Critique : My Fair Lady

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My Fair Lady

États-Unis, 1964
Titre original : My Fair Lady
Réalisateur : George Cukor
Scénario : Alan Jay Lerner, d’après une pièce de George Bernard Shaw
Acteurs : Audrey Hepburn, Rex Harrison, Stanley Holloway, Wilfrid Hyde-White
Distribution : Park Circus
Durée : 2h52
Genre : Comédie musicale
Date de sortie : 1er novembre 2017 (Reprise)

Note : 4/5

Toute la splendeur de l’ancien Hollywood a été jetée dans la balance par les studios pendant les années 1960, afin de contrer la concurrence grandissante et en fin de compte fatale pour le rang culturel et social du cinéma de la part de la télévision. L’un des genres de prédilection pour cette guerre d’influence à armes de plus en plus inégales a été la comédie musicale, qui avait alors vu une décennie de la surenchère succéder aux fantaisies moins empotées de Busby Berkeley dans les années ’30 ou de Vincente Minnelli dans les années ’50. Pris en sandwich en quelque sorte entre les deux classiques de Robert Wise, West Side Story co-réalisé avec Jerome Robbins et La Mélodie du bonheur, My Fair Lady fait indéniablement partie de ces mastodontes aux nombreux Oscars, qui ont su cependant garder intact leur charme nostalgique sur fond de mélodies entraînantes et de thèmes universels. Car autant le film de George Cukor est un témoin de son époque, l’ambassadeur d’un faste que l’on ne verra plus jamais dans le cinéma contemporain, autant le récit tient encore parfaitement la route de nos jours, porté à la fois par les interprétations inspirées de Rex Harrison et de Audrey Hepburn et par une intrigue au romantisme sophistiqué, voire intellectuel, tirée de la pièce « Pygmalion » de George Bernard Shaw.

Synopsis : A la sortie de l’opéra, la haute société londonienne se presse sous les colonnes du marché pour se mettre à l’abri d’une averse. Dans cette promiscuité ponctuelle des classes, la vendeuse de fleurs Eliza Doolittle se sent épiée par le professeur Henry Higgins, un éminent phonéticien qui se montre passablement intrigué par son parler populaire. Il est tellement consterné par le massacre de la langue anglaise par la jeune femme qu’il affirme en rigolant être capable d’en faire en six mois une demoiselle respectable, grâce à sa méthode d’apprentissage phonétique. Lasse de sa situation misérable, Eliza finit par prendre le professeur au mot. Elle devra alors suivre docilement les exercices aussi répétitifs qu’humiliants, censés faire d’elle la sensation du prochain bal.

Doux langage fleuri

S’élever socialement par le biais d’une pratique irréprochable de la langue, tel est le thème de fond de My Fair Lady. Or, cette ascension vers les hautes sphères de la société anglaise ne se fait bien sûr pas sans accrocs au fil d’une histoire, qui sait prendre son temps pendant la durée considérable du film. Il y aurait même une légère réticence à déceler de la part de la mise en scène, qui évacue le côté conte de fées de l’intrigue avec quelques revirements abrupts et des ellipses narratives hardies, préférant insister plutôt sur le dur travail d’acquisition d’un semblant de classe. L’effort de la part de la pauvre Eliza est même tel, qu’elle a besoin d’un pendant plus comique en la personne de son père, sous les traits d’une jovialité irrésistible de Stanley Holloway. Celui-ci parcourt d’une certaine façon le même chemin que sa fille, au détail près qu’il est le complice involontaire de cette farce et, surtout, qu’il sait garder son état d’esprit irrévérencieux de bon-vivant jusqu’au dernier moment, quand les liens du mariage auront fini par le rendre respectable. La respectabilité justement se tisse comme un fil rouge tout au long du récit, comme si la jeune ouvrière, qui crie à tue-tête qu’elle est une bonne fille pendant qu’elle se fait arracher ses friperies d’antan avant le premier bain de sa vie, avait plus à perdre que son accent argotique dans ce marché avec un diable à la voix soyeuse.

Un soupçon de misogynie

Un célibataire endurci, trop obnubilé par ses recherches pour se rendre compte des enjeux humains de son pari, le professeur Higgins est le parfait exemple de l’homme qui se croit supérieur aux femmes. Son lent parcours vers un peu plus de lucidité aurait sans doute été traité avec plus de ferveur féministe ne serait-ce qu’une dizaine d’années plus tard, quand l’évolution des mœurs aux États-Unis aurait définitivement rendu archaïque cette lutte des sexes à l’ancienne. Mais c’est précisément le cadre très feutré, aux décors et aux costumes divins, qui continue de préserver la qualité universelle de ce choc plus ou moins salutaire entre la perfection misanthrope et l’eau de rose. Est-ce l’habitude de voir jour après jour son élève, qui a fini par fissurer ne serait-ce qu’un tout petit peu la carapace d’intello blasé que Rex Harrison porte ici à la perfection ? Ou bien, à force de se complaire dans son dédale de phrases pointues, le professeur a-t-il laissé transparaître une partie de son cœur, peut-être après tout pas entièrement en pierre et donc susceptible de répondre favorablement aux avances maladroites de Eliza ? En effet, la répartition des rôles hommes / femmes n’y est de loin pas aussi convenue qu’on pourrait le croire à première vue, puisque chaque chanson, chaque étape jusqu’au couronnement royal de cette Cendrillon des temps modernes contribue à miner subtilement le statu quo du patriarcat.

Conclusion

Quel plaisir de retrouver cette comédie musicale magistrale, de surcroît dans une magnifique copie numérique restaurée ! La symbiose entre une histoire vieille comme le monde et des numéros musicaux qui n’attirent jamais inutilement l’attention vers eux par une quelconque exubérance ostentatoire fait de My Fair Lady un plaisir filmique inaltérable. Seul le doublage forcé de la voix de Audrey Hepburn lors des chansons dénote ainsi désagréablement, au sein d’un film qui n’a sinon pris aucune ride.

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