Retour sur Silence de Martin Scorsese : Renoncer à l’intime

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Silence

Etats-Unis, Italie, Mexique, Japon, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Martin Scorsese
Scénario : Martin Scorsese, Jay Cocks
Acteurs : Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Nesson
Distribution : Metropolitan Film Export
Durée : 2h41
Genre : Drame
Date de sortie : 8 février 2016

 

Synopsis officiel : XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.

Renoncer à l’intime…

Renoncer à soi-même, c’est un des thèmes principaux de Silence, le dernier film réalisé par Martin Scorsese. Quelle est la vérité sur nous-mêmes ? Quelle est notre réalité ? Quand le miroir se casse en mille morceaux, chacun peut en prendre un bout pour s’y voir reflété et croire qu’il détient LA vérité absolue alors qu’en fait, on ne tient plus qu’au creux de la main un morceau d’un miroir disparu. Dans un de ses contes, Borges se mettait dans les chaussures d’un nazi qui allait mourir: « Je regarde mon visage dans le miroir pour savoir qui je suis, pour savoir comment je me porterai dans quelques heures, quand je ferai face à la fin. Ma chair peut-être effrayée, pas moi ».

Comment forcer deux univers, deux vérités à part entière à cohabiter sans conflit ? Les Frères Rodrigues (Andrew Garfield) et Garupe (Adam Driver) partent à la recherche du Père Ferreira (Liam Neeson), disparu depuis sept ans, pour se rassurer et s’assurer que ce dernier ne s’est pas converti au bouddhisme, qu’il est toujours celui qu’il fut autrefois. En arrivant au Japon, ils se trouvent confrontés à ces personnes assoiffées de croyance. Que peuvent-ils promettre à ceux qui ressentent le besoin de croire en quelque chose ? En quoi cela peut-il les conforter dans leur existence? Freud décrivait le sentiment océanique comme le besoin de l’être humain de croire en quelque chose qui va au delà de soi-même afin de supporter sa propre existence. Ce sentiment naturel pourrait être complémenté par la pensée évoquée dans l’essai La Nostalgie de l’absolu, de George Steiner. Ayant besoin de se sentir protégé face à l’inconnu et à la fatalité de la mort (ainsi que celle de la vie), l’humain part en quête de l’absolu pour trouver un être supérieur qui s’interpose entre lui et sa disparition définitive. Ce n’est pas un hasard si les chrétiens Japonais, les kirishtan, (dont le nom est d’ailleurs écrit à partir de la transcription phonétique car le mot n’existe pas dans la langue japonaise) se montrent aussi attachés aux images religieuses dans le film, car elles symbolisent cette éternité, ce chemin vers le paradis.

En quête de rédemption

Avoir droit à la foi c’est avoir droit à l’intime. Les inquisiteurs Japonais considèrent la croyance comme un privilège réservé à une élite alors que pour les kirishtan, ou les Pères, renoncer à leur foi c’est renoncer à l’intime, et donc se renier eux-mêmes. Face à ces inquisiteurs oppressants, Rodrigues se voit obligé de choisir entre l’apostasie ou l’exécution de kirishtan: « Ils ne sont pas morts pour rien… », affirme Rodrigues. « Ils sont morts pour toi, Rodrigues. », lui répond quelqu’un.

Rodrigues rejoint le panthéon des personnages scorsesiens : le poids de la culpabilité tombe sur lui de manière inévitable. Lui, qui cherchait la rédemption, se voit confronté à ses démons, qu’il avait refoulé auparavant. Lui, qui avait dessiné une construction du monde qui lui permettait de comprendre la réalité qui l’entourait, voit ses croyances s’écrouler comme un château de sable piétiné par un enfant. Silence. Silence. Est-ce que Dieu est là ? Est-ce qu’il n’a jamais été là ?

On peut percevoir en Rodrigues des échos du personnage principal de Shutter Island, Teddy Daniels. Daniels a besoin de croire à une version précise des événements car il ne peut pas se permettre de douter. S’il doutait de ce qu’il dit, il se verrait obligé de se confronter à ses fantômes, ceux qui ne le laissent pas dormir la nuit. Rodrigues est dans la même situation : il croit en ces idées absolues, car pour lui il n’existe qu’une seule vérité. Voici le grand conflit du film : ces croyances ne peuvent pas cohabiter les unes avec les autres car embrasser une des deux voudrait dire mettre l’autre en péril.

La maturité de Martin Scorsese

Que veulent vraiment dire les images ? On a pu entendre Scorsese se plaindre récemment de tous ces films contemporains dans lesquels les images ne signifient plus rien. Pour lui, la dimension éthique du cinéma est extrêmement importante. C’est d’ailleurs au travers des films d’Elia Kazan, dont Scorsese admirait profondément le travail, qu’il a construit sa vision du cinéma. Scorsese relève largement le défi de filmer l’invisible dans si peu d’espace. La mise en scène des champs-contrechamps de bustes de personnages seuls, proposée par Scorsese, est portée à l’extrême afin de mettre en évidence ce conflit entre eux, si proches en espace et si éloignés en même temps. Silence, qu’il prépare depuis presque trente ans, nous permet d’apprécier la maturité sereine de son œuvre.

« I was never silent »

(signé Miquel Escudero Diéguez)

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