Asteroid City

États-Unis, 2023
Titre original : Asteroid City
Réalisateur : Wes Anderson
Scénario : Wes Anderson, d’après une histoire de Wes Anderson et Roman Coppola
Acteurs : Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Tom Hanks et Jeffrey Wright
Distributeur : Universal Pictures International France
Genre : Comédie fantastique
Durée : 1h45
Date de sortie : 21 juin 2023
2,5/5
Dans son onzième long-métrage, Wes Anderson fait essentiellement du Wes Anderson. C’est-à-dire qu’il nous présente une histoire aussi joliment décalée que tributaire d’une myriade de dispositifs cinématographiques, le tout porté par une distribution surabondante de noms prestigieux. Asteroid City, c’est la méthode Wes Anderson conduite à la fois à son sommet réservé aux initiés et à ses limites pour tous les autres. Car en dehors d’une dose considérable d’humour pince-sans-rire et de l’apparition souvent très furtive d’une vingtaine de vedettes, il n’y a pas vraiment grand-chose à tirer de cette histoire de science-fiction, agencée à travers une mise en abîme théâtrale relevant avant tout du gadget.
A chaque nouvel acte de cette farce futuriste, dans laquelle des discours scientifiques pointus cachent tant bien que mal la vacuité des personnages, le récit s’enfonce ainsi toujours un peu plus dans les profondeurs vertigineuses d’un univers à l’artifice pleinement assumé. Dès lors, rien de réellement humain ne transpire dans cette comédie doucement loufoque. Ou plutôt, le réalisateur s’y fait un malin plaisir de cacher les défauts, voire les fêlures de ses personnages derrière d’épaisses couches de magie filmique, débitée avec plus ou moins d’élégance. Au risque de finir par se prendre à son propre jeu : celui de la pointe chassée sans cesse par le gag suivant, noyée dans un amalgame de situations qui semblent avant tout destinées à souligner l’absurdité de l’existence humaine.
A plus forte raison, quand elle est passée par le filtre stylisé de la nostalgie des années 1950 d’un côté et par une réflexion alambiquée sur la création artistique de l’autre. Du Wes Anderson tout craché donc, quoique sans le lâcher-prise vers un terrain narratif plus libre et imprévisible, par lequel s’étaient distingués ses films les plus accomplis.

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Synopsis : En 1955, le photographe de guerre Augie Steenbeck, qui vient de perdre sa femme, doit emmener ses trois filles chez leur grand-père Stanley Zak, puis son fils aîné Woodrow à un concours de jeunes inventeurs surdoués en plein désert. Or, sa voiture tombe en panne à Asteroid City, l’endroit précis où aura lieu la petite foire en honneur des génies de demain et de l’astéroïde qui s’y était écrasé il y a quelques milliers d’années. En attendant l’arrivée de Stanley, Augie s’installe avec sa famille dans le camping local, où il fait la connaissance des autres invités du festival scientifique. Y compris la célèbre actrice Midge Campbell, dont la fille Dinah ne tarde pas à être séduite par la timidité de Woodrow.

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Tout est branché, mais rien ne fonctionne
Le vernis d’époque est mis en avant dès les premiers plans de Asteroid City. Par voie du narrateur un peu raide campé par Bryan Cranston, nous y sommes confrontés aux stades préparatifs d’une pièce de théâtre, pondue par un auteur ésotérique à qui Edward Norton confère une belle aura d’indifférence intellectuelle. (N’ayez pas crainte, on ne vas pas se contenter de vous dérouler l’intrigue du film au fil des apparitions éclair, même si pareille paresse éditoriale se prêterait aisément pour ce genre de récit à tiroirs !) Toutefois, cette histoire cadre et ses cartons indiquant les numéros de scène remplissent un rôle narratif guère convaincant au sein d’un récit situé dans une époque révolue. En effet, ces interruptions périodiques nous arrachent bien trop souvent du charme désuet qui se déploie envers et contre tout dans cette bourgade au milieu de nulle part.
A partir du prétexte de la conférence des jeunes astronomes, il y aurait eu de quoi explorer davantage les liens passablement tordus qui s’établissent progressivement entre le protagoniste en deuil et ses connaissances de passage. Tout un chacun reste fermement attaché à un objet ou un trait de caractère type, à l’image de Steve Carell en hôtelier aux talents cachés de fournisseur de cocktails et d’agent immobilier. Si cette caractérisation immédiate permet de se retrouver assez vite parmi cette multitude de personnages, elle comporte en elle le revers fâcheux de les enfermer durablement dans ce repère unique, devenu en fin de compte pour la plupart d’entre eux un boulet.
Il ne reste plus alors à Wes Anderson et son fidèle coscénariste Roman Coppola que de les agencer dans des variations diverses, sous forme de puzzle de clichés de cinéma dont l’image complète ne nous apprend hélas rien de bien transcendant à la fin du film.

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Seul dans l’univers
Ceci dit, Asteroid City sait nous séduire aussi par intermittences, grâce à quelques morceaux de bravoure indiscutables. Avec toujours le même bémol que la mise en scène préfère trop souvent passer à autre chose, plutôt que de mener chacun de ces chocs imperceptibles jusqu’à leur conclusion pleine et entière. Néanmoins, Jason Schwartzman en observateur passif par excellence poursuit plus que raisonnablement son rôle essentiel d’alter ego de Wes Anderson, qu’il a occupé sous une forme ou une autre pour l’instant dans huit longs-métrages et un court du réalisateur. Son historie d’attirance pas exclusivement sexuelle envers Scarlett Johansson, sensuelle et mystérieuse comme à son habitude, sait ponctuer le récit de confidences intimes qui dénotent positivement dans l’ambiance sinon trop calculée et cérébrale du film.
Pourtant, une évolution plus linéaire et travaillée de cette romance de circonstance n’aurait-elle pas fait perdre au film son aspect choral, indissociable de l’univers de Wes Anderson ? Sans doute. Toujours est-il que le passage du coq à l’âne, séquence après séquence, où personne ne paraît maîtriser quoique ce soit, nous a causé avant tout un sentiment persistent de frustration, là où d’autres films d’Anderson – The Grand Budapest Hotel en tête – avaient su s’affranchir du piège de l’humour caustique pratiqué sans la moindre retenue par le réalisateur.
Ajoutez-y le gâchis en masse de comédiens de grand talent comme Adrien Brody, Willem Dafoe, Bob Balaban, Matt Dillon, Tilda Swinton, Hope Davis et Jeff Goldblum, réduits à ce qui ressemble dangereusement à de la figuration, et vous comprendrez que Asteroid City ne risque guère de compter un jour parmi nos films préférés de Wes Anderson !

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Conclusion
Le bon point, en quelque sorte, c’est qu’Asteroid City ne déroge aucunement à ce qui a fait le succès, depuis près de trente ans déjà, de l’univers de son réalisateur. A savoir un ton singulier, à mille lieues de la réalité américaine d’hier et d’aujourd’hui, qui traverse indemne un décor soigné et des péripéties rocambolesques, sans impact notable sur le statu quo établi d’entrée de jeu. Même si l’ajout du récit cadre, hautement rétro et méta, nous y semble parfaitement dispensable. Car ce cumul de clins d’œil presque poussifs se fait au prix d’une superficialité ambiante. Celle-ci se voit seulement percée ponctuellement et sans conséquences durables, quoique avec bravoure, par des propos d’un sérieux qui dénote forcément au sein de ce récit vaguement amusant.