Berlinale 2019 : Benni

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Benni

Allemagne, 2019

Titre original : Systemsprenger

Réalisatrice : Nora Fingscheidt

Scénario : Nora Fingscheidt

Acteurs : Helena Zengel, Albrecht Schuch, Gabriela Maria Schmeide, Lisa Hagmeister

Distribution : Ad Vitam Distribution

Durée : 2h00

Genre : Drame d’enfance

Date de sortie : 22 juin 2020

3/5

Les films à forte valeur sociale ajoutée ont toujours autant la cote au Festival de Berlin. La première production allemande en compétition cette année en est l’exemple parfait, avec sa gamine impossible à caser, même dans les meilleurs centres d’accueil pour jeunes en difficulté. Le premier long-métrage de fiction de la réalisatrice Nora Fingscheidt s’appelle Systemsprenger. Étroitement en accord avec son titre, il démontre à quel point le système de prise en charge d’enfants violents est voué à l’échec, dès qu’il doit s’occuper, de gré ou de force, de filles et de garçons viscéralement opposés à toute tentative d’intégration. La quête d’un coupable pour tant de détresse psychologique et existentielle chez la jeune Benni n’y est point l’enjeu vital de l’histoire. Celle-ci s’emploie plutôt à s’investir corps et âme dans le calvaire de l’impuissance, qu’empruntent encore et encore les personnages dans l’entourage de ce trublion aussi imprévisible qu’attachant. Les ressorts du manichéisme, en théorie si faciles à repartir entre la vilaine mère débordée par sa progéniture hors du commun et les vaillants travailleurs sociaux qui dépassent leurs responsabilités pour trouver enfin une solution durable pour elle, n’ont guère d’emprise sur le récit. Ce dernier semble certes peut-être un peu trop étiré. Et sa forme devient pompeuse, lorsqu’il s’agit de suggérer les éléments déclencheurs des crises ultra-violentes de Benni. Mais dans l’ensemble, la mise en scène sait préserver en toute circonstance une vivacité humaine, qui va droit au cœur de ce cas désespéré.

© Peter Hartwig / kineo / Weydemann Bros. / Yunus Roy Imer Tous droits réservés

Synopsis : Benni n’a qu’à peine neuf ans, mais elle n’est déjà plus la bienvenue dans les centres d’accueil spécialisés dans les jeunes turbulents. Depuis son enfance en proie à des crises d’agressivité accrue, elle ne rêve que de retourner vivre chez sa mère. Mais en attendant que ce soit à nouveau possible, sa tutrice des services sociaux Mme Bafané doit encaisser un refus après l’autre dans ses recherches pour lui trouver un nouveau foyer. Puisque Benni déteste aller à l’école avec d’autres enfants, elle est obligée d’y être accompagnée, voire surveillée à part. Son nouvel accompagnant Micha a plutôt de l’expérience avec des adolescents sortis de prison. Elle lui sera fort utile pour encadrer sa nouvelle protégée, nullement enchantée à l’idée de devoir se conformer à ses ordres.

© Peter Hartwig / kineo / Weydemann Bros. / Yunus Roy Imer Tous droits réservés

Kaputt, kaputt, kaputt

Ce n’est pas qu’en Allemagne que l’on peut avoir l’impression – forcément fausse, puisque subjective – que tout va bien, que le statu quo de notre civilisation est globalement respecté et presque mollement imposé par le pouvoir en place. Il suffit toutefois d’un petit grain de sable pour détraquer irrémédiablement cette belle machine du confort et de l’assurance trompeuse. La violence peut être un élément déclencheur diablement efficace pour amorcer le dérèglement, qui démasquera avant tout les failles d’un système vaguement bien intentionné, mais aux fondations fragiles. Benni, le petit démon qui hante l’univers assez réaliste de Systemsprenger, dérape à la moindre provocation. Et pas qu’un peu, puisque elle manie ses poings avec la même aisance débridée que son langage, d’une vulgarité nullement en adéquation avec son âge. C’est une bombe à retardement qui explose, chaque fois que les choses ne vont pas comme elle le souhaite, peu importe que le retour à la case départ, c’est-à-dire se retrouver attachée sur une civière et placée sous sédatifs, ne fait qu’aggraver son cas et donc ses options d’avenir. Aucune complaisance n’est à l’œuvre de la part de la réalisatrice pour rendre compte de ce cercle vicieux, auquel le personnage principal n’est pas du tout prêt à échapper.

© Peter Hartwig / kineo / Weydemann Bros. / Yunus Roy Imer Tous droits réservés

Fantaisies de sauvetage

Pour s’en sortir, les options paraissent pourtant évidentes, à condition de prendre sur soi. Or, la logique de Benni n’est ni celle des enfants, ni celle des adultes. Les chamailleries entre gamins la mettent ainsi autant hors d’elle que les déceptions maintes fois répétées, qu’elle doit encaisser de la part de sa mère et plus largement des personnes qui devraient prendre soin d’elle. Ce désarroi affectif aurait déjà suffi à dresser le tableau psychologique mis en lambeaux de la jeune fille, sans qu’il y ait besoin de l’illustrer davantage par des montages mentaux beaucoup trop approximatifs. Car c’est avant tout du côté de la description à fleur de peau des personnages qui gravitent autour de Benni que Nora Fingscheidt fait indubitablement preuve de talent. Que ce soit dans les échanges de moins en moins tendus entre Benni et son accompagnateur scolaire, par le biais de la frustration sourde de l’assistante sociale ou bien à travers la maladresse poignante d’une mère incapable d’assumer ses responsabilités, ça scintille joliment en termes de zones de friction humaines, filmées sans filet de sécurité. Les interprétations se montrent à la hauteur de ce constat social accablant, sublimé en quelque sorte par une lucidité en trompe l’œil de la part de personnages, adhérant contre toute raison aux dernières lueurs d’espoir d’une réinsertion illusoire.

© Peter Hartwig / kineo / Weydemann Bros. / Yunus Roy Imer Tous droits réservés

Conclusion

Souvent, les films allemands sélectionnés en compétition au Festival de Berlin font office d’alibi national, choisis plus pour leur pays d’origine local que pour leurs qualités intrinsèques. Systemsprenger n’en fait pas partie. Le premier film de Nora Fingscheidt se distingue au contraire par son regard cru sur une enfance condamnée d’emblée au désastre. Le jeu très naturel de Helena Zengel dans le rôle de Benni et celui tout en finesse de Albrecht Schuch dans celui de Micha, une ancienne tête brûlée rescapée de tant de rage juvénile, parfont notre impression d’un film engagé, à l’intensité authentique.

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