lui, les pieds fermement plantés dans le cambouis de la vie quotidienne précaire. Ici, il ne faut cependant pas attendre des années avant que les fronts sociaux ne deviennent plus perméables et que l’une se mette à apprendre de l’autre et inversement. Ce processus de rapprochement s’opère progressivement, sans trop forcer le trait et sans que l’on puisse soupçonner non plus un quelconque calcul intéressé derrière les sollicitations répétées de Walberg pour son nouveau compagnon de route. La mise en scène laisse en effet l’intrigue se dérouler à son rythme, pratiquement détendu ou en tout cas pas animé par les diverses formes d’hystérie que l’on redoute de croiser dans pareil contexte d’une perfectionniste solitaire, qui est censée reprendre goût à la vie grâce à l’intervention de son pendant plus mondain qu’elle. Sauf que Guillaume n’a que sa franchise en sa faveur, ses tentatives d’être un bon père, depuis l’incident du distributeur brutalisé à la piscine au début du film jusqu’à la baignade en bord de mer tombée à l’eau, se soldant le plus souvent par des échecs pénibles. Ce sont donc en quelque sorte deux perdants que la vie a réunis par hasard, qui apprendront à s’affranchir des limites qu’ils se sont eux-mêmes imposés.

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L’odeur du carnage

Or, Les Parfums ne relève point de la propagande pour un volontarisme en guise de remède à tous les problèmes de la vie. Pour cela, le propos du film est beaucoup trop nuancé et surtout en phase avec les états d’âme de ses personnages, de grands mélancoliques qui ne savent pas sortir par leurs propres moyens des prisons qu’ils se sont eux-mêmes construites. La symbiose de leurs efforts prendra du temps, soit, et elle ne produira pas non plus des résultats mirobolants dans l’immédiat. Ce qu’elle accomplit par contre, c’est l’amorce astucieuse d’un chemin en commun. Seulement le début de l’aventure est esquissé ici. Et tant mieux, puisque cette façon de faire avancer délicatement l’intrigue nous évitera de devoir avaler des révélations trop poussives, comme par exemple l’hypothétique talent de nez chez Guillaume, qui restera heureusement au stade d’assistant habile. De même, le dilemme professionnel du personnage principal féminin, interprété brillamment, comme à son habitude, par Emmanuelle Devos, le redoutable couteau suisse du cinéma français, ne débouchera pas non plus sur une sortie de secours romantique, afin de relâcher toute la tension accumulée par tant de frustrations au fil d’une carrière en dents de scie. A ce titre, la séquence dans le bar, avant la nouvelle perte d’odorat, est révélatrice à la fois du malaise social persistant du personnage et de la façon adroite de Grégory Magne de traduire ces ambiguïtés en des images filmiques aussi sobres que pertinentes.

© Pyramide Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Après avoir vu Les Parfums, vous sentirez la vie autrement. A moins que vos narines soient complètement bouchées à cause de la saison des pollens lors de sa sortie en plein printemps l’année prochaine ! Cette ouverture d’esprit ne sera peut-être que de courte durée, puisque la gentillesse un tout petit peu molle du film l’empêche d’atteindre un niveau cinématographique supérieur. Toujours est-il que vous y passeriez un bon moment en compagnie de Emmanuel Devos et de Grégory Montel en couple amical à première vue mal assorti, qui saura baisser la garde afin de sortir ensemble d’une impasse existentielle temporaire.

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