Test Blu-ray : La vérité

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La vérité

France, Italie : 1960
Titre original : –
Réalisation : Henri-Georges Clouzot
Scénario : Henri-Georges Clouzot
Acteurs : Brigitte Bardot, Charles Vanel, Louis Seigner
Éditeur : Coin de mire Cinéma
Durée : 2h07
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 2 novembre 1960
Date de sortie DVD/BR : 6 mars 2020

Après avoir passé son enfance en province, Dominique réussit à convaincre ses parents de la laisser accompagner sa soeur, Annie, qui part à Paris. Dominique se fâche rapidement avec Annie et va habiter seule au quartier latin où elle accumule des aventures. Elle rencontre alors Gilbert, un ami de sa sœur, qu’elle décide de provoquer…

Le film

[5/5]

La découverte – ou redécouverte – tardive de La vérité, soixante ans après sa sortie originale dans les salles françaises, a quelque chose de vraiment fascinant. Antépénultième film d’Henri-Georges Clouzot, ce film de procès construit comme un vibrant portrait de femme constitue en effet une démonstration absolument éclatante de la modernité et de l’avant-gardisme de son cinéma, décidément toujours en avance sur son temps. En l’occurrence, et l’air de rien, le film préfigure les grands changements sociaux qui auront lieu tout au long des années 60, et la grande « révolution » des mœurs qui exploserait en 1968. Ici, c’est non seulement la place des femmes dans la société qui est au cœur des débats, mais aussi et surtout sa « liberté », d’agir et de penser comme elle le souhaite. Le comportement un peu léger du personnage de Brigitte Bardot n’en pas en cause ici, cette dernière ne sera d’ailleurs jamais « jugée » par le cinéaste, qui questionne d’avantage la façon dont le spectateur, à l’image de la société tout entière, sera amené à la juger, au-delà même de la décision prise par le juge et le jury. Un brillant miroir tendu au spectateur et à la société dans son ensemble…

Si vous me permettez un court aparté personnel, je vais vous citer une petite anecdote. A l’approche des mesures de déconfinement le mois dernier, nous nous étions réunis avec une poignée de collègues afin de nous organiser sur la suite des événements. Et alors que, nos attestations à la main, nous devisions de choses et d’autres concernant nos occupations en période de confinement, la conversation s’est naturellement orientée vers les bons films que nous avions vu durant les deux mois précédents, et que nous pouvions mutuellement nous conseiller. La discussion partit sur les chapeaux de roues vers différents inédits et séries Netflix ; de mon côté, j’expliquais m’être refait une poignée de classiques familiaux avec mes enfants et m’être replongée dans des « intégrales » de séries anciennes que je tiens comme incontournables, à savoir Twin Peaks (1990-1991 puis 2017) et Battlestar Galactica (2004-2009). Un collègue me posa alors de but en blanc une question qui me déstabilisa complètement : « Pourquoi regardes-tu des vieux films ? ». La question, qu’il posait avec toute la candeur de ses 22 ans, sans la moindre malice, attendait sincèrement une réponse, comme si le fait de ne pas regarder uniquement des nouveautés le dépassait complètement. A vrai dire, je fus tellement pris au dépourvu que je ne suis pas réellement parvenu à étayer une réponse très cohérente, cherchant vaguement à me défendre alors même, je m’en rendis compte plus tard, que sa question ne comportait pas la plus petite animosité : juste une curiosité sincère. « J’aime bien, c’est tout. Et je ne regarde pas que des vieux films ! » répondis-je donc un peu agacé.

Un mois plus tard, et alors que j’avais laissé cette conversation dans un coin de ma mémoire, la redécouverte des deux films de Clouzot édités par Coin de mire Cinéma (à savoir Les espions et La vérité) me confirma ce que je savais déjà : le cinéma d’Henri-Georges Clouzot, par sa modernité, son rythme et sa tonalité, permet un idéal passage de témoin entre le cinéma « de Papa » et le cinéma contemporain. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas le cas des films de la Nouvelle Vague, qui paraissent le plus souvent ouvertement longuets et/ou trop intellectuels au public d’aujourd’hui, et seraient plutôt à réserver aux jeunes cinéphiles désireux de se faire une culture classique. Populaire, malin, ni trop lettré ni trop simpliste, développant des intrigues en avance sur leur temps et des personnages d’une modernité étonnante, l’œuvre de Clouzot permet au grand public de se réconcilier avec le cinéma pré-De Funès. Rien que pour cette raison, et n’en déplaise à François Truffaut et aux nombreux critiques compilés par Claude Gauteur dans l’ouvrage « Clouzot critiqué » (2013, Éditions du Séguier), le cinéaste mériterait clairement d’être vu et revu du plus grand nombre. Ce film – et la plupart des autres films de Clouzot d’ailleurs – permettra donc aux plus jeunes d’entre nous de comprendre les raisons pour lesquelles on regarde « des vieux films ».

Prenant, comme 12 hommes en colère avant lui, La vérité utilise le genre du film « de procès » pour apporter au spectateur l’opportunité de remettre en question le fonctionnement du monde et de la société. Mais là où Sidney Lumet étayait son point de vue à travers les délibérations des jurés et la lutte de l’un d’entre eux afin de faire entendre raison aux autres, Clouzot quant à lui préfère laisser le spectateur prendre la place d’un des jurés, assistant à la présentation des faits selon plusieurs points de vue différents, et sans l’orienter afin de le faire pencher d’un côté ou de l’autre. C’est un choix audacieux, d’autant que la parole est tout autant laissée à la défense qu’à l’accusation. Ainsi, la vie de la jeune femme interprétée par Brigitte Bardot sera passée au crible de la société française de l’époque, qui rêve de contestation et de libération des mœurs. En quelque sorte, c’est d’ailleurs le procès de BB lui-même qui est proposé par Clouzot, dans le sens où elle représente à elle seule les désirs et les espoirs de sa génération, constamment confrontée à une société phallocrate, pleine de préjugés, pliant sous le poids de traditions ancestrales rétrogrades.

Puissamment féministe avant l’heure, La vérité prenait le parti de « libérer la parole des femmes », pour reprendre une expression largement popularisée depuis quelques années, notamment par l’affaire Weinstein. On pourra également voir dans le film – et principalement dans les interactions entre avocats au début du film – une remise en question du système judiciaire, en raison notamment de son incapacité à comprendre les relations humains autrement qu’à travers une « grille » morale de comportements, que l’on considérera acceptables ou non sans prendre en compte la notion de « contexte ». Aussi implacable que phallocrate, la machine judiciaire fait figure de rouleau compresseur, inhumain et écrasant, enchaînant les jugements sans jamais finalement tenir compte de la « vérité » de tout un chacun.

Si la maîtrise formelle et narrative de Clouzot est évidemment un des aspects les plus évidents de la réussite de La vérité, on admettra cependant que le film, qui se pose comme un beau « témoin » de la mutation progressive des mœurs en ce début des années 60, est également largement porté par une série d’acteurs absolument bluffants. Si elle n’a pas forcément laissé au fil des films et des années l’image d’une grande actrice de composition, Brigitte Bardot crève ici littéralement l’écran dans un rôle la touchant sans doute de très près. On peut sans doute affirmer qu’il s’agit de sa meilleure performance en tant qu’actrice. A ses côtés, on trouvera également une série d’acteurs tout à fait excellents, de Paul Meurisse à Charles Vanel en passant, du côté des jeunes gens, par Sami Frey, Claude Berri, Jacques Perrin, Barbara Sommers ou encore l’excellent Jean-Loup Reynold, épatant de fougue et de naturel.

La collection « La séance »

Cela fait un an et demi maintenant que Coin de mire Cinéma propose avec régularité de véritables classiques français oubliés au cœur de sa riche collection « La séance ». En l’espace de ces quelques mois, le soin maniaque apporté par l’éditeur à sa sélection de films du patrimoine français semble avoir porté ses fruits, et Coin de mire est parvenu à se faire une place de tout premier ordre dans le cœur des cinéphiles français. L’éditeur s’impose en effet comme une véritable référence en termes de qualité de transfert et de suppléments, les titres de la collection se suivent et ne se ressemblent pas, prouvant à ceux qui en douteraient encore la richesse infinie du catalogue hexagonal en matière de cinéma populaire. Comme on regrette d’avoir « loupé » les sorties précédentes – une telle initiative est forcément à soutenir, surtout à une époque où le marché de la vidéo « physique » se réduit comme peau de chagrin d’année en année.

Chaque titre de la collection « La séance » édité par Coin de mire s’affiche donc dans une superbe édition Combo Blu-ray + DVD + Livret prenant la forme d’un Mediabook au design soigné et à la finition maniaque. Chaque coffret Digibook prestige est numéroté et limité à 3.000 exemplaires. Un livret inédit comportant de nombreux documents d’archive – dont un roman-photo parfaitement charmant mais désuet – est cousu au boîtier. Les coffrets comprennent également la reproduction de 10 photos d’exploitation sur papier glacé (format 12x15cm), glissés dans deux étuis cartonnés aux côtés de la reproduction de l’affiche originale (format 21×29 cm). Chaque nouveau titre de la collection « La séance » s’intègre de plus dans la charte graphique de la collection depuis ses débuts à l’automne 2018 : fond noir, composition d’une nouvelle affiche à partir des photos Noir et Blanc, lettres dorées. Le packaging et le soin apporté aux finitions de ces éditions en font de véritables références en termes de qualité. Chaque coffret Digibook prestige estampillé « La séance » est donc un très bel objet de collection que vous serez fier de voir trôner sur vos étagères.

L’autre originalité de cette collection est de proposer au cinéphile une « séance » de cinéma complète, avec les actualités Pathé de l’époque de la sortie, les publicités d’époque (qu’on appelait encore « réclames ») qui seront bien sûr suivies du film, restauré en Haute-Définition, 2K ou 4K selon les cas. Dans le cas de La vérité, il s’agit d’une toute nouvelle restauration 4K réalisée par Sony Pictures avec la participation de The Film Foundation et RT Features.

La quatrième vague de la collection « La séance », qui contient déjà 25 titres au total, est disponible depuis le 6 mars, soit quelques jours à peine avant le confinement. Les titres annoncés sur cette vague auront de quoi mettre l’eau à la bouche des cinéphiles, puisqu’on y trouve Les espions (Henri-Georges Clouzot, 1957), La vérité (Henri-Georges Clouzot, 1960), Des pissenlits par la racine (Georges Lautner, 1964), Le monocle rit jaune (Georges Lautner, 1964), La chasse à l’homme (Edouard Molinaro, 1964) et Les jeunes loups (Marcel Carné, 1968). Pour connaître et commander les joyaux issus de cette magnifique collection, on vous invite à vous rendre au plus vite sur le site de l’éditeur.

Le coffret Digibook prestige

[5/5]

Contre toute attente, La vérité n’est pas sortie cette fois de la bouche des enfants mais bel et bien des bureaux de Coin de mire Cinéma, sur support Blu-ray pour le plus grand plaisir des cinéphiles. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le travail technique a été soigné par l’éditeur : le film a en effet été restauré en 4K par Sony Pictures Entertainment depuis le négatif original 35mm. Le résultat est sans appel : cette édition nous offre un master littéralement sublime, au grain scrupuleusement respecté et aux contrastes d’enfer, renforçant encore l’impact visuel des plans composés par Henri-Georges Clouzot et son directeur photo Armand Thirard. La restauration a vraiment fait des merveilles : la définition est irréprochable, le piqué d’une précision étonnante, bref, c’est un superbe boulot. Côté son, le film est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine : les dialogues sont clairs et les ambiances bien restituées, sans souffle ni aucun parasite d’aucune sorte. Des sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.

Dans la section suppléments, et selon le principe de la collection « La séance », vous aurez le loisir de « reconstituer » une séance de cinéma de 1964 dans la chaleur cosy de votre Home Sweet Home : il ne manquera plus que l’ouvreuse et son petit plateau de friandises. On commencera donc avec les Actualités Pathé de la 44ème semaine de l’année 1960 (10 minutes). Au menu cette semaine, les 1000 kilomètres de Paris, la lutte acharnée entre Kennedy et Nixon aux élections américaines, la deuxième partie d’un reportage sur le Portugal et un compte-rendu du championnat du monde de lutte de doigts (Fingerhakeln), sport de force assez peu connu chez nous, mais qui permet naturellement toutes sortes de plaisanteries, puisque le principe est de tirer son adversaire, homme ou femme, enfin plus exactement de tirer sur son doigt, sport également transmis de père en fils dans les familles françaises depuis de nombreuses années, mais sous une forme légèrement différente. On continuera ensuite avec une petite page de publicités 100% vintage (ou de « réclames » comme on le disait à l’époque). Esquimaux Gervais, bonbons Kréma dans de petits conditionnements « réservés aux salles de spectacle » présentés par Mr Conti, le meilleur de joueur de billard du monde, ruban adhésif de chez Scotch, réfrigérateurs de chez Kelvinator, pâtes de chez Tante Marie… Comme toujours, certaines marques ont disparu, d’autres ont traversé les années, mais la sélection de publicités présentés ici est savoureuse.

Enfin, et en complément d’une sélection de bandes-annonces de films disponibles au sein de la collection « La séance », on trouvera le documentaire Le scandale Clouzot (Pierre-Henri Gibert, 2017), d’une durée d’une heure. Ce brillant documentaire était déjà sorti en DVD en 2018, aux Éditions Montparnasse. La jaquette du DVD l’affirmait d’ailleurs de façon remarquable : « S’il a influencé des cinéastes contemporains majeurs (Friedkin, Spielberg), Clouzot reste sous-considéré en France. Or il est bien un auteur, avec une vision du monde singulière, l’un des rares à avoir réussi la fusion entre une culture française d’étude des personnages et une culture anglo-saxonne du grand spectacle. En se penchant sur sa vie romanesque et son œuvre, on découvre un homme insaisissable, touche-à-tout, inventif. Faire le portrait d’Henri-Georges Clouzot, c’est faire le portrait d’un visionnaire, d’un agitateur, d’un artiste contre le système. » C’est tellement bien dit qu’on n’aurait presque rien à ajouter ! Admiratif mais sans concession, Pierre-Henri Gibert n’élude cependant pas avec ce portrait les zones d’ombre de sa carrière ni l’ambiguïté du cinéaste, notamment vis à vis de ses films tournés pour la Continental-Films, une entreprise créée par Joseph Goebbels durant l’occupation.

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