Critique : Oh Lucy !

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Oh Lucy !

Japon, Etats-Unis, 2017
Titre original : Oh Lucy !
Réalisatrice : Atsuko Hirayanagi
Scénario : Atsuko Hirayanagi et Boris Frumin
Acteurs : Shinobu Terajima, Josh Hartnett, Kaho Minami, Koji Yakusho
Distribution : Nour Films
Durée : 1h36
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 31 janvier 2018

Note : 3/5

Il paraît que le 20 janvier est la journée mondiale des câlins. Cette information a priori nullement essentielle, glanée au cours des bavardages insipides dans lesquels les animateurs de radio excellent le matin, a cependant toute son importance dans le contexte de cette comédie douce-amère, présentée à la Semaine de la Critique cannoise l’année dernière. Oh Lucy ! jette en effet un regard nullement complaisant dans l’âme japonaise, frustrée et distante, tout en lui indiquant quelques pistes d’un bonheur plus ou moins illusoire. Car le départ vers de nouveaux horizons, en l’occurrence la terre promise américaine, n’y rime point avec un assouvissement définitif des fantasmes. Pour cela, la réalisatrice débutante Atsuko Hirayanagi aménage beaucoup trop de revers à connotation tragique, renvoyant par la même occasion son personnage principal vers une indicible solitude. Bref, ce premier film étonnant alterne avec une remarquable aisance entre le rire et les larmes, l’espoir et la dépression, le tout par contre sans se moquer méchamment de ses personnages passablement déboussolés. C’est cet attachement sincère à l’imperfection humaine qui le distingue, en bien, du point de vue plus cynique à partir duquel Sofia Coppola avait conté, il y a quatorze ans, une histoire semblable à sens inverse dans Lost in Translation.

Synopsis : La journée n’a pas du tout bien commencé pour Setsuko, témoin d’un accident grave de voyageur dans le métro sur le chemin à son travail dans un bureau terne. En quelque sorte pour se remonter le moral, elle accepte la proposition de la part de sa nièce Mika de la remplacer en tant qu’élève de cours d’anglais particuliers. Setsuko préfère néanmoins faire d’abord un essai auprès du professeur John, un Américain très chaleureux, qui ne tarde pas à la mettre à l’aise en lui donnant le nom anglais de Lucy. D’abord sous le charme de cet homme aux méthodes pédagogiques peu orthodoxes, Setsuko tombe pourtant des nues quand elle apprend qu’il est retourné chez lui du jour au lendemain, en compagnie de Mika. Elle décide alors de partir à son tour aux États-Unis, accompagnée de force par sa sœur Ayako, la mère très inquiète de Mika.

Traduction infidèle de l’amour

Quand on avait commencé timidement à apprendre le mandarin, il y a fort longtemps, notre professeur nous avait conseillé de concevoir cette langue très différente de la nôtre comme une sorte de deuxième identité, à incarner d’une façon distincte de notre posture occidentale. C’est un peu la même piste d’enseignement que suit le professeur d’anglais dans Oh Lucy !, avec ses exercices de relaxation affective et d’ouverture buccale, censés rompre la proverbiale réserve nippone. En effet, l’image que le film reflète de cette société au mode de vie hautement codifié n’a rien de particulièrement attrayant, avec dès le premier plan cette foule voilée derrière des masques sanitaires qui attend stoïquement l’arrivée du train sur le quai de métro. Difficile de se distinguer dans un tel contexte d’uniformité sociale, rythmé par un cérémoniel professionnel et privé qui paraît principalement basé sur une certaine hypocrisie. Or, Setsuko est tout sauf une rebelle. Elle s’emploie au contraire à ne pas faire de vagues, quitte à cacher depuis des semaines dans le tiroir de son bureau les bonbons offerts par une collègue. On retrouvera bientôt ce goût pour le désordre dans son appartement que l’on ne peut qualifier que de bordélique. Rien ne prédisposait ainsi cette célibataire endurcie à rompre ses habitudes et encore moins à trouver son âme sœur. Contre toute attente, c’est dans cette direction doucement romantique que nous emmène le récit, quoique sur un ton si délicieusement ironique que l’on est simplement conquis par son propos nuancé. Le coup de foudre névrosé de Lucy y génère certes toutes sortes de situations cocasses, mais sans que la mise en scène ne prenne cette quête forcenée d’un peu de chaleur humaine comme prétexte, afin de trahir la dignité des personnages, aussi minables soient-ils par moments.

Conte de mollusques suicidaires

Les poncifs du choc des cultures et de la chimère d’un amour épanoui sont astucieusement conjugués par la réalisatrice, qui orchestre son intrigue avec un sens aigu pour les revirements grandiloquents, sans jamais perdre de vue en même temps la cohérence interne des personnages. Ainsi, elle nous pousse avec une insistance habile vers l’identification avec cette femme malheureuse, dont l’inconstance pourrait bien être l’atout majeur. Quoiqu’elle fasse, Setsuko échoue en fait à chaque coup, depuis le troc intéressé avec sa nièce au début du film, jusqu’à l’acte du nihilisme suprême à sa fin, qu’elle rate bien sûr avec panache. Sous un œil moins bienveillant que celui de Atsuko Hirayanagi et sans l’interprétation courageuse de Shinobu Terajima, on pourrait facilement y déceler une source inépuisable de sarcasme, la somme de tout ce qui cloche dans ce que la civilisation japonaise a de plus asocial. A notre grand soulagement, ce procès à l’égard des laissés-pour-compte affectifs du pays du soleil levant n’est à aucun instant réellement intenté, aussi parce qu’il s’avère que l’idole vers lequel tend cette adolescente attardée a de sérieux pieds d’argile. Toute la malice savoureuse du scénario apparaît alors, quand le poisson hors de l’eau, encore si exotique et, surtout, si excitant dans sa salle de cours, qui ressemblerait presque à une cabine destinée habituellement à un usage moins pudique, doit retourner dans son domaine naturel, une Amérique qui cause plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions miracles. D’ailleurs, même s’il ne s’agit au fond que d’un second rôle, il serait nullement exagéré de parler du grand retour de Josh Hartnett ici, en professeur supposément idéal, qui a en fait autant fui ses responsabilités devant la vie que son élève collante.

Conclusion

Oh Lucy !, oh que oui ! C’est en effet à une comédie à l’arrière-plan quasiment sinistre et pourtant si amusante que nous convie la réalisatrice Atsuko Hirayanagi avec son premier film. La recette de sa réussite consiste avant tout en sa capacité à ne jamais juger ses personnages, ni à exacerber leurs traits de caractère caricaturaux, mais au contraire à souligner avec une subtilité exceptionnelle à quel point ils sont les victimes dérisoires – et peut-être innocentes – de leurs désirs intimes.

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