Critique : Mon meilleur ami (Martin Deus)

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Mon meilleur ami

Argentine, 2018

Titre original : Mi mejor amigo

Réalisateur : Martin Deus

Scénario : Martin Deus

Acteurs : Angelo Mutti Spinetta, Lautaro Rodriguez, Moro Anghileri, Guillermo Pfening

Distribution : Epicentre Films

Durée : 1h32

Genre : Drame d’adolescents

Date de sortie : 27 mars 2019

3/5

Où va le cinéma gay en cette fin des années 2010 ? Nous ne suivons plus d’aussi près ce genre, qui nous tient néanmoins toujours autant à cœur, pour nous prononcer définitivement sur son évolution actuelle. Il est toutefois certain que le combat n’est plus le même qu’à la grande époque des années 1980 et ’90, lorsque parler d’homosexualité de façon décomplexée équivalait forcément à un acte militant. Depuis, les mentalités ont heureusement évolué dans bon nombre de pays. Cela fait par contre courir le risque au cinéma attaché à la promotion des identités LGBTQ de rester bloqué dans la boucle éternelle des histoires d’une prise de conscience plus ou moins douloureuse. Mon meilleur ami, un premier film argentin qui a déjà fait la tournée des festivals français dédiés à la production latino-américaine – Toulouse, Biarritz, Grenoble, Villeurbanne, il y en a de plus en plus et c’est tant mieux ! – arrivera sur nos écrans fin mars avec ce bagage relativement encombrant d’un sujet en panne d’originalité. Son immense qualité consiste alors à contourner tous ces pièges de la redite, ainsi que ceux, peut-être encore plus fâcheux, des passages obligés sans lesquels un film gay ne semble plus pouvoir exister légitimement dans le paysage médiatique aujourd’hui. Le réalisateur et scénariste Martin Deus a préféré opter pour une approche plus simple et en même temps plus incisive, aboutissant à un enchaînement d’états d’âme très délicat et donc parfaitement à la hauteur du propos truffé d’ambiguïté par lequel le cinéma gay contemporain pourrait reprendre un second souffle.

© Epicentre Films Tous droits réservés

Synopsis : Lorenzo, un adolescent agréable et studieux, vit avec ses parents Camila et Andrés et son frère dans une petite ville de Patagonie. La quiétude provinciale de la famille est perturbée par l’arrivée de Caito, le fils d’un ami proche de la vie d’avant d’Andrés, qui a dû partir de chez lui suite à l’accident de son frère cadet. Quasiment du même âge que Lorenzo, l’invité peine à s’intégrer dans son nouveau foyer, dont les règles assez strictes de vie commune lui sont étrangères. Andrés demande alors à Lorenzo de garder un œil sur Caito, une tâche que son fils remplit avec dévouement.

© Epicentre Films Tous droits réservés

La solitude du geek

Dès la première séquence, nous avons en quelque sorte été conquis par Mon meilleur ami. Le dispositif banal du choix des membres de son équipe pour un match de foot dans le cadre scolaire nous a en effet rappelé des souvenirs pas vraiment plaisants de notre propre jeunesse peu sportive. La notion d’exclusion, certes guère mesquine mais quand même ressentie profondément, y est évoquée brièvement, quoique sans doute pas placée par hasard en exergue d’un film qui n’y reviendra pas davantage. Notre introduction à Lorenzo, un jeune homme sensible et avenant, n’a point besoin d’être plus explicite que ça pour nous permettre de cerner ce personnage conscient de ses limitations, sans en être affecté outre mesure non plus. Le récit reviendra en fait de moins en moins sur son tissu social, c’est-à-dire ses potes, ses profs, voire sa copine potentielle, assez rapidement évincée. Cette focalisation sur l’intimité d’un adolescent en quête de sa voie ne s’accompagne pourtant d’aucune insistance lourde sur ses frustrations, en fin de compte à peine différentes de celles des filles et des garçons de son âge. Grâce au jeu très fin et aux gestes évasifs de Angelo Mutti Spinetta, une aura vague et mystérieuse l’entoure pratiquement jusqu’à la fin, avant qu’une tonalité plus franchement mélancolique ne prévale. Or, jusque là, la richesse du personnage est assez bluffante. Elle s’articule par le biais de son engagement d’assumer ses responsabilités envers Caito, de lui fournir une sorte de boussole morale d’une certaine façon, sans que ce rôle ne devienne justement une caricature édifiante. Les sentiments diffus qu’il éprouve de surcroît pour son compagnon de fortune ne sont alors que la cerise délicieuse, car nullement vulgaire, sur le gâteau d’un portrait d’adolescent saisissant.

© Epicentre Films Tous droits réservés

Un mauvais garçon pas si méchant

Et l’objet des fantasmes dans tout cela ? La dynamique de l’introverti attiré par celui qui représente tout son contraire a beau être respectée un peu trop consciencieusement ici, elle ne donne pas non plus lieu à l’érotisme masochiste hélas trop souvent associé à ce type de conte de l’amour à sens unique. Bien au contraire, la narration s’emploie avant tout à faire naître une amitié authentique entre ces deux garçons que tout devrait opposer normalement. Une amitié qui implique aussi quelques querelles, filmées non pas comme des disputes d’amoureux, mais comme une manière supplémentaire de sonder une forme d’entente entre Lorenzo et Caito qui dépasse une simple histoire de cul, par ailleurs jamais ne serait-ce que sous-entendue. Non, aussi conforme aux clichés de la petite frappe ayant précocement goûté à une vie de débauche l’aspect extérieur de Lautaro Rodriguez soit-il, le jeune acteur remplit son rôle avec une belle fragilité, parfois un peu trop mise en avant par le scénario. Ainsi, la tentation de l’angélisme, qui voudrait qu’il suffise d’un changement d’air et d’un accompagnement engagé pour remettre ce voyou potentiel sur le bon chemin, sous-tend de temps en temps le récit. Elle est assez vite désamorcée par cette barrière imperceptible toujours en place entre les deux personnages principaux, malgré la sympathie évidente qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Enfin, la même doigté dramatique est à l’œuvre du côté des parents, interprétés par Moro Anghileri et Guillermo Pfening, à l’écoute de leur progéniture et passablement suspicieux à l’égard de leur invité involontaire, à l’image du dilemme entre la dureté à vocation pédagogique et la complicité immature qui caractérise de nos jours les rapports intergénérationnels.

© Epicentre Films Tous droits réservés

Conclusion

Bien plus qu’un film gay ordinaire, qui reviendrait une énième fois sur la découverte laborieuse d’une orientation sexuelle minoritaire, Mon meilleur ami est une formidable histoire d’amitié à armes inégales et surtout condamnée d’avance par une panoplie de paramètres sociaux. Entre Lorenzo et Caito, cela n’aurait jamais pu marcher, ni en termes de camaraderie virile, ni en tant qu’amants décomplexés. Par la magie du cinéma, nous pouvons cependant faire un bout de chemin avec eux, vivre par procuration une parenthèse enchantée comme il ne doit hélas pas en exister beaucoup dans le quotidien terne et conflictuel des jeunes d’aujourd’hui, en quête de quelque certitude affective que ce soit. Il s’agit donc d’un premier long-métrage amplement réussi de la part de Martin Deus, un plus si jeune réalisateur qui avait jusqu’à présent fait équipe avec Juan Chappa sur ses courts-métrages.

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