Test Blu-ray : Le poids de l’eau

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Le poids de l’eau

États-Unis, France, Canada : 2000
Titre original : The weight of water
Réalisation : Kathryn Bigelow
Scénario : Alice Arlen, Chris Kyle
Acteurs : Sean Penn, Josh Lucas, Elizabeth Hurley
Éditeur : StudioCanal
Durée : 1h54
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 31 juillet 2002
Date de sortie DVD/BR : 1 mars 2021

À bord d’un voilier, Jean, photographe, part en reportage sur une petite île, où, en 1873, un double crime a été commis. A ses cotés, Thomas, son mari, Rich, frère de Thomas, et son aguichante amie Adaline. Au fil de son enquête, Jean revit la tragédie : comment deux jeunes femmes furent tuées à la hache tandis que la troisième trouvait refuge dans une grotte. Passé et présent se mêlent jusqu’à ce qu’inéluctablement le drame se produise de nouveau…

Le film

[3,5/5]

Présenté en 2000 lors du Festival International du Film de Toronto (Tiff), Le poids de l’eau ne sortirait que deux ans plus tard dans les salles obscures, aux États-Unis et en France. Mais quand ça veut pas, ça veut pas : en quelques semaines d’exploitation, le film ne rapporterait finalement que 320.000 dollars de recettes à l’international, pour un budget de 16 millions. Cet échec a à coup sûr représenté un sacré coup dur pour la production, ainsi que pour la réalisatrice Kathryn Bigelow, qui se remettait à peine du flop commercial de son film précédent, Strange days (1995).

Plus ouvertement « littéraire » que son film précédent (il s’agit d’ailleurs de l’adaptation d’un roman signé Anita Shreve), Le poids de l’eau est volontairement conçu sur un prisme plus étroit, resserré autour d’un petit groupe de personnages – on est loin du barnum de bruit et de fureur que représentait Strange days en son temps. Dans sa structure et le déroulement de son récit, Le poids de l’eau fait le pari de suivre simultanément deux histoires se déroulant à des époques différentes. La première tourne autour du meurtre brutal de deux femmes commis sur la petite île de Smuttynose, au large du New Hampshire, en 1873. La deuxième, située dans le présent, tient d’avantage du drame personnel impliquant deux couples cohabitant sur un voilier de plaisance cherchant à donner un sens aux événements s’étant déroulés sur l’île un peu plus d’un siècle plus tôt. Au cœur des deux histoires néanmoins, le même sentiment domine : la jalousie.

L’élément le plus étonnant du film de Kathryn Bigelow est sans doute son rapport complexe à la notion de temporalité. En effet, Le poids de l’eau est un thriller dont l’atmosphère de tension sourde, qui monte crescendo au fur et à mesure que le récit avance, semble uniquement dicté par les flashbacks successifs ramenant le spectateur à la fin du dix-neuvième siècle. Les événements du passé influencent le présent, et les obsessions de la jeune immigrante norvégienne incarnée par Sarah Polley se répercutent sur le personnage incarné par Catherine McCormack, voyant d’un mauvais œil l’intérêt que porte son Sean Penn de mari à la jeune femme en bikini alanguie sur le ponton du bateau (Elizabeth Hurley).

Habile, Kathryn Bigelow sectionne son récit en deux, en créant des passerelles, des points de convergence non seulement entre le passé et le présent, mais également entre les personnages, vivant pourtant en deux époques différentes. Cette thématique était également au centre de Strange days, mais sur le mode de la science-fiction : la technologie du Squid permettait ainsi aux personnage du film de 1995 de « vivre » les souvenirs d’un autre, de les voir à travers ses yeux, de les ressentir comme s’ils étaient dans sa tête. C’est également ce que fait Jean (Catherine McCormack) dans Le poids de l’eau : en juxtaposant les deux histoires, Bigelow entremêle les événements et parvient au final à créer une ambiance troublante, une mise en abîme qui pourra rappeler un film tel que La maîtresse du lieutenant français (Karel Reisz, 1981).

La narration du Poids de l’eau passe constamment du passé au présent (et inversement), et ce jeu avec le spectateur lui permettra, petit à petit, de récolter des indices sur ce qui s’est réellement passé à Smuttynose en 1873, tout en mettant face à face ces deux personnages féminins semblant piégés dans des mariages sans amour. Car si Jean voit son mari attiré par une autre femme, son impuissance et sa passivité ne sont-ils pas le signe d’une rupture émotionnelle et physique avec celui-ci ?

Pour autant, l’équilibre du film n’est pas parfait. Comme c’est généralement le cas dans les films utilisant une structure à « double narration », Le poids de l’eau finit par souffrir du fait qu’une des deux histoires finit clairement par dominer l’autre. Bien sûr, les deux récits convergent vers un même point, tendant à souligner que l’amour et les passions sont des forces si écrasantes qu’elles peuvent parfois nous détruire. Même à titre personnel, dans votre existence, combien de fois le destin, vos démons ou la pression sociale vous ont-ils forcé à vous compromettre en faisant taire la passion qui faisait rage dans votre cœur ? La peur ou l’habitude nous conduisent parfois aux mauvais choix et aux mauvais partenaires, et le hasard n’est pas toujours là pour remettre les choses dans l’ordre.

Cela dit, il semble clair que la partie du Poids de l’eau concentrée sur l’histoire de Maren (Sarah Polley) et des immigrants norvégiens surpasse de très loin celle se déroulant dans le présent. La solitude et les regrets de Maren, teintés de non-dits et d’une sombre relation incestueuse, permettent à cette partie du récit de s’avérer toujours absolument passionnante, tandis que l’on peine à peu à s’attacher – voire même à s’intéresser – au destin des personnages évoluant dans le présent, au point même que l’on finisse par se foutre complètement de ce qui pourra leur arriver, du moins jusqu’au final du film qui, en entremêlant passé et présent / fantasme et réalité, parviendra tout de même à raviver notre intérêt.

Ce ne sont pourtant pas les acteurs qui font que l’on se désintéresse du sort des occupants du voilier : dans le rôle principal, Catherine McCormack livre une prestation assez superbe de retenue, capturant les peurs, les angoisses et la jalousie de cette femme moderne fragilisée par la vie. Cependant, le choix de Kathryn Bigelow de faire passer les traits de caractère du personnage par le biais d’un récit conjugué au passé ne nous montre sans doute pas suffisamment ce qui se passe réellement sous la surface, et quels sont ses états d’âme. On perçoit qu’elle est malheureuse en amour, et sa situation n’est pas aidée par le personnage de Sean Pean, qui n’exprime pas ses émotions, et qui s’avère des plus ombrageux. Les seconds-rôles sont également assez excellents, avec une mention particulière pour Sarah Polley et Ciarán Hinds.

Malgré ses défauts et ses quelques fautes de goût (la musique, et malgré une intrigue alambiquée entremêlant deux temporalités distinctes, Le poids de l’eau demeure donc une œuvre intéressante, injustement méprisée / méconnue, qui mérite d’être réhabilitée à sa juste valeur – celle d’une relecture du brillant Couteau dans l’eau de Roman Polanski, dont l’intérêt est rehaussé par un deuxième récit raconté en flashbacks. Film d’atmosphère à l’évolution lente, le film de Kathryn Bigelow entretient tout du long une atmosphère lourde, menaçante. La cinéaste, qui avait su prouver par le passé qu’elle maîtrisait parfaitement l’action bourrine et testostéronée, démontre ici qu’elle est tout aussi habile quand le message est plus subtil.

Le Blu-ray

[4/5]

Petit à petit, StudioCanal continue l’upgrade de ses titres de catalogue au format Blu-ray, ce qui nous vaut aujourd’hui le plaisir de redécouvrir Le poids de l’eau en Haute-Définition, alors même que ce titre reste encore inédit en Blu-ray aux États-Unis.

Pour autant, le master dont disposait StudioCanal semble vraiment dans un état de préservation tout à fait parfait : dès les premiers plans, on constatera que la copie est tout simplement resplendissante, et que le bond qualitatif par rapport à l’édition DVD de 2003 est vraiment saisissant. Le film est proposé au format 1.85 respecté, et la définition ne pose pas le moindre souci. Le grain d’origine affiche une finesse étonnante, le piqué est d’une belle précision. Les couleurs sont vives, naturelles et profondes et les noirs denses et remarquablement gérés. En un mot comme en cent, c’est irréprochable, du beau travail.

Côté son, VF et VO sont proposées dans de puissants mixages DTS-HD Master Audio 5.1, particulièrement dynamiques et bien spatialisés. On remarquera cela dit une nette domination de la piste en version originale sur son homologue français : celle-ci impose une précision assez bluffante, et le caisson de basses est sollicité de manière à vous remettre le tiercé dans l’ordre à plus d’une reprise.

Le menu est fixe, muet et totalement spartiate, ne nous permettant que de choisir la langue et de lancer le film. Pas de bonus à l’horizon, mais la redécouverte du Poids de l’eau près de vingt ans après sa sortie ne constitue-t-elle pas, à elle-seule, un supplément de choix ?

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