Coplan prend des risques
France, Italie, Belgique : 1964
Réalisation : Maurice Labro
Scénario : François Chavane, Pascal Jardin, Jean Marsan, Jean-Louis Roncoroni
Acteurs : Dominique Paturel, Virna Lisi, Jacques Balutin
Éditeur : Gaumont
Durée : 1h49
Genre : Espionnage
Date de sortie cinéma : 6 mai 1964
Date de sortie DVD/BR : 12 mars 2025
Dans une usine travaillant pour la Défense nationale, un employé a volé un prototype avec la complicité d’une danoise, déjà connue des services secrets. Chargé de l’enquête, Coplan en fait une affaire personnelle…
Le film
[3,5/5]
Si elle fut extrêmement populaire chez nos voisins italiens, allemands et même espagnols, la glorieuse tradition du cinéma « bis » n’a jamais été extrêmement développée à l’intérieur des frontières françaises. Néanmoins, à la faveur de quelques productions internationales (franco-italiennes surtout), et dans l’insouciance pop des années 60, le cinéma français s’est tout de même volontiers laissé aller à quelques titres flirtant volontiers avec le cinéma de genre tendance populaire. Outre les films de cape et d’épée et les romances historiques qui faisaient la joie des cinémas de quartier, on a donc également vu naître en France pendant cette décennie une poignée de films d’espionnage très orientés « action et petites pépées », que l’on pourra greffer à une vague d’œuvrettes tout à fait charmantes que le temps a affectueusement renommé « Euro Spy ».
Sous l’influence couplée des premiers James Bond et des « fumetti » (bandes dessinées populaires italiennes) qui inondaient le marché du divertissement à l’époque, on a donc vu fleurir sur grand écran les aventures – entre autres – de Coplan, d’OSS 117, du Commissaire X, de l’Agent secret 777 ou de F.B.I. 505, des espions au sourire ravageur qui sauvaient le monde dans des films dont les titres développaient volontiers un impact catchy et second degré : Coup de gong à Hong-Kong, Baroud à Beyrouth pour F.B.I. 505<, Karaté à Tanger pour agent Z7 ou encore le célèbre Banco à Bangkok pour OSS 117.
Avant d’aborder Coplan prend des risques, impossible de faire l’impasse sur le phénomène éditorial représenté par Coplan. Pour ceux qui l’ignoreraient, il s’agit d’une série de romans d’espionnage publiés, sous le pseudonyme de Paul Kenny, entre 1952 et 1996, chez Fleuve Noir, afin de palier au départ de Jean Bruce (auteur de la série OSS 117) pour les Presses de la Cité. Comptant plus de 200 bouquins vendus à des millions d’exemplaires à travers le monde, la série Coplan a vite été adaptée sous forme de bandes dessinées, mais également au cinéma. Ainsi, entre 1957 et 1968, six longs-métrages furent consacrés au personnage de Francis Coplan, la particularité la plus notable de cette série de films étant que d’un film à l’autre, le rôle-titre a toujours été interprété par un acteur différent.
Chronologiquement, Coplan prend des risques fut le troisième film de la série Coplan à sortir dans les salles françaises. En fait, le film de Maurice Labro sortirait seulement cinq semaines après Coplan agent secret FX 18, dans lequel l’espion était incarné par Ken Clark, un acteur de série B qui deviendrait par la suite Dick Malloy, alias l’Agent 077, dans une trilogie de films réalisés par Sergio Grieco entre 1965 et 1966. Premier constat : à la carrure musclée et au sourire charmeur de Ken Clark succède ici Dominique Paturel, un acteur de théâtre n’ayant rien d’un gros bras, mais à la voix particulièrement remarquable – si remarquable qu’il deviendrait quelques années plus tard l’un des noms les plus prestigieux du doublage en France.
Au cours de sa carrière, Dominique Paturel a notamment prêté sa voix aux intonations ironiques à Terence Hill, Michael Caine, Robert Wagner ou, pour la TV, à George Peppard pour le rôle d’Hannibal dans L’Agence tous risques et bien sûr à Larry Hagman pour celui de J. R dans Dallas. On veut dire par là que si vous ne connaissez peut-être pas son visage, vous connaissez sa voix ! A ses côtés, on notera en revanche une poignée de têtes très connues des amateurs de cinéma populaire : Jacques Monod (Les 400 Coups, 125 rue Montmartre) dans le rôle du « Vieux » Jacques Balutin (Cartouche) dans celui de Fondane, le partenaire de Coplan, Virna Lisi (Joyeux Noël, bonne année) dans la peau de la méchante fille au-pair suédoise, et André Weber (Les Barbouzes), qui incarne le personnage de Legay, ex-collègue de Coplan.
Co-production entre la France et l’Italie, Coplan prend des risques étonne paradoxalement un peu par son côté très « français » : on y évoque l’actualité de la France de l’époque, on y trouvera de nombreuses références au général de Gaulle… De la même façon, si le film s’ouvre sur le vol d’un MacGuffin technologique qui pourrait, s’il tombait entre de mauvaises mains, signifier la fin du monde occidental, le film prendra par la suite plutôt son temps afin de poser les personnages et leur enquête, en passant d’un suspect à un autre, ce qui les mènera dans le Sud de la France, et fera ressortir le spectre de l’Abwehr, le service de renseignement militaire nazi. Bref, le tout est construit sur le modèle d’un film d’espionnage relativement sérieux, loin du modèle familier de l’espion à la James Bond, qui deviendrait d’ailleurs le mètre-étalon du genre Euro Spy.
Certes, Maurice Labro injecte tout de même un peu d’action dans Coplan prend des risques, mais il faut garder à l’esprit que nous ne sommes ici qu’en mai 1964, et que le véritable phénomène « pop » mondial autour de la saga JezBond n’exploserait vraiment qu’à la fin de l’année 1964 avec la sortie de Goldfinger. Marquant un tournant dans la franchise 007, il s’agissait en effet du premier film de James Bond qui jouerait ouvertement la carte de l’esprit « bande dessinée », avec sa fantaisie, ses bikinis à paillettes et ses gadgets technologiques délirants. Sorti quelques mois plus tôt, le film ne nous donne pas à voir de méchant mégalomane ayant installé sa base secrète dans le trou de balle de ta mère un lieu saugrenu.
Le plus saugrenu dans cette affaire ne réside donc pas dans la fantaisie pulp en mode Diabolik, mais seulement dans le fait de voir Dominique Paturel se frayer un chemin parmi les voyous et les durs à cuire grâce à son expertise en arts martiaux, autrement dit à grands coups de karaté. Dans le même état d’esprit, si le film n’est pas avare en rebondissements, la seule véritable scène d’action de Coplan prend des risques débarque à l’occasion d’une séquence tardive à bord d’un train en marche, mais cette dernière s’avère presque entièrement dépourvue de cascades. Pour autant, le film de Labro demeure un thriller d’espionnage solide et agréable.
On notera par ailleurs que comme bien des romans et films d’espionnage de l’époque, Coplan prend des risques développe tout au long de son intrigue un petit côté misogyne, doublé d’une occasionnelle « objectification » des femmes, ce qui bien entendu était totalement dans l’air du temps dans les années 60, surtout dans ce genre de récits – un reflet fidèle des mentalités de l’époque, qui perdure encore largement aujourd’hui, même si beaucoup veulent le nier et/ou se voiler la face. Pour autant, avec une soixantaine d’années de recul, et sous l’influence de séries telles que Le Bureau des Légendes, on en viendrait presque à penser qu’en appuyant volontairement sur ce genre de détails, le scénario de Pascal Jardin s’efforce de souligner la déshumanisation inévitable du métier d’espion.
Le Blu-ray
[4/5]
Disponible depuis quelques mois en Blu-ray sous les couleurs de Gaumont, Coplan prend des risques s’offre aujourd’hui une petite séance de rattrapage dans nos colonnes. A l’occasion de sa sortie au format Haute-Définition, le film de Maurice Labro a intégré la collection « Blu-ray Découverte » (également appelée « Gaumont découverte en Blu-ray »), et côté transfert, l’ensemble est comme d’habitude très soigné. Si l’image oscille un peu selon les séquences, la qualité générale est pleinement satisfaisante. Le grain d’origine a été préservé avec soin, le noir et blanc est propre et bien contrasté, et les noirs sont bien gérés. De plus, le film est proposé dans son format d’origine et en 1080p : c’est du très beau travail. Du côté des pistes son, le film nous est proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine : les dialogues sont clairs et les ambiances bien préservées, même si bien entendu l’ensemble n’appelle pas à la démonstration technique.
Dans la section suppléments, l’éditeur Gaumont nous propose une présentation du film par Matthieu Letourneux (32 minutes). Professeur de Littérature à l’Université Paris Nanterre, il reviendra sur l’origine littéraire de Coplan, personnage d’espion gaulliste, à la française, conçu pour prendre le relais d’OSS 117 qui venait de déserter les éditions Fleuve Noir. Il évoquera le succès fou de la série de romans, et des publications qui grimperaient rapidement de quatre à six romans par an, puis embrayera sur Coplan prend des risques, coproduction avec l’Italie qui ne s’intégrait pas encore tout à fait dans le moule de l’Euro Spy, notamment en raison de son côté presque « géopolitique », avec références à l’actualité, à Charles de Gaulle ou encore à la « stabilité du franc ». On terminera ensuite avec un sujet consacré à la restauration du film (3 minutes), sur le mode toujours payant du « avant / après », ainsi qu’avec la traditionnelle bande-annonce, typiquement dans le style 60’s, avec un couple commentant des images du film sur un ton badin.