Les Prix du Syndicat Français de la Critique de Cinéma 2018

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Comme l’an dernier, les membres du Syndicat de la Critique de cinéma et de télévision ont voté en majorité pour deux films présentés en compétition au Festival de Cannes et qui, contrairement à ceux de l’édition 2016, ne furent pas ignorés dans le palmarès du jury de Pedro Almodovar. Ainsi le prix du meilleur film français revient à 120 battements par minute de Robin Campillo, Grand Prix sur la Croisette et celui du film étranger à Faute d’amour de Andrey Zvyagintsev, lauréat du plus modeste Prix du jury. Pour la première fois des finalistes ont été dévoilés dans certaines catégories. Les premiers films ont été découverts à Cannes également, Grave à la Semaine de la Critique et I am not a witch à la Quinzaine des réalisateurs.

Lors de son discours d’ouverture, Isabelle Danel, la présidente du Syndicat, a su trouver les mots pour évoquer un métier qui lui tient manifestement à coeur. «Nous, adhérents du syndicat, critiques et journalistes, sommes fiers et heureux d’annoncer les prix, d’affirmer nos goûts, de distinguer des œuvres qui cette année nous ont surpris, émerveillé, bouleversé, chaviré […]. En cette année où la parole des femmes s’est libérée, où les débats parfois houleux se sont ouverts, je veux croire que nous vivons un moment important. Au centre de ce moment important sont les mots. Notre métier de critique de cinéma consiste à mettre des mots sur des images mouvantes, des mots pour en décrire les imperfections parfois mais aussi des mots pour en exhaler la force, la précision, l’humanité, l’insolence et l’intelligence. Le cinéma est magique mais les mots le sont aussi. J’aime les grands mots et les petits, les mots d’esprit, les mots valises, les mots d’ordre parfois. J’aime les mots qu’on pèse et qu’on soupèse, les mots qu’on fait tourner dans sa tête pour trouver les plus justes. Pas les mots qui blessent, pas ceux qui transforment. J’aime les mots qui reflètent et transcendent les mots qui font avancer et comprendre. Dans cette période où critique semble être un gros mot, journaliste professionnel un vain mot, enfin, deux vains mots ; dans cette époque où les membres de notre profession ne sont plus que des lignes qu’on raye dans un budget, que ce soit dans la presse écrite, à la télévision, à la radio ; dans ce temps où la vitesse l’emporte sur le fond, la réaction sur la réflexion, la brièveté qui claque sur le ressenti mûrement réfléchi, j’aime à croire dur comme fer en un avenir possible car sans une presse digne de ce nom, les souris dansent, les ogres se repaissent de chair fraîche et les abus de pouvoir ne sont pas mis au jour. Je crois en ce combat que certains qualifient d’arrière garde, je crois qu’un papier long et circonstancié, mûri et pensé, lu et relu, vaudra toujours mieux que le silence ou l’info raccourcie à l’emporte-pièce. […] Nous avons des choses à vous dire ce soir sur une année de cinéma, de télévision, de DVD, de livres…»

Palmarès complet

PRIX CINÉMA

Meilleur film français : 120 battements par minute de Robin Campillo (critique) http://www.critique-film.fr/120-battements-par-minute/

Meilleur film étranger : Faute d’amour d’Andreï Zviaguintsev (Russie)

Meilleur premier film français : Grave de Julia Ducournau

finalistes : Jour de France de Jérôme Reybaud, Petit Paysan de Hubert Charuel

Julia Ducournau a profité de ce prix pour exprimer sa reconnaissance aux journalistes : «Le film a été projeté pour la première fois il y a quasiment deux ans à la 55ème Semaine de la Critique à Cannes et depuis, c’est peu de dire que la critique a porté Grave. Du coup vous avez vraiment participé à ce trajet exceptionnel, si ce n’est aberrant pour un film comme celui là dont les prémices absolument terrifiantes font s’évanouir des hommes adultes, à savoir qu’une gentille fille quitte son domicile familial et s’avère ne plus être si gentille que ça. Ça fait flipper. […] Pendant ces deux ans, il y a eu beaucoup d’interviews et certaines étaient plus que des interviews. Il y a eu des moments de partage et d’échanges qui m’ont ouvert les yeux sur une partie de mon travail que je n’avais pas vu moi-même, qui m’ont révélé des territoires cachés de mon film et surtout qui m’ont donné des outils pour apprendre à mieux me connaître. Pour ça, et pour avoir donné un écho à ma voix, je vous remercie du fond du coeur».

Meilleur premier film étranger : I Am not a witch de Rungano Nyoni (Zambie)

finalistes : The Fits de Anna Rose Holmer (États-Unis), Lucky de John Carroll Lynch (États-Unis)

Film singulier francophone : Va, Toto ! de Pierre Creton

Meilleur court métrage français : Des hommes à la mer de Lorris Coulon

finalistes : Les Bigorneaux de Alice Vial, Chose mentale de William Laboury, Hédi et Sarah de Yohan Manca Matilla, Mad de Sophie Tavert

réaction de l’heureux élu : «Ce film est né d’une envie de parler de gens qui ne peuvent pas parler, dont on ne parle pas beaucoup. Ce sont des marins qui se font broyer par un système de recherche du profit au détriment de tout. Ils sont sur des bateaux, sans pouvoir retourner à terre et qui, très souvent, s’ils ne subissent l’esclavage, en tout cas vivent très mal leurs conditions de travail. Ils se font souvent tuer. J’ai voulu faire l’éloge moderne de l’histoire de la piraterie, de ce que j’en avais lu en tout cas, des débuts de cette mondialisation avec des prolétaires marins qui partaient sur des bateaux pour transporter des marchandises. Et sur ces bateaux, après Dieu, le seul maître à bord, c’est le capitaine et l’équipage n’avait pas grand chose à dire. Quand les gens se révoltaient, ils ne pouvaient rien faire d’autre que continuer à commettre des actes de piraterie. J’ai voulu remettre ça au goût du jour parce que le monde est toujours aussi violent et pas grand chose n’a changé à ce niveau là».

PRIX TÉLÉVISION

Meilleure fiction française : Un ciel radieux de Nicolas Boukhrief (Arte)

Nicolas Boukhrief, ancien critique lui-même (les cinéphiles n’ont jamais oublié Starfix) salue la corporation qui lui a attribué ce prix : «Je suis d’autant plus touché de recevoir ce prix que j’ai fait mes premières armes dans la critique et que j’en connais le prix et l’expertise. Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’Isabelle Danel a dit. Je pense que c’est précieux, il faut continuer à la faire vivre, notamment en achetant les magazines en kiosque. Ne nous contentons pas que du net»

Meilleur documentaire français : Un Français nommé Gabin de Yves Jeuland et François Aymé (France 3)

Valérie Cadet, représentante du jury télévision, a ainsi évoqué ce portrait de l’acteur caméléon qui a eu mille vies, un portrait qui «a suscité notre enthousiasme collectif tant dans sa facture que dans le choix et la qualité des archives retenues mais aussi par la façon dont le personnage abordé est campé dans les méandres de l’histoire collective d’une force révolue, ou quasi révolue, et de celle du cinéma français du XXe siècle. C’est le long parcours d’une figure éminemment populaire, d’un enfant du music-hall devenu acteur malgré lui, un type courageux, loyal, insoumis et marginal avec constance. Tout cela est proposé avec des archives rares, en grand nombre inédites, qui étayent un récit délicat, nuancé, lucide, en un mot passionnant».

François Aymé a notamment tenu à remercier France 3 de la confiance qui leur a été accordée : «Il y a environ 1h30 sur 1h45 en format 4:3 et en noir et blanc et le film est passé à 20h30. Sur le papier, ça ne paraît pas évident. Je sais que c’est Jean Gabin qui est la star du film mais quand même ! 200 extraits, ça coûte très cher. C’était un beau pari de la part de KUIV [la société de production] d’aller jusqu’au bout de l’idée que si on veut faire le portrait d’un acteur, il faut absolument passer des extraits où on le voit jouer. Ça paraît évident mais il y a beaucoup de films où on parle d’un acteur et on ne le voit quasiment pas jouer».

Meilleure série française : Manon 20 ans de Jean-Xavier de Lestrade (Arte)

PRIX DVD/BLU-RAY

Meilleur DVD/Blu-ray récent : Poesía sin fin d’Alejandro Jodorowsky (Blaq Out)

finalistes : Aurore de Blandine Lenoir (Diaphana), Félicité d’Alain Gomis (Jour2Fête), Une Vie de Stéphane Brizé (Diaphana)

Meilleur coffret DVD/Blu-ray : Alfred Hitchcock Les Années Selznick (Carlotta Films)

finalistes : Andreï Tarkovski Intégrale (Potemkine), Le Coffret Kurosawa (Wild Side), Walerian Borowczyk (Carlotta Films)

Meilleur DVD/Blu-ray Patrimoine : J’accuse d’Abel Gance (Gaumont)

finalistes : La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer (Gaumont), Rusty James de Francis Ford Coppola (Wild Side), Tabou, une histoire des mers du sud de Friedrich Wilhelm Murnau (Potemkine)

Prix Curiosité : Le Complexe de Frankenstein de Alexandre Poncet et Gilles Penso (Carlotta Films)

un prix destiné à mettre en valeur le travail exigeant d’un éditeur sur un film rare, étrange, spécial, qui tout en étant de grande qualité sort des sentiers battus de la cinéphilie classique

finalistes : L’Esprit de Cain de Brian de Palma (Elephant Films), We are the flesh de Emiliano Rocha Minter (Blaq Out)

 

PRIX LITTÉRAIRES

Meilleur livre français sur le cinéma : Continental Film Cinéma Français sous contrôle allemand de Christine Leteux, préface de Bertrand Tavernier (Éditions La Tour Verte)

finalistes : Alain Delon, Ange et voyou de Vincent Quivy (Editions du Seuil), Les Sensibilités Religieuses Blessées, Christianismes, blasphèmes et cinéma 1965-1988 de Jeanne Favret-Saada (Fayard), Shining au miroir de Loig Le Bihan (Rouge Profond)

 

Meilleur livre étranger sur le cinéma : Aventures de John Boorman, traduit de l’anglais par Alain Masson (Marest éditeur)

réaction amusante de John Boorman dans une vidéo enregistrée pour l’occasion : «Je remercie Alain Masson de sa traduction et de la jolie photo de moi en couverture, nageant dans l’Amazone ! Un écrivain américain a lu cette traduction et m’a dit que c’est absolument hilarant en français. Je lui ai répondu ‘je sais, il perd quelque chose dans sa version originale’». Il évoque ensuite un autre ouvrage, écrit par Michel Ciment : «Ce livre était basé en grande partie sur nos entretiens à la sortie de mes films. Il avait supprimé mes hésitations et répétitions dans son français élégant et plus tard le livre a été traduit dans un anglais qui ne l’était pas moins par Gilbert Adair. Et à travers leurs textes, j’ai l’air d’être moi-même un orateur élégant, ce que je suis loin d’être, comme vous pouvez l’entendre».

Meilleur album sur le cinéma : Cinéma d’animation La French Touch de Laurent Valière, préface de Sébastien Laudenbach et Michel Ocelot (Éditions de la Martinière / Arte Editions)

finalistes : Jean-Pierre Melville, une vie de Antoine de Baecque (Editions du Seuil), Écrans français de l’entre-deux-guerres, Tome 1 : L’art du muet & Tome 2 : Les années sonores et parlantes de Jean-Jacques Meusy (Association française de recherche sur l’histoire du cinéma)

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