Livre : Daech le cinéma et la mort (Jean-Louis Comolli)

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Daech le cinéma et la mort

France, 2016
Titre original : –
Auteur : Jean-Louis Comolli
Editeur : Editions Verdier
115 pages
Genre : Essai
Date de parution : 18 août 2016
Format : 142 X 220 mm
Prix : 13,50 €

Note : 3,5/5

Normalement, dans notre pratique de lecture d’ouvrages cinématographiques, nous optons pour des livres qui traitent de sujets dont nous sommes au moins superficiellement familiers. Lire un livre de cinéma équivaut pour nous à une démarche d’approfondissement de connaissances acquises au fil de plusieurs décennies de cinéphilie, avec dans le meilleur des cas la possibilité de nous replonger dans la thématique ou la filmographie traitée au fil des pages à travers un nouveau visionnage des films en question. Dans le cas de « Daech le cinéma et la mort », nous espérons que vous nous pardonnerez de n’avoir volontairement vu aucun des clips de torture et autres exécutions barbares avec lesquels les terroristes de Daech ont su monopoliser l’attention des médias pendant beaucoup trop longtemps. Ce bref essai remarquable de Jean-Louis Comolli a beau avoir été publié il y a un an, presque jour pour jour, cette légère distance dans le temps permet d’en apprécier encore davantage la mise en perspective astucieuse. Nul besoin en effet de s’imposer le régime extrêmement déplaisant de découverte de ces témoins audiovisuels de l’islamisme sous sa forme la plus radicale pour se laisser emporter par le travail théorique multidisciplinaire, par lequel l’auteur a souhaité apporter sa petite pierre à l’édifice d’une réception éclairée des images. Les trois sujets mentionnés dans le titre y sont traités à parts égales. Cela enlève tout risque de devenir un pamphlet tendancieux dans l’air du temps, pour mieux aménager des dizaines de pistes de réflexion à travers plus d’un siècle d’images de la mort. Paradoxalement, celles-ci renvoient à la vie et à notre propre place de spectateur confronté à l’horreur.

Synopsis : Jean-Louis Comolli, ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, cherche à comprendre l’évolution majeure que le cinéma a subie en raison des clips de propagande orchestrés par l’État islamique et diffusés quasiment en temps réel à travers le monde. C’est le rapport entre nous, spectateurs occidentaux, et la représentation de la souffrance et de la mort, renvoyée par une idéologie aux pratiques étrangement familières, qu’il interroge en étudiant le passé et le présent de cette fascination morbide, presque aussi vieille que le monde.

C’est du cinéma, ça ?

En tant qu’art visuel, le cinéma répond à certaines règles esthétiques et éthiques qui n’ont guère changé au fil du temps. Ce qui a changé, cependant, depuis la première projection en décembre 1895, ce sont les canaux de production, puis de diffusion et en dernier ressort de réception de ces images en mouvement transmises sur un écran. En tant qu’intellectuel chevronné du Septième art, Jean-Louis Comolli s’attarde à peine sur d’éventuelles discussions quant à l’appartenance des clips de Daech au champ honorable du cinéma, pour prendre au contraire la mesure d’une époque, la nôtre, où l’inflation des images omniprésentes rend de plus en plus difficile, voire caduque, une distinction précise entre film de cinéma et court-métrage faussement artisanal, dont la seule vocation serait de produire un effet de choc durable. Pour lui, ce que les bourreaux islamistes déversent sans compter sur leurs chaînes virtuelles et le relais qu’en font en toute complicité les médias, ce serait en quelque sorte l’anti-cinéma par excellence. Sauf que les deux faces de la médaille se nourrissent de la même tradition du regard sur la mort et que résultent de cette proximité de multiples effets secondaires, peut-être encore plus pervers que le fait de tuer sans états d’âme des hommes selon le rituel suprême du voyeurisme, inné à chacun d’entre nous.

Le spectacle commence

Il nous paraît difficile de tirer une seule leçon clairement définie du propos foisonnant de Comolli. Pour cela, ce dernier a beaucoup trop tendance à passer d’un sujet à l’autre, d’enchaîner des chapitres aux titres approximatifs et au nombre conséquent : plus d’une quarantaine pour une bonne centaine de pages. Et pourtant, ce sont justement son style littéraire ainsi que sa capacité d’élargir sans cesse sa sphère de réflexion, qui nous ont amplement fascinés au cours de notre lecture. En dehors de rares réserves à peu près dérisoires, comme le penchant de l’auteur pour l’expression des « êtres parlants » au lieu des « hommes », son ennemi juré du Capital et deux ou trois références passablement narcissiques à ses propres films documentaires, ce livre constitue un apport majeur à la question cruciale aujourd’hui – et en fait depuis toujours – sur la place de l’image dans nos vies. Bien plus qu’un simple reflet de nos fantasmes inavoués, car inavouables, qui aspirent à l’excès spectaculaire, ces représentations nous renvoient à notre place essentielle de spectateur impliqué et donc indirectement acteur de ce qu’il voit. Le but de cet essai aux valeurs intemporelles n’est par conséquent pas de nous rassurer sur l’état de la forteresse supposément imprenable de la compréhension du monde à travers les images qu’il nous renvoie, depuis le point de vue préservé du spectateur européen. Il s’emploie au contraire à nous alerter, grâce à son raisonnement intellectuel exigeant, quoique jamais alambiqué, contre l’état de décomposition avancé dans lequel se trouve le cinéma, mis à mort par la barbarie de Daech, mais pas que.

Conclusion

A l’image de sa présentation extrêmement sobre, sans la moindre image, ni illustration, « Daech le cinéma et la mort » n’est nullement un livre qui chercherait à nous épater par des réponses faciles aux dilemmes par lesquels se distingue tristement l’actualité internationale. Ce n’est pas non plus le genre d’ouvrage qui surferait sur la vague des fascicules aussitôt lus, aussitôt oubliés, qui pullulent sur les présentoirs des librairies au rythme des thèmes à la mode. Il s’agit plutôt d’un avertissement, comme le dit l’auteur lui-même « à bas bruit », contre la direction préoccupante dans laquelle se dirige de nos jours l’immense majorité de la production cinématographique, peu importe qu’elle vienne d’Hollywood ou de la chaîne de propagande Al Hayat. Si seulement tous les films à l’affiche en ce moment avaient le même niveau d’éclectisme intellectuel que ce livre-ci, pareille mise en garde serait simplement superflue, aussi stimulante soit-elle.

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