Vu sur OCS : Le Passager de la pluie

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© 1970 Georges Pierre / Greenwich Film Productions / Medusa Distribuzione / Studiocanal
Tous droits réservés

Aucun film n’échappe à l’effet de vieillissement, qui le rend dans la plupart des cas de moins en moins accessible, au fur et à mesure que le langage cinématographique contemporain évolue dans le temps par rapport au sien. Cependant, le succès populaire de Le Passager de la pluie, il y a un demi-siècle, nous laisse tout de même perplexes ! Car comment une histoire aussi convulsée et surtout si peu engagée en faveur de l’émancipation féministe peut-elle être considérée acceptable par quelque public que ce soit ? Avant que la police du politiquement correcte ne parte en campagne contre toute forme de représentation dégradante des femmes, il était de bon ton, paraît-il, de conter la tragédie intime du viol comme un révélateur de la puissance virile, plutôt que d’adopter le point de vue de la victime. Parmi ces thrillers sur une vengeance aveugle, rarement couronnée de succès, on peut citer Les Chiens de paille de Sam Peckinpah, contemporain du film de René Clément, ainsi que, bien plus tard, le diptyque officieux avec Jodie Foster Les Accusés de Jonathan Kaplan et A vif de Neil Jordan. Autant de tentatives d’exploiter ce méfait social de la manière la plus triviale imaginable, sans réellement chercher à lui rendre justice.

Disponible encore pendant une semaine sur la plateforme de vidéo par abonnement OCS, Le Passager de la pluie va malheureusement chasser sur le même terrain au discours plus que douteux. Mélancolie, le personnage principal interprété avec une désinvolture guère convaincante par Marlène Jobert, a été violée chez elle par un inconnu, fraîchement débarqué dans sa station balnéaire pluvieuse. Elle se ravise au dernier moment de prévenir la gendarmerie et préfère, en quelque sorte, assassiner son agresseur qui était resté caché dans sa cave. Rien de trop atypique jusque là en termes de vocabulaire de justice réactionnaire, un genre largement alimenté par les films ultérieurs avec Charles Bronson. Sauf que l’apparition de ce dernier lors d’un mariage – à l’image de la bande de gangsters qui vient importuner la pauvre veuve Audrey Hepburn à la suite de l’enterrement de son mari dans Charade de Stanley Donen – pousse le scénario tendancieux de Sébastien Japrisot dans une toute autre direction. Dès lors, il n’est plus question des sévices sexuels qu’a dû subir Mélancolie. Tout l’enjeu dramatique tourne autour de son crime à elle, ainsi que de sa réticence à collaborer avec le personnage de Bronson, un Américain qui maîtrise parfaitement l’art de la manipulation, quitte à employer les gros moyens d’une torture filmée avec une complaisance écœurante.

© 1970 Georges Pierre / Greenwich Film Productions / Medusa Distribuzione / Studiocanal
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Or, notre problème majeur avec ce film, dont l’intrigue se perd rapidement dans le marasme d’un jeu du chat et de la souris à armes inégales, n’est pas tellement le regard qu’il porte sur la gente masculine. Après tout, les hommes resteront toujours pareils à eux-mêmes, c’est-à-dire les colporteurs volontaires d’un système patriarcal qui leur a rendu de bons et loyaux services au cours des derniers siècles, voire des derniers millénaires. L’exemple à la fois le plus frappant et le plus pénible de ce machisme archaïque est le mari de Mélancolie, interprété avec une épaisse couche de jalousie latine insupportable par Gabriele Tinti. Quant à Harry Dobbs, ce n’est pas uniquement son nom qui le rapproche de l’univers du film noir, dont Charles Bronson peut être considéré comme l’ultime rescapé digne de ce nom. Il dégage une bienveillance diffuse, un mélange pas sans intérêt entre la force brute et un drôle d’instinct paternel, dont des films au propos moins indéchiffrable que celui de Le Passager de la pluie sauront tirer profit.

Non, le véritable défaut impardonnable du récit se trouve du côté des personnages féminins, esquissés avec une complaisance à l’égard de leur soumission tacite qui ne passerait plus de nos jours, espérons-le. Si le plus lourd fardeau à ce niveau-là est bien sûr porté par une Marlène Jobert aussi enfantine dans sa gestuelle que dans le timbre de sa voix, ses consœurs à l’écran ne s’en sortent pas mieux. Annie Cordy campe ici une mère indigne qui a laisse un lourd héritage de traumatismes d’enfance à sa fille. Ceux-ci ont d’ailleurs la fâcheuse tendance de faire l’objet de retours en arrière ponctuels. Il s’agit là de l’aspect formel le plus inutile d’une narration, qui peut néanmoins tirer avantage de l’expérience d’un réalisateur aussi chevronné que René Clément. Puis, les rivales de Mélancolie, en quelque sorte, ne sont guère logées à une enseigne à l’éclat plus féministe, avec Jill Ireland, qui fait l’apparition contractuellement oubliable dans les films de son mari, et Colette Marchand dans le rôle d’une gérante de club privé, plantée là en priorité, on dirait, pour embrouiller encore un peu plus une histoire qui n’a déjà plus ni queue, ni tête !

© 1970 Georges Pierre / Greenwich Film Productions / Medusa Distribuzione / Studiocanal
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