Critique : Le Serpent aux mille coupures

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Le Serpent aux mille coupures

France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Eric Valette
Scénario : DOA, d’après son roman
Acteurs : Tomer Sisley, Terence Yin, Pascal Greggory
Distribution : New Story District
Durée : 1h46
Genre : Thriller
Date de sortie : 5 avril 2017

Note : 2,5/5

On ne peut pas dire que le polar à la française se porte franchement comme un charme ces derniers temps. Car entre les éternelles comédies franchouillardes et autres drames conjugaux, pas grand monde n’ose s’affirmer dans la série noire populaire comme il y en avait pléthore à une époque lointaine. Certes, des Olivier Marchal ou Frédéric Schoenderffer nous livrent régulièrement des films du genre, mais pas toujours pour notre plus grand bonheur, et la plupart des cinéastes oeuvrant dans le genre ont le choix entre partir aux Etats Unis afin de bénéficier de budgets plus confortables, ou bien à en être réduits à cachetonner sur des comédies populaires comme les Fred Cavayé ou Florent Emilio Siri en ont fait l’expérience récemment. Entre tout ça, une personnalité comme Eric Valette n’en est que plus précieuse, car même s’il s’est également laissé tenter un temps par l’aventure Hollywoodienne, il a fini par revenir en France, et ne s’est jamais fourvoyé dans des projets ne lui convenant pas. C’est ainsi que depuis l’excellent La Proie en 2011, il n’avait plus tourné pour le cinéma, se contentant d’épisodes de séries TV comme Braquo Sable noir. Il revient donc avec l’adaptation du roman du même nom de l’écrivain français DOA, publié aux Editions Gallimard en 2009, dans la collection « Série noire ». L’attente est-elle récompensée ?

Synopsis : Sud Ouest de la France, hiver 2017. Un motard blessé quitte les lieux d’un carnage. Le mystérieux fugitif trouve refuge chez les Petit, une famille de fermiers qu’il prend en otage. A ses trousses : des barons de la drogue colombiens, le lieutenant colonel Massé du Réaux, et un tueur à gages d’élite, qui sont bien décidés à le neutraliser, par tous les moyens. L’homme a déclenché une vague de violence dont personne ne sortira indemne…

 

Une introduction prometteuse

L’introduction du film laisse espérer le meilleur, en nous plongeant d’emblée dans une atmosphère poisseuse et étouffante, où les repères du spectateur sont volontairement brouillés, face à de nombreux personnages dont on ne sait pas immédiatement quelles sont leurs motivations. Le cadre est original, l’ambiance nocturne lourde et la mise en scène de Valette propre et stylisée juste ce qu’il faut, sans aller dans l’excès. Le plus dur semble accompli, le spectateur étant immédiatement captivé, et prêt à se plonger dans l’univers sombre et impitoyable du film. Les enjeux se dévoilent donc tranquillement, à l’aide d’un rythme inhabituellement lent, mais pas plombant, car on se doute que quelque chose de terrible se trame, et que tous ces personnages n’ayant à priori pas de liens entre eux, ne sachant pas eux-mêmes ce dans quoi ils sont embarqués, seront amenés à s’affronter lors d’un final explosif. Malheureusement, plus le film avance, plus l’on a une impression d’une intrigue flottante, pas aidée par un budget que l’on devine serré, l’empêchant de trouver une véritable ampleur que l’on est en droit d’attendre de ce genre d’intrigue. La mise en scène est plutôt plate, ce qui étonne de la part d’un cinéaste qui nous a quand même offert des modèles en la matière avec ses précédents films, mais qui évoque ici plus un téléfilm France 3 tout juste traversé de quelques instants plus travaillés que la moyenne esthétiquement. Mais le film étant avant tout basé sur ses personnages et son ambiance, les dialogues sont filmés platement et en perdent beaucoup de leur intensité.

Sans ennui ni passion

L’autre gros problème se situe justement dans la caractérisation de certains personnages, manquant pour la plupart d’une densité qui les éloignerait de leur fonction première, et les rendrait attachants, ou du moins intéressants. La famille chez qui le personnage interprété par Tomer Sisley trouve refuge est plutôt bien incarnée par des comédiens crédibles et, pour le coup, attachants, car ils sont bien écrits, leurs problèmes ne débutant pas avec l’arrivée du motard blessé, mais trouvant leur source dans le racisme ordinaire des habitants du coin à leur encontre, le mari étant noir. L’intrigue se déroule dans un village du sud de la France, et la peinture qui est faite de l’ambiance locale est plutôt cinglante, mais aurait mérité un peu plus de subtilité, les personnages étant réduits à des êtres racistes dont on ne sait pourquoi ils agissent avec tant de virulence. Ils n’existent pas au-delà des clichés de base voulant que dans un village du sud, tout le monde soit raciste.

L’autre personnage problématique est le psychopathe de service, joué par Terence Yin. Car là encore, ce dernier, avec son air froid et méthodique, ne s’éloigne guère des clichés du méchant asiatique impitoyable, torturant et massacrant sans manifester la moindre émotion. Lui non plus n’est pas aidé par l’écriture primaire, le film sombrant d’un coup dans le torture porn crasseux et complaisant, avec des scènes dont le sadisme boucher semble plaqué là de manière artificielle, pour créer une fausse intensité qui semble à côté de la plaque. De la violence oui, mais si possible, allant au-delà de la provoc digne d’un jeune cinéaste voulant à tout prix faire parler de lui. Les autres personnages n’existent guère plus, le pauvre Pascal Greggory traînant son air fatigué pendant tout le film, semblant se demander ce qu’il fait là. On en est donc réduits à regarder le film sans véritable ennui, mais sans passion, faisant progressivement le deuil du grand polar que l’on fantasmait, que l’on voyait défendre fièrement. Mais à aucun moment il ne retrouve la maîtrise de ses premiers instants, pas même lors d’un climax faisant l’effet d’un pétard mouillé, le règlement de compte espéré étant expédié, certainement pour les mêmes raisons budgétaires évoquées plus haut. Ce qui peut expliquer certaines lacunes n’est en revanche pas une excuse concernant l’affrontement final entre Tomer Sisley et Terence Yin, qui, sans dévoiler quoi que ce soit, relève quand même du crime de lèse majesté.

Conclusion

C’est donc avec une sensation de frustration que l’on quitte la salle, face à un film pas foncièrement mauvais, mais clairement pas à la hauteur des espérances, de la part d’un cinéaste que l’on a connu plus énergique et inspiré, mais accumulant ici un certain nombre de scories qui seraient compréhensibles chez un jeune réalisateur dont ce serait le premier film, mais plus difficiles à avaler après plusieurs films de qualité. Espérons qu’il ne lâche pas l’affaire, et qu’il persistera dans le genre, mais avec des budgets plus confortables.

https://vimeo.com/202415437

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