Test Blu-ray : Dagon

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Dagon

Espagne : 2001
Titre original : –
Réalisation : Stuart Gordon
Scénario : Dennis Paoli
Acteurs : Ezra Godden, Francisco Rabal, Raquel Meroño
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h38
Genre : Horreur
Date de sortie DVD/BR : 16 juin 2021

Paul et sa petite amie Barbara passent leur vacances en compagnie d’un riche couple d’amis, Howard et Vicki, sur leur voilier au large de la côte espagnole. Suite à une tempête, le navire s’échoue sur un récif, blessant gravement Vicki, coincée sur place. Paul et Barbara décident d’aller chercher du secours dans le petit village de pêcheurs situé au bord de mer, qui semble étrangement désert…

Le film

[3,5/5]

Avec le succès de Re-Animator en 1985, un lien entre Stuart Gordon et Howard Phillips Lovecraft s’est créé dans l’esprit des amateurs de cinéma d’horreur, au point que l’histoire d’amour liant le cinéaste natif de Chicago et le romancier de Providence a duré pendant une vingtaine d’années : entre 1985 et 2005, Stuart Gordon adapterait en effet cinq romans ou nouvelles de Lovecraft.

Rien ne prédestinait pourtant réellement les deux artistes à se rencontrer, tant leurs conceptions respectives de l’horreur semblent à priori diverger. Stuart Gordon est en effet un franc-tireur, adepte du gore frontal et de tous les excès sanguinolents ; son cinéma est par ailleurs parfois teinté d’une féroce ironie. L’œuvre littéraire de H.P. Lovecraft en revanche était un auteur très sérieux et premier degré, développant des intrigues baignées d’étrangeté, de fantastique et d’occultisme. Peu porté sur les descriptions grand-guignolesques, il privilégiait le « visqueux » au gore à proprement parler : si ses écrits sont remplis de formes et de substances gélatineuses, protéiformes, il ne s’attardait jamais ou presque sur le sang ou les cadavres.

Pour autant, les univers de Gordon et de Lovecraft se rejoignent sur un point : celui d’une certaine « viscéralité », doublée d’un attrait certain pour la mort. Dagon est le quatrième des cinq films réalisés par Stuart Gordon d’après l’œuvre de H.P. Lovecraft. Le scénariste Dennis Paoli affirme avoir intégré dans son intrigue des éléments tirés de « Dagon » (1919) ; si on veut bien lui laisser le bénéfice du doute, on aimerait bien savoir lesquels. Car comme son titre ne l’indique pas forcément, Dagon est en réalité une adaptation du « Cauchemar d’Innsmouth » (1936), l’une des nouvelles les plus effrayantes de Lovecraft. Transposée de la Nouvelle-Angleterre au nord-ouest de l’Espagne, la ville d’Innsmouth est ici renommée Imboca, ce qui se rapproche phonétiquement d’une traduction littérale du nom de la ville.

Dans sa première partie – ou du moins lors de la prime découverte du village côtier – Dagon s’avère relativement fidèle à la nouvelle de Lovecraft. L’ambiance développée par Stuart Gordon est remarquable, et l’étrangeté des habitants d’Imboca est particulièrement bien amenée au spectateur – notamment grâce à des maquillages réussis et à un production design vraiment soigné. La narration évolue comme suivant le fil d’un rêve, d’un rebondissement bizarre et incohérent à l’autre, mais Stuart Gordon tient fermement les rennes de son film, et parviendra à maintenir une tension pendant une grosse moitié du métrage.

Emprunte de flottement et de peur de l’inconnu, la terreur qui ne tardera pas à gagner les personnages de Dagon se transmettra sans trop de difficulté au spectateur. L’œil de Stuart Gordon et son talent à mettre en avant des visages bizarres permet au film de maintenir en éveil un sentiment de menace permanent, qui sera renforcé par la découverte du culte de Dagon. Cependant, les cinéphiles ayant découvert le film en vidéo il y a vingt ans le savent bien : cet état de grâce ne dure qu’un temps, Dagon ayant tendance à devenir de plus en plus absurde à mesure qu’il avance. Pour autant, le sens aigu de Stuart Gordon pour les délires foutraques permet au film de conserver l’intérêt du spectateur jusqu’au générique final, mais disons que le film fait « Pschitt » et ne parviendra jamais réellement à ramener le spectateur au cœur de la terreur.

Tout part en couille lors de la fuite du héros Paul (Ezra Godden, qui cultive, volontairement ou pas, un petit côté Jeffrey Combs), alors qu’il rencontre en « chair et en os » le personnage de la sirène Uxía, qu’il avait précédemment aperçue en rêve. Cette dernière est incarnée par Macarena Gómez – Dale a tu cuerpo alegría Macarena, que tu cuerpo es pa’ darle alegría y cosa buena. Dale a tu cuerpo alegría Macarena, HEY ! Macarena. Macarena Gómez donc, qui contre toute attente s’est forgée une solide petite carrière en Espagne, dans le cinéma de genre bien sûr (avec l’amusant Sexy Killer en 2008 ou Les sorcières de Zugarramurdi en 2013), mais également à la TV où elle multiplie les rôles depuis une vingtaine d’années. Et qui a vu ses premiers pas au cinéma dans Dagon sait à quel point ce n’était pas gagné. Passé son arrivée dans le récit, le film deviendra peu à peu un gros nawak réjouissant, tendant par moments vers le nanar en raison de ses effets spéciaux approximatifs, mais tenant globalement toujours le cap, et parvenant sans peine à faire naitre un sourire satisfait sur les lèvres de l’amateur de bisserie déviante quand arrive le générique de fin.

Malgré ses défauts, Dagon parvient donc à créer une ambiance, et la multiplication d’effets gore et de passages grotesques suffira probablement à combler les amoureux du genre horrifique. D’ailleurs, le film a pour lui une qualité que peu de films du début des années 2000 peuvent se targuer d’avoir : on ne l’oublie pas. Au point qu’à la découverte du film multi-Oscarisé de Guillermo Del Toro La forme de l’eau en 2017, tout amateur éclairé de cinéma de genre déclarait « Bof – je préfère tout de même Dagon. »

Le Blu-ray

[4/5]

C’est sous la bannière de ESC Éditions que Dagon débarque aujourd’hui en Blu-ray, dans une édition « Collector » au visuel et au contenu soigné. Le film de Stuart Gordon est en effet présenté dans un boîtier Digipack contenant à la fois le Blu-ray et le DVD du film, et proposé en tirage limité.

Côté image, c’est sans surprise que l’on constatera que les équipes d’ESC Éditions n’ont pas réellement réussi à faire de miracles. Le rendu visuel est bien sûr extrêmement supérieur à celui du DVD édité par StudioCanal en 2003, mais il traduit tout de même pas mal les origines très modestes du film. Le rendu HD est relativement précis, assez « lisse » dans son genre, mais on pourra s’en contenter sans problème. En revanche, la gestion de l’étalonnage et des contrastes est assez aléatoire : les variations de teintes et de contrastes sont légion d’un plan à un autre, parfois au sein d’une même séquence. Côté son, c’est la fête en revanche : VF et VO s’offrent des mixages en DTS-HD Master Audio 5.1, et niveau rendu acoustique, bien sûr, les deux pistes audio proposent une immersion de dingue, avec des effets multicanaux constants, puissants, spatialisés avec une finesse incroyable et proposant plus que jamais un vrai rendu cinéma à la maison. Du très beau travail.

Mais c’est dans la section suppléments que l’on trouvera les vrais trésors de cette édition Blu-ray de Dagon. On commencera tout d’abord avec le classique : un commentaire audio de Stuart Gordon et Dennis Paoli (VOST), qui s’accompagnera d’une série d’entretiens d’époque avec Stuart Gordon, Julio Fernandez, Raquel Meroño, Ezra Godden et Paco Rabal (17 minutes). Ces entretiens ont la particularité d’avoir été enregistrés le premier jour du tournage du film.

Plus original, on trouvera dans les suppléments de cette édition Blu-ray + DVD de Dagon le court-métrage Escape from Midwich Valley (2014, 9 minutes), également basé sur la nouvelle de Lovecraft « Le cauchemar d’Innsmouth » ainsi que sur le morceau « Escape from Midwich Valley » de Carpenter Brut, artiste assez passionnant de la scène électro française qui tire ses influences du cinéma de genre des années 80. Ce court-métrage est proposé en Haute-Définition, Scope et DTS-HD Master Audio 5.1, avec un commentaire optionnel du réalisateur Pierre-Henri Debiès.

Last but not least, on terminera avec un supplément qui vaut à lui-seul l’achat de cette édition de Dagon : un entretien inédit avec Brian Yuzna, producteur du film (31 minutes). Si vous nous lisez régulièrement, vous connaissez l’amour que l’on voue à ce cinéaste et à son œuvre. Dans cet entretien réalisé en 2021, il abordera de façon assez large la création et les premières années de la Fantastic Factory, société de production espagnole spécialisée dans le cinéma fantastique dirigée par Julio Fernandez et Yuzna lui-même. Il y reviendra sur sa volonté de créer un « label », ainsi que sur les quatre premiers films produits pour le compte de la Fantastic Factory : Beyond Re-Animator, Faust, Arachnid et bien sûr Dagon, projet qu’il traînait depuis une quinzaine d’années tout en se heurtant aux refus des producteurs de financer un film mettant en scène des hommes-poissons. Il y reviendra par ailleurs largement sur l’apport de Stuart Gordon au film, ainsi que sur le tournage en Espagne. Passionnant !

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