Vu sur MUBI : Vito

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© 2011 Automat Pictures / Making it big / HBO Documentary Features Tous droits réservés

Qui sont les héros de la communauté gaie ? On ne parle pas ici d’icônes de style et autres surfaces de projection sur lesquelles la cause peut compter en tant qu’alliés, qui s’appellent selon les générations Judy Garland, Madonna ou Lady Gaga. Mais d’hommes et de femmes ayant joué un rôle important dans un mouvement de progrès social, qui semble avoir perdu beaucoup de sa superbe iconoclaste depuis les derniers avancements légaux dans la plupart des pays occidentaux. Car n’oublions pas que les actes homosexuels sont hélas toujours passibles de la peine de mort dans une dizaine de pays. L’activiste gay sans doute le plus connu est le politicien Harvey Milk, l’élu local à la mairie de San Francisco assassiné en novembre 1978, à qui Gus Van Sant avait consacré son film du même nom en 2008, pour lequel Sean Penn avait décroché son deuxième Oscar.

Or, la vie tragique de Milk avait fait l’objet d’un documentaire remarquable longtemps auparavant, en 1984 à travers The Times of Harvey Milk de Rob Epstein. Si l’on appliquait le même calcul chronologique au cas présent, la biographie exemplaire de Vito Russo aurait donc droit à un traitement fictif d’ici 2035 ! Puisque rien ne nous garantit que le cinéma survivra jusque là – va-t-il déjà se remettre de la longue fermeture due à la crise sanitaire, c’est la question qui nous taraude en ce moment – , il vous est chaudement recommandé de vous familiariser avec le parcours impressionnant de Russo par le biais du documentaire Vito. Curieusement, le film de Jeffrey Schwarz, produit par HBO, n’est pas disponible en France sur OCS, mais quelque part au fin fond de la vidéothèque de MUBI. Il retrace avec un esprit de militantisme contagieux l’engagement en trois actes de cet homme d’exception.

Vers la fin des années 1960, Vito Russo n’était qu’un simple activiste de la cause gaie, seulement à ses balbutiements à cette époque pas si lointaine. Vivre ouvertement son orientation sexuelle hors des normes sociales en vigueur aux États-Unis et quasiment partout ailleurs relevait alors de l’exploit. Les émeutes de Stonewall à partir de fin juin ’69 avaient certes mis le feu aux poudres de la contestation du statu quo hétérocentrique. Mais la sortie du placard allait être longue et tortueuse pour une communauté, qui peinait d’emblée à faire preuve d’unité. Dans ce contexte, le jeune Vito faisait office de rassembleur, ainsi que d’interlocuteur privilégié d’un monde artistique et médiatique, pas encore en mesure d’apprécier à sa juste valeur l’ampleur du mouvement.

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A ce sujet, il est étonnant de constater que la seule personnalité de renom à faire son apparition dans Vito en tant qu’intervenant est le monument de la cause LGBTQ+ Lily Tomlin. Tandis que cette amie de longue date de l’activiste, qui l’avait jadis choisi comme interlocuteur pour son coming out plutôt confidentiel dans les colonnes du magazine communautaire The Advocate, semble plus que jamais adhérer à l’héritage qu’il a laissé derrière lui, l’absence de Bette Midler est plus difficile à comprendre. C’était pourtant elle qui l’avait assisté au début des années ’70 dans sa tentative de recoller les morceaux d’une réunion devenue houleuse, grâce à son apparition surprise sur scène.

L’aspect de la vie de Vito Russo que nous trouvons personnellement le plus passionnant est son travail en tant qu’historien du cinéma, en l’occurrence comme précurseur à la valeur incommensurable des études de genre. Nous ignorions en effet jusqu’à présent que le documentaire The Celluloid Closet de Rob Epstein et Jeffrey Friedman était initialement un livre, précédé d’une série de conférences données par Russo à travers le monde. Sans revenir en détail sur les trésors filmiques que l’activiste avait minutieusement dénichés et classés selon le critère de la représentation de l’homosexualité à l’écran, Vito en garde intacte l’essence précieuse : que l’identité sexuelle est en large partie façonnée par son reflet dans les médias, qui était à l’époque horriblement négatif pour tout soupçon d’homosexualité chez un personnage.

Enfin, le dernier chapitre de cet itinéraire inspirant résonne peut-être le plus avec l’actualité que nous vivons, un jour de semi-confinement à la fois. En tant que victime de l’épidémie du sida, disparu en novembre 1990 à seulement 44 ans, Vito Russo avait lutté en première ligne contre l’ostracisme à l’égard des malades et contre la mauvaise foi d’une hypocrisie insoutenable de la part de l’administration Reagan. C’est probablement ainsi qu’il voudrait qu’on se souvienne de lui, comme le moteur infatigable d’une cause à l’urgence et à la légitimité impossibles à contredire. Ce documentaire lui rend un vibrant hommage. Il est certes entièrement acquis à ses convictions, mais en même temps, il demeure suffisamment factuel pour pas non plus lui dédier une hagiographie excessive.

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