Critique : Un étrange voyage

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Un étrange voyage

France, 1981
Titre original : –
Réalisateur : Alain Cavalier
Scénario : Alain Cavalier et Camille de Casabianca
Acteurs : Jean Rochefort, Camille de Casabianca, Arlette Bonnard, Patrick Depeyrrat
Distribution : Gaumont
Durée : 1h39
Genre : Drame
Date de sortie : 4 février 1981

Note : 3/5

Alain Cavalier n’a pas toujours été le maître du documentaire autobiographique. Alors qu’il est surtout resté dernièrement dans l’actualité cinématographique grâce à ses autoportraits austères, qui tiennent finement compte du processus de son propre vieillissement, le réalisateur s’était exercé jusqu’au milieu des années 1980 dans une forme de fiction pas moins personnelle. Avant que son film suivant, Thérèse, ne lui apporte cinq ans plus tard la consécration, il avait d’ores et déjà remporté le prix Louis Delluc pour ce drame aussi singulier que poignant. La caméra de Cavalier, toujours aussi peu sentimentale, y suit un père et sa fille le long des voies du chemin de fer entre Troyes et Paris. Leur odyssée macabre n’est guère un prétexte pour le rapprochement lourd de sens entre ces deux membres de la même famille, qui ne sont pas particulièrement proches. Elle permet davantage d’ouvrir, puis de refermer subtilement une parenthèse dans la vie des personnages, dont les bienfaits ne sautent pas forcément aux yeux.

Synopsis : Le restaurateur de tableaux Pierre reçoit un coup de fil de sa mère octogénaire, qui doit lui rendre visite à Paris pour deux jours. Elle aimerait repousser leur rendez-vous, mais son fils insiste sur son maintien. Quand il vient chercher sa mère à la Gare de l’Est, elle n’est pas dans le train convenu, ni dans le suivant. Pierre commence à s’inquiéter quand il n’a pas de nouvelles de sa mère et qu’il trouve sa maison en province vide. Faute d’engagement notable de la part de la police dans la recherche de la vieille dame disparue, son fils décide de partir à sa recherche sur le trajet du train qu’elle aurait a priori emprunté. Sa fille étudiante Amélie l’accompagne, pour prendre l’air avant de se consacrer à une carrière dans la magistrature.

Une étrange disparition

Comme ce fut le cas dans l’un des plus beaux films sur la disparition d’un être cher, Sous le sable de François Ozon, ce ne sont pas tant les circonstances du point de départ qui importent dans Un étrange voyage que celles de la quête pour retrouver ne serait-ce qu’un cadavre, qui permettrait de clore ce chapitre douloureux. Le vide affectif ne demande donc qu’à être rempli, quitte à entreprendre une opération aussi insensée que la fouille minutieuse des abords des voies d’un train sur des dizaines de kilomètres. Une fois qu’il a exclu toutes les autres options probables, et de surcroît encouragé dans son dessein par le témoignage plus que douteux d’un petit escroc, interprété par un François Berléand alors au tout début de sa carrière, Pierre se lance corps et âme dans ce périple, qui n’a que peu de chances de réussir. Or, la récolte de ce voyage sans destination clairement définie d’avance se chiffrera avant tout en gain de sagesse, au fil de cette période de préparation au deuil, qui surviendra ou pas. Le regard d’Alain Cavalier accompagne ce retour indirect aux sources sans la moindre effusion sentimentale. Il ne l’agence pas non plus selon le modèle d’un thriller glauque, qui mettrait en parallèle le désarroi existentiel du fils avec la disparition inexpliquée de la mère. Ce qui fait au contraire toute la valeur de ce film empreint d’un réalisme sans fard, c’est qu’il s’en fiche pendant très longtemps de fournir quelque réponse définitive que ce soit, pour mieux laisser les deux personnages principaux dans un état de suspension, qui ressemble de près à un état de grâce.

Maman, reviens !

Le récit joue en effet largement sur la question des générations, puisque c’est souvent Amélie qui prend des décisions raisonnables, tandis que son père ne se sent pas encore prêt à abandonner sa place au chaud, entre la vieillesse et la jeunesse. D’un côté, Pierre aimerait tant vivre dans le présent, alors que le fait divers de la disparition de sa mère, ainsi que toutes les rencontres qu’il occasionne, le renvoient sans cesse vers le passé, au point de retomber dans un délire somnambule de l’enfance où il fait le singe. De l’autre, sa fille se morfond d’ores et déjà dans des problèmes d’adulte ou, plus précisément, dans les dernières répliques de l’adolescence, telles la peur d’avoir choisi une trajectoire professionnelle qui ne lui convient déjà plus et la boulimie, décrite avec une pudeur relative tout à fait appréciable. La sobriété de la narration de Alain Cavalier est pour beaucoup dans le naturel de cet échange entre un père et sa fille, qui ne sont pas vraiment sur la même longueur d’ondes. Ils cherchent néanmoins à se réconforter mutuellement, sans exacerber pour autant artificiellement – ou pire encore sans ignorer – les imperfections de leur passé familial commun. Les interprétations à fleur de peau, mais à aucun moment ostentatoires, de Jean Rochefort et de Camille de Casabianca correspondent parfaitement au ton presque neutre de ce film, qui accède avec bravoure à un niveau de subtilité nullement tributaire de coups de théâtre fortement retentissants.

Conclusion

La douce musique d’Un étrange voyage n’éprouve point le besoin d’épater ou de manipuler bêtement le spectateur. Elle sait nous toucher pourtant, par le biais d’une intrigue qui ne paie pas de mine à première vue, mais dont les implications profondes s’avèrent infiniment plus riches que les ressorts conventionnels d’une chasse à l’homme (ou dans ce cas à la femme), heureusement laissés de côté ici.

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