Critique : Je voulais me cacher

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Je voulais me cacher

Italie : 2019
Titre original : Volevo nascondermi-
Réalisation : Giorgio Diritti
Scénario :  Giorgio Diritti, Fredo Valla, Tania Pedroni
Interprètes : Elio Germano, Oliver Ewy, Leonardo Carrozzo
Distribution : Bodega Films
Durée : 2h00
Genre : Drame, Biopic
Date de sortie : 7 juillet 2021

3/5

Ce n’est pas lui faire injure que d’affirmer que le réalisateur italien Giorgio Diritti n’est pas très prolifique !  En effet, à 61 ans, Je voulais me cacher n’est que son 4ème long métrage. Son film le plus connu, L’Homme qui viendra, s’était vu décerner le David di Donatello, l’équivalent italien du César du meilleur film, en 2010. Ce film était à la fois une reconstitution historique du massacre de Marzabotto, l’équivalent italien du massacre d’Oradour-sur-Glane, et un film naturaliste sur la vie des paysans de l’Italie centrale à la fin de la 2ème guerre mondiale. Présenté à la Berlinade de 2020, Je voulais me cacher a permis à Elio Germano, son interprète principal, d’y obtenir le Prix d’interprétation masculine.

Synopsis : Expulsé par l’institution suisse qui s’occupait de lui à la fin de la Première Guerre mondiale, Antonio se retrouve en Italie contre sa volonté. Sans attache, vivant dans un grand dénuement, il s’accroche à sa raison de vivre, la peinture qu’il pratique en autodidacte. Peu à peu du public à la critique son « art » va bousculer l’académisme. Le destin incroyable et vrai d’Antonio Ligabue, l’un des maîtres de la peinture naïve aux côtés de Rousseau et Séraphine de Senlis.

 

La découverte d’un don

Pas facile pour un gamin d’entendre un instituteur lui dire qu’il est une erreur, qu’il ne mérite pas d’exister. Ce gamin s’appelle Anton Laccabue et il vit en Suisse alémanique. A l’inverse, plus tard, à l’adolescence, un autre homme va lui affirmer que « chaque homme possède un don qui lui permet de s’épanouir », que « tout le monde peut avoir une place dans la société ». Ce gamin, cet adolescent, est l’enfant de père inconnu d’une émigrée italienne qui, à la toute fin du 20ème siècle, a accouché à Zurich. Malgré le mariage de sa mère avec Bonfiglio Laccabue, malgré le fait qu’il ait été reconnu par cet homme, Anton a été placé très jeune chez un couple qui ne pouvait pas avoir d’enfant : une mère de substitution aimante malgré les fréquentes crises de violence incontrôlée d’Anton, ses tentatives de rébellion, son besoin chronique de disparaitre, de se cacher ; un père de substitution qui voit en lui un être possédé.

Du fait de son origine italienne, Anton est expulsé de Suisse et, lui qui ne parle qu’allemand, se retrouve à Gualtieri, un petit village de la plaine du Pô. Alors qu’il vit près du fleuve, terré dans une cabane, tel un animal sauvage, ce don lui permettant de s’épanouir qu’on avait évoqué devant lui, c’est le sculpteur et peintre Renato Marino Mazzacurati qui va le découvrir, offrant en plus, avec l’aide de sa mère, le gite et le couvert à cet homme si particulier. Ayant choisi d’abandonner le nom de Luccabue, voyant en l’homme qui lui avait donné son nom le responsable de la mort de sa mère et de ses 3 demi-frères, c’est sous le nom d’Antonio Ligabue qu’Anton va devenir un artiste reconnu. 

Un personnage complexe

Beaucoup moins connu dans notre pays qu’Henri Rousseau, dit Le Douanier Rousseau, Antonio Ligabue est lui aussi un représentant de l’art naïf et il jouit d’une grande réputation de l’autre côté des Alpes. Les animaux domestiques ou sauvages, ainsi que les autoportraits font partie de ses thèmes préférés. Dire qu’il a connu une enfance très difficile est un euphémisme : souffrant de rachitisme, mentalement retardé, il passe d’école en école et il est sans arrêt moqué par ses camarades. Plus tard, c’est à l’hôpital psychiatrique de San Lazzaro à Reggio Emilia qu’il fera de nombreux séjours en raison d’un état maniaco-dépressif qu’on a diagnostiqué chez lui et qui explique son comportement parfois violent, y compris contre lui-même.

Principalement intéressé par les animaux, les motos et les voitures, la peinture est pour lui une forme de thérapie qui lui permet en plus d’obtenir une certaine aisance matérielle, avec, toutefois, une absence de conscience de ce que représente l’argent d’où l’achat compulsif de motos, de voitures mais également de cadeaux donnés avec générosité. S’il montre une certaine complicité avec les enfants, les femmes lui posent manifestement un problème : il cherche le plus souvent à les éviter mais il lui arrivera toutefois d’envisager le mariage. « Sa femme sera une dame, une femme d’artiste » se glorifie-t-il car, tout en étant complexé par sa laideur et ses limites intellectuelles, les critiques élogieuses qu’il reçoit ont eu tendance à lui monter à la tête au point, parfois, de rendre odieux son comportement. C’est tout ce dérangement mental, toute cette complexité dans le personnage, toutes ses contradictions que Giorgio Diritti s’applique à nous communiquer par une construction délibérément désordonnée, tout particulièrement au début du film.

La forme en renfort du fond

Dans sa recherche de réalisation d’un biopic se déroulant en phase avec le caractère si particulier de son personnage, Giorgio Diritti ne s’est pas contenté de jouer sur la (dé)construction du récit, il a également tiré partie du format cinémascope et joué sur l’utilisation des focales, les focales courtes apportant une légère déformation qui accentue la difformité physique d’Antonio Ligabue. Au final, cette obsession de Giorgio Diritti à jouer sur la forme pour appuyer le fond arrive à devenir une arme à double tranchant : ne prendrait-il pas un plaisir coupable à se regarder filmer ? Par contre, on ne peut qu’être subjugué par la beauté de la photographie, le travail réalisé sur la lumière par Matteo Cocco, le Directeur de la photographie, étant absolument exemplaire.

Quant à la prestation d’Elio Germano, l’interprète d’Antonio Ligabue, elle divisera sans doute les spectateurs, certains trouvant probablement qu’il en fait trop dans le rôle d’un homme mentalement dérangé. Une chose est sûre : interpréter un personnage mentalement dérangé comme Antonio Ligabue, c’est un rôle en or pour un comédien, c’est la certitude de glaner de nombreux prix d’interprétation dans les festivals, ce qui est arrivé à Elio Germano dans un des plus grands festivals du monde, à Berlin, en 2020. En fait, Elio Germano a énormément travaillé pour être le plus juste possible dans son interprétation, s’inspirant d’images documentaires consacrées au peintre ainsi que de récits de ceux qui l’ont connu, et tout laisse à penser qu’il n’y a pas d’exagération dans sa façon de nous montrer Antonio Ligabue.

Je voulais me cacher est un biopic particulier, le réalisateur ayant beaucoup joué sur la forme pour montrer la personnalité hors normes de son personnage. Si on a parfois l’impression qu’il prend un plaisir coupable à se regarder filmer et à déconstruire la conduite du récit, on ne peut qu’être ébloui par la beauté de la lumière et la science des cadrages. Quant à Elio Germano, l’interprète d’Antonio Ligabue, il prend manifestement un énorme plaisir à se mettre dans la peau d’un personnage dont le profil est tel qu’il assure de nombreuses récompenses cinématographiques et, qu’à ce titre, il fait rêver tous les comédiens !

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