Albi 2019 : La Dernière vie de Simon

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La Dernière vie de Simon

France, Belgique, 2019

Titre original : –

Réalisateur : Léo Karmann

Acteurs : Camille Claris, Benjamin Voisin, Martin Karmann, Nicolas Wanczycki

Distributeur : Jour2Fête

Genre : Fantastique

Durée : 1h45

Date de sortie : 5 février 2020

3/5

En règle générale, nous ne faisons pas trop la distinction entre la mise en scène et le scénario dans notre appréciation d’un film, puisque nous considérons qu’ils sont censés se nourrir mutuellement. Dans le cas de La Dernière vie de Simon, présenté en ouverture du Festival d’Albi, il existe pourtant une assez grande disparité entre l’histoire et sa mise en images pour que la machine cinématographique risque parfois de s’enrayer. La prémisse, d’abord, fait preuve d’une étonnante ingéniosité, voire d’une maîtrise bluffante, depuis la découverte de l’élément fantastique jusqu’à son paroxysme. Nous ne sommes pas des connaisseurs assez fins du cinéma de genre pour affirmer avec certitude qu’il n’y ait pas eu de film, avant celui de Léo Karmann, qui aurait exploré le don surnaturel d’adopter à volonté l’aspect physique de l’autre. Connaissant la richesse souterraine du cinéma bis, nous serions même surpris que personne n’y ait pensé auparavant. De toute façon, ce qui compte ici, c’est moins l’idée en elle-même que sa conjugaison au fil d’une trame narrative, qui n’est pas à une (bonne) surprise près. Malheureusement, la forme du film ne tient pas suffisamment rigueur de ce trait dramatique très solide, préférant l’accompagner de fioritures visuelles fâcheusement distrayantes. La référence au style de Steven Spielberg y devient ainsi trop souvent un gadget, avec ses amples mouvements de caméra et ses sources de lumière en surabondance, au lieu d’être la piste de lancement d’une nouvelle voix singulière du cinéma de genre français.

© Jour2fête Tous droits réservés

Synopsis : Simon est un orphelin solitaire, qui n’aspire qu’à une chose : trouver enfin une nouvelle famille. Lors d’une excursion au port, il fait la connaissance de Thomas et Madeleine Durant. Il devient rapidement leur ami, jusqu’à être invité par leurs parents à passer le week-end dans la maison familiale. Lorsque l’heure est venue de sceller par le sang leur nouveau lien fraternel, Simon annonce à Thomas et Madeleine qu’il dispose d’un don surnaturel.

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Qui suis-je au fond ?

Cela fait plus de vingt ans que les effets numériques font d’énormes progrès. Tout semble désormais à leur portée. Aucun univers, aucune forme hybride entre la réalité et l’imagination virtuelle ne leur résistent plus. Or, en parallèle de cette capacité de créer un nombre infini de choses s’accentue la responsabilité d’en faire bon usage, d’éviter soigneusement que l’effet devienne sa seule et unique raison d’être. Dans La Dernière vie de Simon, ce qui s’apparente à l’un des enjeux majeurs des arts visuels de demain – à moins qu’il ne le soit d’ores et déjà – est intégré de façon adroite. Il suffit à Léo Karmann d’exposer une ou deux fois le pouvoir du personnage principal, consistant à prendre l’apparence de n’importe quelle personne qu’il a touchée, pour qu’il devienne une partie substantielle du récit. Le montage habile œuvre alors autant à indiquer les moments de transition que les effets spéciaux agréablement discrets. Mieux encore, plutôt que de s’appuyer ostensiblement sur les prouesses du morphing dernier cri, la narration incorpore ce détail crucial dans l’intrigue avec un naturel désarmant. Il en résulte un jeu impressionnant de variations autour du thème du double et de l’usurpation d’identité, capable de dépasser largement le stade embryonnaire de l’idée isolée du début. Et contrairement au ton fanfaron de tous ces contes de super-héros hollywoodiens, qui pullulent sur les écrans des multiplexes du monde entier depuis fort longtemps, en affichant fièrement vers l’extérieur les pouvoirs de leurs personnages surdimensionnés, celui de Simon tient du secret, préservé honteusement et par conséquent au moins autant une malédiction qu’un subterfuge d’intégration dans un monde jugé inaccessible.

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Frites à volonté

Alors qu’on n’a guère l’habitude de tomber sur un scénario aussi soigneusement travaillé du côté du cinéma fantastique, peu importe qu’il soit d’origine française ou internationale, qui a davantage tendance à miser sur l’immersion sensorielle et donc potentiellement superficielle dans des univers fabriqués de toutes pièces, l’excès formel y est sensiblement plus chez lui. Et c’est hélas à ce niveau-là que ce premier long-métrage montre le plus clairement ses limites. D’abord un simple prétexte pour attirer le chaland / spectateur, la patte de Spielberg devient rapidement un sérieux obstacle à l’expression esthétique autonome de ce film. La caméra y bouge dans tous les sens, mais sans que cette agilité accrue ne soit nécessairement dictée par l’envergure épique de l’histoire. De même, les sources de lumière les plus farfelues, qui illuminent le cadre à outrance, n’apportent le plus souvent rien d’essentiel au récit. Elles donnent plutôt l’impression de meubler visuellement, là où la complexité de l’action aurait aisément pu prendre la relève. Ce manque de personnalité dans le maniement des outils formels nous paraît d’autant plus regrettable, qu’il s’oppose à un trait infiniment plus libre du côté du scénario. Aurait-on droit alors à un manque flagrant de confiance de la part du réalisateur en la qualité de ce dernier ? Puisque Léo Karmann cumule ici les deux casquettes, il s’agirait alors d’un cas de schizophrénie artistique suprême, après tout pas si incongru dans le cadre d’un film qui nous parle de la difficulté de trouver sa place authentique dans le monde.

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Conclusion

Le cinéma fantastique en France est assez moribond pour qu’il nous paraisse indispensable d’en saluer les projets les plus ambitieux. Quitte à se retrouver avec un film comme La Dernière vie de Simon, à la trame narrative prodigieuse, quoique malheureusement miné à intervalles réguliers par une réalisation surchargée. Un vrai premier film, en somme, débordant de bonnes intentions et d’une connaissance encyclopédique des règles du genre, qui a curieusement freiné son jeune réalisateur à aller développer son propre style.

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