Critique : Au cœur de l’océan

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Au cœur de l’océan

Etats-Unis, Espagne, 2015
Titre original : In the Heart of the Sea
Réalisateur : Ron Howard
Scénario : Charles Leavitt, d’après le livre de Nathaniel Philbrick
Acteurs : Chris Hemsworth, Benjamin Walker, Cillian Murphy, Brendan Gleeson
Distribution : Warner Bros.
Durée : 2h02
Genre : Aventure
Date de sortie : 9 décembre 2015

Note : 2,5/5

La légende de Moby Dick fait rêver petits et grands depuis plus d’un siècle et demi. Au cinéma, la chasse obsessionnelle d’un cachalot plus fort que l’homme a connu son heure de gloire dans les années 1950, par le biais du classique réalisé par John Huston. En dehors de son aspect purement aventurier, cette histoire en dit long sur la soif de conquête qui mène l’humanité en général, et les Américains en particulier à la déchéance morale et physique depuis la nuit des temps. De quelle façon peut-elle par contre toujours intriguer un public contemporain, aussi loin de l’univers des baleiniers que l’huile des lampes à gaz est des énergies renouvelables ? Au cœur de l’océan tente de percer le mystère derrière le mythe, de confronter la réalité des faits à la fiction spectaculaire. Hélas, le résultat peine à nous convaincre, à cause d’une surcharge d’effets spéciaux assez laids et surtout en raison d’une baisse de régime préoccupante de la part de son réalisateur. Ron Howard n’a certes jamais été un cinéaste formellement visionnaire. Mais on s’attendait tout de même à une narration plus ferme et assurée de la part d’un enfant de souche hollywoodienne.

Synopsis : En février 1850, l’écrivain Herman Melville se rend à la ville portuaire de Nantucket, afin de s’y entretenir avec Tom Nickerson, le dernier survivant de l’Essex, un baleinier qui avait sombré dans des circonstances étranges trente ans plus tôt. Nickerson est d’abord peu disposé à partager ses souvenirs intimes avec le jeune homme de lettres, en quête d’un deuxième livre à succès. Mais au fil de cette longue nuit d’hiver, il se résigne à raviver l’expérience de sa première sortie en mer, aux côtés du second valeureux Owen Chase et du capitaine ambitieux et inexpérimenté George Pollard.

Quand la légende dépasse la réalité

Que faut-il transmettre à la postérité, la légende ou la vérité ? De nombreux films se sont posé cette question, aucun d’entre eux plus brillamment que L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford. Dans le cas présent, le dispositif d’interrogation en termes de véracité des faits ne vise guère aussi haut, puisque le récit cadre de ce film-ci sert avant tout à ponctuer une action qui serait autrement peu structurée. Les deux ou trois parenthèses dans l’auberge fermée pour la nuit fournissent un fond d’humanité nullement superflu à ce spectacle curieusement peu vigoureux. L’échange plus ou moins animé entre l’auteur hanté par une histoire abstraite et le vieil ivrogne qui a justement vécu cette dernière de trop près confère le genre de gravité rétrospective à l’intrigue, pour laquelle l’épopée de Moby Dick est réputée jusqu’à ce jour. Du côté de l’interprétation, cette partie du vingt-troisième film de Ron Howard est également la plus satisfaisante, grâce à l’interaction plutôt subtile entre Ben Whishaw et Brendan Gleeson. Les deux acteurs apportent au moins un simulacre d’authenticité au film, que les observations passagères sur la folie humaine dans la recherche d’une énergie bon marché – autrefois comme de nos jours – peinent à susciter. Sans même parler du caractère bestial de cette activité de pêche en haute mer, qui est au mieux suggéré de manière accessoire.

Des perspectives biscornues

Toutefois, le point de Au cœur de l’océan qui nous a le plus déconcertés est le processus de perte de repères et par conséquent d’intérêt dans lequel le récit s’engage sans le moindre espoir d’une éventuelle rédemption. Tandis que les séquences sur la terre ferme, avant le départ pour l’expédition décisive, se démarquent négativement par leur aspect visuel très quelconque, les choses ne s’arrangent hélas point par la suite. C’est comme si Ron Howard avait subitement oublié tous les enseignements qu’il aurait pu tirer d’une filmographie malgré tout pas honteuse, pour désormais ne plus du tout savoir où poser sa caméra afin de créer une cohérence esthétique minimale. La photographie de Anthony Dod Mantle n’est probablement pas non plus sans faute, quoique ses rares perspectives saisissantes se perdent misérablement dans un vocabulaire visuel sans queue, ni tête. Même constat du côté du montage, pourtant assuré par les monteurs fidèles du réalisateur, Mike Hill et Daniel P. Hanley. De ce chaos formel naît alors un fil dramatique affreusement détendu, diamétralement opposé à l’intensité sourde du film précité de Huston. Tous les efforts de transformation physique de la part des acteurs, Chris Hemsworth en tête, ne servent alors à rien, puisque même la brève partie du naufrage dans Invincible de Angelina Jolie s’avère plus passionnante que le long calvaire exprimé ici sans la moindre verve cinématographique.

Conclusion

Le mieux que l’on puisse dire de ce film, c’est qu’il nous a donné envie de redécouvrir la version de Moby Dick avec Gregory Peck en capitaine Ahab. Les prouesses techniques mises en œuvre pour évoquer la véritable histoire derrière la légende s’apparentent hélas à un énorme gâchis, à cause de la mise en scène particulièrement inepte de Ron Howard. Celui-ci nous avait donné de faux espoirs de regain de perspicacité formelle avec sa réalisation précédente, Rush, au style clairement plus maîtrisé que la bouillie plastique de ce film-ci.

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