Test Blu-ray : El Chuncho

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El Chuncho

Italie, Espagne : 1967
Titre original : ¿Quién sabe?
Réalisation : Damiano Damiani
Scénario : Salvatore Laurani, Franco Solinas
Acteurs : Gian Maria Volonté, Klaus Kinski, Martine Beswick
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h58
Genre : Western
Date de sortie cinéma : 26 juillet 1968
Date de sortie DVD/BR : 3 novembre 2021

Mexique, années 1910. Alors que la révolution bat son plein, El Chuncho, moitié bandit moitié guérillero, s’est spécialisé dans les attaques de train. Il vole des armes et les revend à un révolutionnaire, le général Elias, contre de fortes sommes d’argent. Au cours d’un de ces assauts, Chuncho trouve une aide inattendue de la part d’un jeune dandy américain qui se trouvait à bord du train. « El Niño » rejoint la troupe des guérilleros et gagne rapidement la confiance de leur chef. Mais les motivations du yankee restent troubles…

Le film

[5/5]

El Chuncho appartient à la tradition du « Western Zapatta », sous-genre politisé du western spaghetti, dont il constitue peut-être bien le plus grand chef d’œuvre. A n’en point douter, il s’agit de l’un des films les plus célèbres et les plus respectés de son auteur Damiano Damiani (Confession d’un commissaire de police au procureur de la république). Réalisé de main de maître, le film bénéficie également du jeu pour le moins convaincu de Gian Maria Volontè, et de la superbe photographie signée Antonio Secchi. On ajoutera également, même si on le cite généralement un peu moins, que le film de Damiani doit probablement beaucoup à la contribution au scénario de Franco Solinas, auteur très engagé à qui l’on doit également le scénario de films tels que Colorado (Sergio Sollima, 1966) et El mercenario (Sergio Corbucci, 1968), deux autres représentants absolument grandioses et indispensables du western spaghetti.

En effet, outre ses qualités purement formelles, El Chuncho s’avère remarquable à plus d’un titre grâce au soin apporté à son écriture, fortement emprunte de satire politique, et à la mise en place de ses nombreux personnages, très éloignés des clichés du western, et dont les actions s’avèrent le plus souvent impossibles à prévoir. Ainsi, le personnage d’El Chuncho (Gian Maria Volontè), qui au début du film semble surtout être un bandit charismatique dont les seules motivations sont de voler et de tuer, évoluera lentement mais sûrement au fur et à mesure que le film avance vers l’image d’un anarchiste radical développant une vision très politisée du monde, très marquée à sa manière par la lutte des classes. Sorti sur les écrans français à l’été 1968, El Chuncho ne pouvait pas d’avantage être dans l’air du temps de cette époque révolutionnaire.

D’une façon amusante, si bien sûr le fait de se placer ici volontairement très à gauche sur le prisme politique semble en contradiction totale avec nombre de westerns américains, on ne peut nier que cette aspiration à la « liberté » colle finalement plutôt bien avec les images récurrentes du western : les grands espaces, les chevaux courant dans le soleil couchant… C’est d’autant plus clair que dès ses premières minutes d’El Chuncho, le réalisateur Damiano Damiani utilise avec talent la profondeur de champ pour introduire ses personnages de bandits / révolutionnaires : ces derniers n’ont en effet aucune barrière susceptible de les arrêter, de les retenir, de refréner leur désir de liberté absolue. Au contraire, dès qu’il s’agit de mettre en scène les soldats, Damiani referme son cadre, enferme les personnages dans des lieux clos, étouffants, sans espoir de liberté.

El Chuncho représente tout un état d’esprit, et mènera subtilement le spectateur à comprendre et à approuver les idéaux libertaires développés par le film. Dans la forme, Damiani privilégie l’atmosphère, le baroque, jouant déjà sur les codes du western italien tels qu’ils furent établis par Sergio Leone quelques années auparavant. Violent, excessif dans ses effets et la description de ses personnages, El Chuncho joue la carte de l’intensité, de l’énergie la plus débridée – même les pillages et les massacres semblent justifiés tant ils développent un côté ouvertement jouissif. Le soin du détail et la sublime photo d’Antonio Secchi confèrent aux scènes de bataille une tonalité à la fois fantasmée et réaliste, ce qui sera encore amplifié par le fait que les révolutionnaires sont présentés comme de bons vivants, ouverts d’esprit et de caractère en dépit de leur apparence sale et volontiers outrancière. Femmes et hommes sont traités sur un pied d’égalité, et même le curé de la bande, El Santo (Klaus Kinski), est parfaitement intégré à cet esprit révolutionnaire, arguant que « Dieu est du côté des pauvres » – preuve s’il en fallait encore une que la notion de « religion » n’est pas forcément incompatible avec les grands idéaux de gauche.

Cependant, El Chuncho n’hésite pas non plus à montrer que toute Révolution se fait avec des hommes, et que ces hommes peuvent avoir des failles, ou se voir manipulés, parfois même sans s’en rendre compte. C’est ce que montre le personnage d’El Niño (Lou Castel), qui infiltre la bande et joue sur la cupidité de ses membres afin de diviser leurs rangs : le parallèle avec l’ingérence américaine dans les affaires internationales est évident, et ajoute encore une dimension supplémentaire absolument passionnante au film de Damiano Damiani, qui s’impose comme une œuvre importante à redécouvrir au plus vite !

Le Blu-ray

[4/5]

Parallèlement à la sortie en Blu-ray de Django (lire notre article), Carlotta Films nous propose également de découvrir ou redécouvrir El Chuncho sur support Haute Définition, et l’éditeur a comme à son habitude vraiment soigné sa copie, avec deux galettes qui devraient satisfaire les afficionados de spagh’ autant que les maniaques de la technique. La définition est précise, les couleurs riches et bien saturées, les noirs sont profonds, et la restauration a pris soin de préserver le grain argentique d’origine. Bien sûr, les plans « à effets » (générique, mentions écrites, fondus enchaînés) accusent des effets du temps, mais le reste est d’une propreté et d’une stabilité tout à fait étonnantes. Côté son, la version française d’origine ainsi que la version originale sont proposées en DTS-HD Master Audio 1.0, et nous proposent un rendu acoustique très satisfaisant et toujours parfaitement clair.

Côté suppléments, Carlotta Films nous propose tout d’abord une présentation du film par Alex Cox (11 minutes), à l’occasion de laquelle le cinéaste, par ailleurs auteur d’un bouquin sur le western spaghetti intitulé « 10.000 façons de mourir », reviendra sur sa découverte du film, qu’il considère comme l’un des meilleurs westerns italiens jamais tournés. Il y reviendra également sur la carrière de Lou Castel ainsi que sur l’importance de Franco Solinas au scénario. Pour terminer, en plus de la traditionnelle bande-annonce, l’éditeur nous propose également de nous plonger dans un entretien avec Lou Castel (18 minutes), tiré des suppléments de l’édition DVD du film, sortie en 2004 sous la bannière de Wild Side Vidéo. L’acteur tentera de replacer El Chuncho dans son contexte historique, et sur l’engagement politique des films et des acteurs de l’époque. Il reviendra également sur le tournage du film aux côtés de Damiano Damiani, Klaus Kinski et Gian Maria Volontè. Ayant revu le film un peu moins de quarante ans après sa sortie, il souligne la grande rigueur dont avait su faire preuve le cinéaste.

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